Dans un bidonville des hauteurs d’Alger, un enfant de 12 ans a été
assassiné, égorgé par un homme pour une histoire de dispute avec son
propre gamin du même âge. L’horreur, comme à chaque fois qu’un enfant
est tué. Il n’y a aucune raison qui puisse expliquer l’assassinat d’un
môme, encore moins le justifier. On n’a donc même pas besoin de dire que
la sanction doit être exemplaire, la loi doit être appliquée dans toute
sa rigueur et aucune circonstance atténuante n’est possible. Ça ne
ramènera pas le petit Rayan à la vie et ça n’adoucira pas la douleur des
siens. Pas moins et pas plus que la peine de mort d’ailleurs. La justice
ne sert pas à ça, ce serait trop beau. Depuis quelque temps, à chaque
fois qu’un enfant est tué, des voix s’élèvent pour réclamer le «
rétablissement de la peine de mort ». On devrait peut-être commencer par
les « rassurer » : la peine de mort est toujours en vigueur en Algérie,
elle est seulement suspendue d’application. Et si ça peut les rassurer
plus, leur pays n’est pas vraiment un modèle d’humanité ! Mais par-delà
la sincérité et la spontanéité de quelques Algériens bouleversés par les
images de Rayan et des autres, il faut quand même en parler : quand des
tueries à grande échelle d’enfants et de fœtus s’opéraient tous les
jours et parfois plusieurs fois par jour, il n’y avait pas autant de
monde à s’émouvoir tant. Non qu’il fallait demander la peine de mort
pour les terroristes, les grandes mutations de l’humanité devant
surmonter de grandes douleurs. Mais le courage de dénoncer, de résister
et, si possible, combattre l’horreur procède de la même philosophie que
celle qui aurait pu inspirer l’abolition, pas appliquer la peine de
mort. Moment fort dans le discours de Robert Badinter, soumettant, le 17
septembre 1981, l’abolition de la peine de mort à l’Assemblée nationale
française : « comme si la peine de mort ou la guillotine était un fruit
qu'on devrait laisser mûrir avant de le cueillir ! Attendre ? Nous
savons bien, en vérité, que la cause était la crainte de l'opinion
publique. D'ailleurs, certains vous diront, mesdames, messieurs les
députés, qu'en votant l'abolition vous méconnaîtriez les règles de la
démocratie parce que vous ignoreriez l'opinion publique. Il n'en est
rien. Nul plus que vous, à l'instant du vote sur l'abolition, ne
respectera la loi fondamentale de la démocratie. » Quand le célèbre
avocat devenu garde des Sceaux entreprenait de faire partager son
entreprise de suppression de la peine de mort, il avait confié, en
privé, avoir honte que la France, dont des hommes prestigieux à l’instar
de Clemenceau, Jaurès puis Camus avaient déjà défendu le projet bien
longtemps avant lui, soit le dernier pays de l’Europe occidentale où
elle est encore en vigueur. Mais quand il a « foncé », les soutiens ne
se bousculaient pas vraiment devant sa porte, à des moments, il s’est
même senti bien seul dans sa folie. Mais dans son discours, Robert
Badinter n’a pas dit aux députés qu’en votant l’abolition, ils
respecteraient l’avis de l’opinion mais les « règles de la démocratie ».
Les grandes idées d’émancipation humaine ont été souvent l’œuvre de
téméraires et libres penseurs, rarement l’émanation de ceux qui agissent
en terrain conquis. Pour revenir chez nous, elles sont déjà oubliées les
velléités de faire admettre l’abolition entreprises par quelques
politiques et juristes éclairés il y a - déjà - longtemps, un peu comme
on tente une folie. Non seulement elles sont oubliées mais ceux qui
veulent le rétablissement de la peine de mort…, toujours en vigueur,
sont nettement plus audibles aujourd’hui.
S. L.
S. L.