Soirmagazine : Enquête-Témoignages
Je ne jette jamais rien, même pas la vaisselle ébréchée !
Par Soraya Naili
Ce sont des accumulateurs compulsifs. Vaisselle ébréchée, paperasse
inutile, anciens bibelots, vieux meubles, vêtements démodés, vielles
chaussures, coupures de journaux, boulons rouillés, bouteilles vides,
téléviseurs en panne, cassettes, CD, livres, vinyles… ils ne jettent
absolument rien. Résultat des courses : leur maison a des airs de bazar.
Un véritable capharnaüm. Cette manie de tout stocker porte le nom d’une
mystérieuse maladie : la syllogomanie. Dans ce cas, on parle de
l’accumulation pathologique d’objets. La réponse de ces entasseurs
compulsifs est toujours la même : «On ne sait jamais, ça peut toujours
servir.» Les années passent et la montagne du fatras grandit. Impossible
de se séparer de ces «reliques». Des trésors qu’il ne faut surtout pas
leur arracher des mains. Les premiers à trinquer sont leurs proches qui
essayent bon an mal an de jeter quelques vieilleries à leur insu. Mais
gare à eux s’ils se font surprendre ! Crise de nerfs assurée.
Lamia, 43 ans
«Ma mère a la manie de tout conserver. Son appartement croule sous les
objets inutiles. Armoires et placards débordent de partout. Cela va de
vieux vêtements, couvertures défraîchies, casseroles rouillées, matelas
flapis, poste radio hors d’usage… Un vrai marché aux puces. J’ai essayé
à maintes reprises de la convaincre de se débarrasser de tout ce
bric-à-brac. En vain. Elle s’accroche à ses objets comme si c’était des
trésors et refuse d’entendre raison. Une fois, j’ai profité de son
absence pour balancer une partie de ce capharnaüm.
J’ai agi dans son dos, sans lui en piper mot, pensant qu’elle ne
remarquerait rien. A son retour, elle a tout de suite repéré les objets
disparus et m’a fait une grosse crise de nerfs. Ma mère est âgée. Je ne
veux surtout pas la contrarier.
Depuis ce jour, je n’ai plus touché à son fatras. Je pense que cette
accumulation est due à l’enfance très pauvre de ma mère. Elle a manqué
de tout. Elle a eu froid, elle a marché pieds nus et n’a pas mangé à sa
faim. Des années plus tard, elle a toujours peur de manquer de quelque
chose. La misère du passé l’a marquée à vie. C’est la seule explication
que je trouve à ce comportement irrationnel.»
Ismaïl, 62 ans
«J’ai une conservatrice d’objets anciens à la maison : ma femme. Elle
pourrait ouvrir un musée d’antiquités chez nous tellement elle ne jette
jamais rien : ses cahiers d’écolière, ses barboteuses quand elle était
bébé, les vêtements de nos enfants, leurs jouets, ses robes de la mode
des années 70, d’anciens téléviseurs en noir et blanc… Cette
accumulation de choses encombrantes et inutiles nous vaut régulièrement
des disputes. Voir notre espace vital se réduire à cause de cet attirail
sans intérêt me met hors de moi. Mon épouse brandit toujours le même
argument : j’ai un attachement affectif à ces choses. M’en séparer,
c’est perdre une partie de mon histoire. Une phrase qui a le don de me
faire monter la moutarde au nez ! Si au moins nous habitions une villa
avec un grenier ou une cave, je comprendrai. Dans un troispièces, ce
n’est juste pas possible !»
Dalila, 39 ans
«Le bric-à-brac à la maison, il n’y a rien de pire. J’ai grandi dans un
appartement encombré d’objets hétéroclites qui grignotaient mon espace
vie. Mes parents gardaient tout. Absolument tout. Vêtements, meubles,
articles électroménagers en panne, disques vintage, pièces autos,
matelas râpés, couvertures usagées, lampes cassées, vieux magazines,
prospectus publicitaires… Le cagibi a débordé puis ce fut autour des
placards et des armoires de craquer.
Ce capharnaüm a gagné chaque coin de notre logement. Imaginez l’énergie
qu’il fallait déployer juste pour faire le ménage ! J’ai développé une
telle phobie pour ce genre de bazar que ça a produit l’effet inverse
chez moi. Depuis que je suis mariée, je jette, trie et donne même des
choses dont ma famille pourrait avoir besoin, au grand dam de mon mari.
Combien de fois n’a-t-il pas chercher une veste, une chemise ou une
paire de chaussures presque jamais portées sans réussir à mettre la main
dessus. Dans ma maison, rien ne traîne. J’ai une décoration minimaliste
et dépouillée. Je n’accumule jamais ce qui tombe en panne par exemple.
Lorsque je rachète un objet, je me débarrasse aussitôt du précédent. Il
y a moins de poussière et on respire mieux lorsque tout est bien rangé.
En tout cas, c’est ainsi que je le ressens.» Accumuler des objets hors
d’usage au fil des années a le don de mettre en rogne les autres.
Ceux qui vivent à proximité de ces «collectionneurs» sont finalement les
seules à souffrir de ces écuries d’Augias qu’ils aimeraient pouvoir
nettoyer, sans y parvenir !
|