Que
sait-on de la Catalogne, dont une majorité d’habitants, d’après le
référendum du 1er octobre (plus de 90%), s’est exprimée pour
l’indépendance mais avec un taux de participation de 42% ?
La Catalogne était un territoire administré entre le Ve et le VIIIe
siècle par des féodalités d’origine Wisigoth, avant de passer, à compter
du VIIIe siècle, sous domination arabo-berbère. C’est d’ailleurs à la
fin de la domination musulmane que les historiens datent la naissance de
la Catalogne. Mais il faudra attendre la fin du XIIIe siècle pour que
cette région, à cheval sur l’Espagne et la France, se dote de ses
premières institutions, les Corts, sorte d’assemblées où siégeaient en
force l’Eglise et la noblesse féodale et militaire, mais pas le peuple,
quantité négligeable, alors taillable et corvéable à merci.
Longtemps écartelée entre les royaumes d’Espagne — qui ne s’appelaient
pas encore l’Espagne mais le royaume de Castille et d’Aragon — et de
France, parfois partagée comme ce fut le cas en 1652 entre Louis XIV
(France) et Philippe IV (Espagne), la Catalogne était dans les faits un
Etat indépendant dès le XIVe siècle, avec ses institutions, les Corts
(Assemblée de députés) qui vont donner naissance à la Generalitat de
Catalogne, avec Barcelone comme capitale politique et culturelle et sa
langue le catalan. Et ce n’est qu’au terme d’une guerre de succession
(1701-1714) pour le trône d’Espagne – la noblesse féodale catalane avait
pris le parti des Habsbourg (dynastie d’origine autrichienne) contre les
Bourbons, branche d’origine capétienne – qui s’est terminée par la
victoire des Bourbons, que la Catalogne a perdu son statut de
Generalitat, et son indépendance, avant de le recouvrer plus tard. Mais
ce n’était pas fini. Voilà qu’en 1812, Napoléon envahit l’Espagne et
annexe la Catalogne à la France, ce qui fait que les deux parties de la
Catalogne situées des deux côtés des Pyrénées sont réunifiées — pas pour
longtemps — par l’occupant français.
Pour aller vite, la Catalogne, qui s’est industrialisée au cours du XIXe
siècle, devenue un bastion ouvrier et révolutionnaire, se proclame en
1934 «Etat catalan de la République fédérale espagnole». Au cours de la
guerre civile espagnole, l’Etat catalan sera écrasé par le régime
fasciste de Franco, son président, Lluis Company, exilé en France, sera
arrêté par les nazis allemands, livré à la dictature franquiste qui le
fera fusiller. Fin de l’indépendance catalane mais aussi de la
Generalitat, qu’elle ne recouvrera qu’en 1978, trois ans après la mort
du dictateur Franco.
Alors pourquoi l’indépendance ? Ce n’est pas seulement une question de
langue ou d’identité, et ce, bien que durant 40 ans, la dictature
fasciste franquiste eut interdit le catalan comme langue et mis fin à
son autonomie. En effet, la Constitution promulguée en 1978 a accordé un
statut d’autonomie à la Catalogne : elle dispose d’un Parlement élu au
suffrage universel, d’un gouvernement régional, d’un emblème, d’une
langue (le catalan est langue officielle, d’enseignement et de
culture)...
Au plan économique et financier, le fait que la Catalogne soit la
deuxième région la plus riche d’Espagne, avec un PIB de 224 milliards
d’euros (20% du PIB espagnol), de puissantes banques et une économie
productive diversifiée – elle abrite 606 512 entreprises — affichant un
excédent commercial de 27 milliards d’euros (c’est la première région
exportatrice d’Espagne) et un PIB par habitant de 30 000 euros, plus de
cinq fois le PIB algérien (5 200 euros), n’est sans doute pas sans
rapport avec la montée du nationalisme catalan et cette idée largement
répandue dans l’opinion catalane que leur région nourrit le reste de
l’Espagne sans rien recevoir en retour. Qui plus est, en 2010, le fait
de s’être vu refuser par le Conseil constitutionnel espagnol le statut à
part entière de «nation» n’a fait qu’alimenter le «nationalisme
catalan».
Mais pour autant, tout n’est pas rose. La dette publique catalane est de
80 milliards d’euros, soit 35% du PIB, ce qui fait qu’en cas
d’indépendance, la Catalogne part avec un lourd handicap. Dans cette
perspective, l’Espagne, qui sort d’une grave crise financière, exigera
de la Catalogne de reprendre sa quote-part de l'endettement national, ce
qui ferait passer la dette publique catalane de 80 à 235 milliards
d’euros, soit plus de 100% de son PIB. Sans doute est-ce cela mais aussi
le fait qu’une grande partie des catalans ne soit pas tout à fait
partante pour l’indépendance – ils étaient plus de 350 000 selon la
police (800 000 selon les organisateurs) à avoir manifesté contre un
Etat catalan indépendant dimanche à Barcelone – qui a poussé le
président de la région catalane à ajourner la proclamation de
l’indépendance sans toutefois y renoncer. Car le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes est un principe intangible.
Alors pour sortir de cette impasse, certains préconisent comme compromis
l’exemple du Québec dont la population est reconnue comme «nation» au
sein de l'État fédéral canadien. Mais pour l’heure, le Premier ministre
espagnol a choisi l’épreuve de force. A suivre.
H. Z.
Rubrique Ce monde qui bouge
Deux ou trois choses sur la Catalogne
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