Par Sarah Haidar
Durant plusieurs jours, une image circulait sur les réseaux sociaux mais
sans pour autant faire le «buzz» selon les nouvelles normes de l’émotion
électronique. Il s’agit d’un rendez-vous pour un traitement en
chimiothérapie photographié en compagnie de l’acte de décès de la
patiente concernée.
Cette dernière est morte sept ans avant la délivrance du précieux
document qui aurait pu lui permettre d’espérer quelques années de
sursis. Entretemps, l’Etat algérien entame les travaux de la Grande
mosquée d’Alger, une sorte de pâle copie de la Souleïmanyé construite au
XVIe siècle par le sultan ottoman Soliman le Magnifique. On vient
d’apprendre que cet édifice destiné à hypertrophier l’ego posthume d’un
président coûtera l’équivalent de vingt hôpitaux dignes de ce nom.
Autrement dit, un millier de cancéreux algériens auraient pu trouver une
place décente pour atténuer leurs souffrances mais cela ne correspond
nullement aux fantasmes gargantuesques des dirigeants qui, de toutes les
manières, iront se soigner chez l’ancien colonisateur à qui ils
demanderont, tous les 8 mai, de s’excuser pour ses crimes. Il reste
alors la source de fierté numéro un du régime depuis 1962 : la gratuité
des soins car, nous dit-on souvent, dans un monde où l’on peut mourir de
n’avoir pas payé son assurance santé, le cas de l’Algérie relève du
miracle. Certes, la patiente qui a reçu son rendez-vous de chimio sept
ans après s’être fait tuer par le cancer, n’était pas obligée de payer
le moindre sou pour mourir et c’est là sans doute la définition profonde
du système de santé algérien. Cependant, elle a dû beaucoup prier sans
avoir besoin d’aller à la mosquée de son village et elle a certainement
pardonné, au moment de son dernier râle, à tous ces «dignitaires»
fanfaronnards qui préfèrent construire la plus grande mosquée d’Afrique
comme pour offrir un pot-de-vin à Dieu. Elle, comme beaucoup de malades,
a dû entendre à maintes reprises la rengaine chérie par les chefs et
leurs soutiens-critiques de la Gauche nationalo-pusillanime :
«Estime-toi heureuse de vivre dans un pays indépendant »...
En tout état de cause, la Grande mosquée d’Alger verra le jour contre
vents et marées et elle aidera des millions de citoyens à se sentir
fiers et heureux de vivre dans un pays indépendant tellement riche qu’il
s’offre un édifice religieux digne des califes de la belle époque.
Le reste est en cours : une université tellement respectueuse de
l’identité algérienne qu’elle interdit le port de vêtements courts ; une
diplomatie passée maître dans la résolution des problèmes des autres et
enrichie récemment par un nouveau portefeuille spécialement dédié aux
voisins au cas où ils auraient besoin de gribouiller un accord de paix à
Alger… Et pour aiguiser ce grand minaret phallique qu’est l’Algérie, il
ne manque plus que la création de postes de muphtis dans chaque
ministère afin d’assurer une gestion capable d’envoyer tous les
Algériens au paradis à défaut d’atténuer la cruauté de cet enfer qui
leur sert de pays !
S. H.
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