Chronique du jour : Ce monde qui bouge
Libye, Danemark, le mal est profond
Par Hassane Zerrouky
Encore
une fois, les voix de nos religieux se sont faites plutôt discrètes.
Pourtant, ce qui s’est passé en Libye, cette décapitation collective de
travailleurs égyptiens par la branche libyenne de l’Etat islamique (EI),
des Egyptiens de condition très modeste, pour ne pas dire pauvre, de
confession copte, venus en Libye pour travailler et faire vivre leurs
familles en Egypte, est ignoble.
A faire vomir. Et plus que tout, ces décapitations font plus de tort à
l’Islam que les caricatures vilipendées par nos religieux. Autre image,
l’attaque terroriste de Copenhague perpétrée par un jeune Danois
d’origine palestinienne, attaque que Benyamin Netanyahu a tenté
d’instrumentaliser en appelant les Juifs danois à émigrer vers Israël.
Et qu’ont répondu les Juifs danois au Premier ministre israélien ? Que
le Danemark est leur pays et qu’ils s’y sentent bien et en sécurité.
Belle leçon à méditer.
Mais des faits cités ci-dessus, que retirent les non-musulmans quand ils
voient de telles images passant en boucle sur les chaînes télé,
accompagnées de commentaires plus ou moins tendancieux, quand ils ne
sont pas stigmatisants à l’endroit des gens de culture et de confession
musulmanes, sinon la vision d’une religion prônant la violence ? Allez,
après une telle médiatisation relayée et amplifiée de surcroît jusqu’à
l’absurde par les réseaux, expliquer aux non-musulmans que l’Islam n’a
rien à voir avec ces crimes ou, comme le font certains, renvoyer tout le
monde dos à dos. Ce discours-là est dépassé. Personne n’y croit. Car il
faut aller plus loin.
Loin de partager les vues de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah
libanais, on ne peut honnêtement que lui donner raison quand il
déclarait en janvier dernier – et il a été l’un des rares religieux à le
faire – à propos des crimes commis et mis en scène par l’EI : «A travers
leurs actes immondes, violents et inhumains, ces groupes ont porté
atteinte au Prophète et aux musulmans plus que ne l'ont fait leurs
ennemis.» J’aurais aimé que ces paroles soient prononcées par un
religieux sunnite. Ce ne fut pas le cas, et c’est bien dommage !
En Algérie, par exemple, on n’a pas tiré les leçons de la décennie
noire. Au nom de la réconciliation nationale, le pouvoir politique n’a
cessé de faire oublier les crimes commis par les islamistes, aidés par
ailleurs par ceux qui n’ont cessé de distiller le doute sur les auteurs
des massacres de civils et sur l’idéologie les légitimant.
Quand des attaques étaient perpétrées, comme les attentats-suicides de
2007 contre le Palais du gouvernement et le siège de l’ONU mais aussi
contre le siège de la Cour suprême, on les attribuait à des «égarés»,
voire à la «main de l’étranger».
C’est quoi un «égaré» ? C’est quoi «la main de l’étranger» ? Tout à sa
politique de réconciliation, le discours officiel était allé jusqu’à
ignorer que les auteurs de ces attaques revendiquaient leurs actes au
nom d’une organisation et de leur vision de l’Islam. Le résultat d’une
telle politique est là.
Quinze ans après la fin des massacres de civils, mais pas du terrorisme,
les nouvelles générations ne croient pas que les repentis vivant parmi
eux aient été les auteurs ou complices de ces crimes innommables. Tout
se passe comme si les compteurs avaient été mis à zéro. Qui plus est,
sur fond de vide socio-politique, de chômage et de précarité, le
discours religieux extrémiste s’est propagé au point où l’on assiste à
une sorte d’engouement chez les jeunes envers les djihadistes de l’EI.
Aussi, s’il faut saluer la création prochaine d’un observatoire national
de lutte contre l’extrémisme religieux en Algérie, annoncé par le
ministre des Wafks, Mohamed Aïssa, il n’en reste pas moins qu’elle est
symptomatique de la dangerosité de la situation. Car le mal est plus
profond qu’on ne le croit.
H. Z.
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