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Rubrique Ce monde qui bouge

Alger, le 1er novembre 1962

Le 1er novembre 1962, l’Algérie célébrait sa première fête nationale, 55 jours après la fin des affrontements armés consécutifs à la crise ayant éclaté au sein de la direction du FLN/ALN au lendemain du 5 juillet 62.

L’ÉTÉ 1962. Sans entrer dans le détail et tout en laissant le soin aux historiens de décrypter les tenants et les aboutissants de cette crise, celle-ci opposait deux tendances qui se prévalaient d’une légitimité historique. D’un côté, le Bureau politique du FLN constitué le 22 juillet 1962, dirigé par deux historiques Ahmed Ben Bella et Mohamed Khider, et derrière lesquels s’étaient rangés Ferhat Abbas et Boumendjel, le colonel Houari Boumediene, les wilayas I (Aurès), V (Ouest) et VI (Sud), Yacef Saâdi, et une partie de la wilaya II (Constantinois), lesquels contrôlaient les 2/3 du pays. Et de l’autre, le Comité pour la Défense de la Révolution (CDR), dirigé par deux autres historiques, Mohamed Boudiaf et Krim Belkacem, et le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) qui se considérait dépositaire de la souveraineté nationale jusqu’à l’élection d’une Assemblée constituante. Le CDR était soutenu par les Wilayas III et IV qui contrôlaient l’Algérois, Chlef et la Kabylie. Tous étaient sur le pied de guerre. Tous les ingrédients d’une déflagration étaient ainsi réunis. Désamorcer cette crise et éviter que l’Algérie connaisse le sort du Congo, étaient la priorité du moment.

L’INTERVENTION POPULAIRE. Face donc au risque d’un embrasement généralisé, à l’appel de l’UGTA, des étudiants, des comités de quartiers et de militants anonymes, des dizaines de milliers d’Algériens sortent dans la rue scandant «Sept ans ça suffit» pour faire cesser les affrontements entre frères d’armes qui avaient déjà fait des dizaines de morts à Alger, Chlef, Boghari,.. n’hésitant pas à s’interposer entre les différentes factions armées comme ce fut le cas à Bab Jdid (Casbah) entre les groupes de Yacef Saâdi et ceux de la Wilaya IV. C’est cette intervention populaire qui a décidé les dirigeants de la révolution à s’asseoir autour d’une table et à mettre fin à une crise qui a fait couler beaucoup de sang. Le 7 septembre, un cessez-le-feu inter-wilayas est signé et le 9 septembre, l’armée des frontières, devenue entre-temps l'Armée nationale populaire (ANP), faisait son entrée à Alger sous les acclamations de dizaines de milliers de personnes.
Sorti vainqueur de l’épreuve, le BP du FLN s’installe dans la capitale. La suite ? Le 20 septembre a lieu l’élection d’une assemblée constituante, laquelle proclame cinq jours plus tard la naissance de la République algérienne démocratique et populaire (RADP). Le 29, elle investit le premier gouvernement de l’Algérie indépendante, présidé par Ahmed Ben Bella, qui se met aussitôt au travail : préparer la rentrée scolaire, la campagne labours-semailles et la commémoration du 1er Novembre que l’on voulait comme un moment de réconciliation.
Le 8 octobre, le premier président de l’Algérie indépendante se rend à New York, pour vivre un moment historique particulier : l’admission de l’Algérie comme l09e État membre des Nations unies. Le 15, il est reçu en grande pompe à la Maison Blanche par le président Kennedy. Le 16, il se rend à Cuba, une escale pas du tout du goût de Washington. À son retour à Alger, auréolé par l’accueil reçu à Cuba, Ben Bella, qui s’était prononcé pour la voie socialiste de développement, annonce la couleur : le 24 octobre, son gouvernement interdit les transactions sur les biens immobiliers et mobiliers abandonnés par leurs propriétaires européens et annule tous les actes de vente et de location passés à l'étranger sur ces mêmes biens. Et valide par décret les comités de gestion dans les entreprises agricoles, industrielles et commerciales institués par les travailleurs suite à la fuite de leurs propriétaires européens, ouvrant ainsi la voie à l’autogestion socialiste...

UN MOMENT HISTORIQUE. C’est dans ces conditions de début de retour à la normale et à la stabilité, de mise en place des premières institutions de l’État national, que l’Algérie célébrait le jeudi 1er novembre 1962 sa première fête nationale, quatre mois après la proclamation de l’indépendance.
Ce fut un moment historique et fondateur. Ce jour-là, oubliant les troubles de l’été 62, les Algériens, qui attendaient ce moment depuis le 5 juillet, se pressaient par dizaines de milliers sur les boulevards longeant le front de mer pour assister à la première parade civile et militaire de l’Algérie indépendante. Un défilé de milliers de femmes, jeunes, scouts, étudiants, syndicalistes, et premiers moudjahidine de 1954, précédait la parade de la toute nouvelle ANP, équipée de blindés, de canons tractés par des véhicules, tandis que des hélicoptères, don de l’ex-URSS, survolaient le ciel d’Alger. La veille mercredi, des manifestations sportives, des spectacles et des concerts de musique avaient été organisés. Pour une majorité d’Algériens, malgré l’interdiction d’activité du PCA le 30 novembre, la fin de l’année 1962 semblait porteuse de toutes les espérances. Reste qu’ils étaient loin d’imaginer être à nouveau les témoins d’une résurgence des tensions internes (démissions de Mohamed Khider du BP du FLN, de Ferhat Abbas et Aït Ahmed de leurs mandats à l’APN, dissidence du FFS...) avec en toile de fond des menaces externes (le conflit armé avec le Maroc) au cours de l’année 1963.
Plus de 60 ans après, d’aucuns prétendent que la crise de l’été 62 opposait les partisans de la démocratie pluraliste aux tenants du parti unique et que ces derniers, Ben Bella et Boumediene en tête, ont confisqué la révolution et mis fin au rêve d’une Algérie démocratique et pluraliste. En vérité, aucun des acteurs de l’époque, Aït Ahmed, Benkhedda, Krim Belkacem ou Ferhat Abbas, pour ne citer que les plus en vue, n’était pour l’instauration d’un régime pluraliste et multipartite. Aucun d’entre eux n’a revendiqué par écrit ou par la parole, le pluralisme politique. Ce n’est que sur le tard – fin des années 70/courant années 80 – que ces opposants se sont convertis à l’idéal démocratique et au multipartisme, dans un contexte de déclin du mouvement progressiste mondial et des idéaux socialistes.
H. Z.

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