«Un moderniste corrompu est d’abord un corrompu», disait Saïd Sadi, il y
a quelques années. Ce ne doit pas être la seule épreuve du terrain à lui
donner raison mais l’urne tunisienne vient de le faire de la manière la
plus magistrale en sanctionnant sévèrement le candidat Nabil Karoui.
Ramené au choix du «moins mauvais» aux yeux des élites régionales, les
Tunisiens ont tranché en faveur de Kaïs Saïed, présenté comme un
ultraconservateur dont les proximités islamistes suscitaient quelques
appréhensions, si ce n’est des inquiétudes, quant à son projet pour la
Tunisie. Quant à Nabil Karoui, il se susurrait qu’il était «quand même»
mieux placé pour renforcer les grandes options démocratiques et
modernistes qui restent tout de même fragiles dans un pays que
l’environnement géopolitique et la sociologie interne n’ont pas encore
définitivement mis à l’abri des vieux — comme des nouveaux — démons. On
a même suggéré qu’au final, les Tunisiens, définitivement installés dans
leur siècle, avec ses valeurs chevillées au corps, sont capables de
revenir au «choix de la raison» en lui accordant leur confiance en dépit
de ses innombrables casseroles, dont la plus insurmontable, évidemment,
est sa proximité, de notoriété publique, avec l’ancien régime de triste
mémoire. Après tout, on n’a pas vraiment assisté à une grande levée de
boucliers contre Nabil Karoui qui a quand même vécu un premier tour de
présidentielle dans une cellule de prison ! Et qu’on lui fasse l’honneur
d’une qualification au second tour a été déjà vécu comme une possibilité
de victoire au bout du scrutin. C’est pourtant Kaïs Saïed qui avait les
faveurs des prévisions. Avec un titre quasiment imbattable de «Monsieur
propre», il séduisait d’abord par sa rectitude morale jusque-là jamais
prise en défaut et c’est loin d’être peu de chose dans une Tunisie en
convalescence de ses longs et douloureux traumatismes que l’après-Benali
n’a pas tous soignés. Le candidat Kaïs Saïed pouvait manquer de
charisme, souffrir d’un manque flagrant d’ancrage politique et de
déficit en expérience managériale, il a triomphé en battant en brèche à
la fois les conclusions faciles sur la sociologie électorale tunisienne
et en mettant un sacré coup derrière la tête d’une classe politique
traditionnelle battue à plate couture. Pour cette dernière, le revers
est d’autant plus cuisant qu’elle n’a même pas pu profiter de
l’impopularité a posteriori évidente d’un affairiste douteux, tout de
même auréolé de la course ultime au palais de Carthage. Pour autant,
l’essentiel à retenir de ce scrutin, ce ne sont pas ses résultats,
surtout dans le regard des Algériens. Jusqu’à ce que leur pays emprunte
les sentiers de la démocratie, chaque élection tunisienne sera à méditer
dans un soupir éloquent. On en est déjà à plusieurs et ça n’a pas pris
une ride.
S. L.
S. L.