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17 octobre 61 : il pleuvait ce jour-là, mais le soleil scintillait à l’horizon…

«Ô cœurs de saleté, Bouches épouvantables,
Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs !»
(L’orgie parisienne, mai 1871 d’Arthur Rimbaud)

Par Ali Akika, cinéaste

Il pleuvait ce jour-là. C’était un mardi du mois d’octobre dans Paris, la ville des Lumières et capitale des arts. Nedjma, Yacine, Assia et Chérif, en dépit du froid précoce de la morne saison automnale, se tenaient tranquillement aux côtés de leurs parents. Leur innocence et la présence de leurs parents étaient leur protection dans ce lieu où se rassemblait petit à petit une foule de gens de leur cité. Leurs parents, eux, savaient le pourquoi du remue-ménage dans ce bidonville de la banlieue parisienne. Au milieu de la foule qui grossissait, des militants s’assuraient que les consignes données par El Nidham (Fédération de France du FLN) étaient respectées. Lesdites consignes se résumaient en deux phrases, être bien habillé et interdiction de porter sur soi la moindre arme, pas même un canif à couper du pain. La foule se mit en marche en direction de Paris. Nedjma,(1) Yacine, les autres gamins et gamines voyaient au loin d’autres colonnes de manifestants se dirigeant vers un pont qui faisait office de frontière entre la banlieue et Paris. Sur ce pont, dont la noire célébrité est depuis liée à un événement qui se déroula ce 17 octobre 61, se dressait un barrage de police. Non loin de ce pont, les enfants, bien qu’effrayés par le bruit des bombes lacrymogènes tirées par des policiers, ne désertaient pas les lieux. La détermination des parents qui avançaient, malgré les dangers encourus, leur donnait du courage. En face d’eux, des policiers harnachés et hargneux ne cessaient de faire tomber une pluie de lacrymogènes sur ces pacifiques manifestants. Ces policiers obéissaient à l’ordre donné par les plus hautes autorités du pays : empêcher par tous les moyens que la manifestation n’entre dans Paris. Ainsi, des ordres, au mépris des règles de l’Etat de droit dont on se vante, interdisaient à une catégorie d’habitants de circuler dans Paris à la tombée de la nuit. Le Paris by night était réservé aux fêtards insouciants et aux touristes à qui il ne faut pas gâcher leur séjour dans la capitale. Mais à côté du Paris touristique, il y a heureusement celui des rues pavées de Paris chantées par Arthur Rimbaud. Des habitants de ces rues accoururent pour soigner et témoigner sur les graves événements en cours dont on voulait cacher l’existence à l’opinion internationale… Oui, ce jour-là, dans le Paris de la beauté, ce fut le triomphe de la laideur, ce fut, oui, un honteux et minable ‘’fait d’armes’’ contre une population qui refusait d’obéir à une loi scélérate faite sur mesure pour elle… On avait soumis à un couvre-feu les Algériens de Paris qui luttaient pour leur dignité, une dignité qui ne pouvait avoir pour eux que la couleur et la saveur de l’indépendance de leur pays. A ces manifestants qui ne représentaient aucune véritable menace, on opposa un arsenal de guerre pour les brutaliser, les tuer dans une chasse à l’homme dans les rues de Paris, dans les couloirs et les quais de métro. Et pour enterrer ce crime et effacer la moindre trace, on choisit comme cimetière le fleuve de Paris. Le lendemain, au petit matin, la scène macabre qui s’offrait aux passants n’était que cadavres d’hommes que l’on avait préalablement ligotés avant de les jeter dans La Seine devenue l’Achéron, fleuve maudit dans la mythologie grecque. Spectacle hallucinant de corps flottant dans les eaux rougies de la honte de leurs bourreaux. Mais l’eau aux couleurs du sang des victimes pétillait sous les premiers rayons matinaux du soleil qui venait de chasser la nuit. Les morts de cette nuit allaient rejoindre une place dans le récit poétique de ceux que Rimbaud avait glorifiés dans son sublime poème l’Orgie ou Paris se repeuple. Les survivants de cette nuit-là avaient été entassés dans le fort de Vincennes, transportés dans cet établissement militaire depuis le centre de Paris dans des bus. Pour la journée de ce 17 octobre 1961, l’histoire retiendra que, décidément, les trains de la SNCF durant la Seconde Guerre mondiale et les bus de la RATP pendant ce mardi d’octobre 61 furent aussi des acteurs d’une séquence peu glorieuse sous le ciel de Paris obscurci de nuages, non de la journée pluvieuse de ce mardi, mais de la fumée des gaz des policiers dans une «bataille» sans risque. Cette bataille-là de sinistre mémoire hantera leur vie et seul leur sommeil fera écran pour apaiser les troubles de leur conscience…. Neuf mois plus tard, sous un autre ciel, le soleil enveloppait de sa chaleur l’Algérie, capitale Alger.(2) 61 ans plus tard, l’Etat français fait toujours la sourde oreille pour ne pas reconnaître ce crime d’Etat. Au nom d’une raison d’Etat aux accents maurassiens d’une France «éternelle» préférée à la République des citoyens, les héritiers des Versaillais détournent leurs regards de ce passé encombrant. Mais ces héritiers ne peuvent rien contre l’Histoire. Celle-ci, honorable et intraitable Dame, a déjà révélé les secrets de la tragédie du 17 octobre 61… Le temps où l’on pouvait ensevelir ou triturer l’Histoire est révolu, révolu avec la disparition des scribes qui suivaient les puissants sur les champs de bataille dans le seul dessein de chanter leur gloire…. Mais la gloire est aujourd’hui du côté des peuples qui résistent à l’oppression.
A. A.

1) Nedjma/Yacine, référence à Kateb Yacine qui écrivit un bouleversant poème sur le 17 octobre 61 à l’adresse du peuple français.
2) Algérie, capitale Alger, clin d’œil à Anna Gréki, auteure d’un beau poème de l’Algérie qui recouvrait son indépendance.

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