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Rubrique Contribution

ÉDUCATION Crise sanitaire et débacle scolaire

Par Ahmed Tessa, pédagogue
La crise sanitaire planétaire touche toutes les couches de la société. A des degrés divers, les plus exposés au danger sont les personnels de santé et toutes celles et ceux qui continuent d’affronter le virus par nécessité de service et devoir professionnel. Mais il y a une catégorie à laquelle tout le monde pense : ce sont les enfants, de la crèche au lycée.

Les autorités scolaires des pays touchés par la crise se démènent pour trouver une parade aux aléas du confinement imposé. Des initiatives via écran fleurissent ici et là. Elles émanent et de personnes privées (enseignants) et des institutions officielles. 
A côté du lexique médical qui se vulgarise avec cette crise, on s’habitue à un nouveau jargon : e.learning ou e.enseignement, plateforme interactive, enseignement à distance, télé-enseignement, Youtube, etc. Mais, prudence ! Toutes sont confrontées à l’impossible résolution d’une même équation : comment faire pour que les interactions en classe réelle (élèves/élèves et élèves/enseignant) se manifestent par écran interposé ? Sans ces interactions, le processus éducatif, la pratique pédagogique de l’enseignant et les stratégies d’apprentissage de chaque élève se retrouvent bloqués ou amoindris. 
Pour ne pas tomber dans «l’euphorie de l’illusion» que procure la magie de l’informatique, il faut savoir que l’enseignement/apprentissage en milieu scolaire ne saurait se passer du contact direct entre les enseignants et les apprenants. Que faire ? Aucune réponse valable n’a, à ce jour, été trouvée pour enseigner massivement via l’écran. Si la formule magique existait, les pays capitalistes l’auraient généralisée pour alléger le poids de la masse salariale des personnels enseignants, et faire l’économie de milliers d’infrastructures scolaires.
Revenons au pays, pour observer les initiatives prises par le ministère de l’Éducation nationale dans ce contexte particulier : cours via Youtube pour le primaire et le collège, et cours télévisés pour les classes d’examen. Opération dénommée «La clé du succès» (Meftah ennadjah !!!). Et de tomber dans une grossière contradiction en les qualifiant de cours de soutien. 
Or, le concept de cours de soutien suppose que les cours ont déjà été dispensés, mais mal assimilés par les élèves. 
L’intention est louable à plus d’un titre. Certes, on est loin des moyens sophistiqués mis en branle par les pays développés : télé-enseignement par groupes d’élèves encadrés par leurs enseignants ou plateforme interactive de «e.enseignement». Ici, nous en sommes aux vecteurs basiques de la présentation sur Youtube ou via la vieille recette de la télévision (le même scénario que celui des années 1980) avec un seul enseignant pour des dizaines de milliers d’élèves. Comme l’enfer est pavé de bonnes et louables intentions, l’initiative du ministère ne peut échapper aux critiques contructives.

précipitation
Quoique sur un autre registre que médical, le secteur de l’éducation est aussi sensible que celui de la santé. A cet effet, à l’instar du monde médical, l’éducation scolaire doit s’approprier l’incontournable principe de précaution avant le lancement de toute opération d’envergure. Des précautions ont-elle été prises avant le lancement de ces cours via l’écran ?
Dans une situation aussi particulière, la décision prise par le MEN de dispenser des leçons du 3e trimestre est source de désagréments et de dérives pédagogiques. Admettons que l’efficacité pédagogique soit au rendez-vous de ces formules (Youtube et TV) — ce qui est, bien sûr, pas du tout le cas —, les concepteurs devaient s’inquiéter de la disponibilité de l’outil auprès de tous nos élèves et s’ils ont les moyens logistiques d’en profiter (logement, promiscuité...). 
Dans cette hypothèse (irréalisable) d’efficacité à 100%, les deux formules (Youtube et TV) alimentent l’inégalité déjà existante entre les élèves de différentes couches sociales, voire de zones géographiques. 
En réalité, ces deux formules présentent des failles béantes sur le plan purement pédagogique. Cela amène de la frustration chez les élèves et pour ceux dont les parents ne sont d’aucun soutien, c’est le désarroi et… le décrochage. Il faut préciser, qu’y compris dans les pays européens, les autorités scolaires se sont aperçues dès le départ des risques d’inéquité/inégalité, et ce, avec des formules de loin plus sophistiquées que les nôtres.
Pour ce qui est des dérives pédagogiques, on ne citera que les plus parlantes. On peut les résumer à travers une situation vécue.
C’est une leçon de ettarbia erriyadhiya (mathématiques) pour la 1re année primaire (1re AP), enfants de six ans, suivie par la petite Sophie et sa maman. Et là, on tombe à la renverse. 
• Durée de la séance : 45 minutes sans arrêt. Alors qu’à cet âge, la capacité de concentration/attention est aux environs de 10 minutes (plus ou moins) par activité. Torture garantie ! Ou plutôt déconnexion de l’enfant garantie.
• Registre de langue : l’enseignant utilise l’arabe elfosha dans son niveau le plus élevé. Et cela sans que l’élève ait à sa disposition du matériel concret (buchette, bouchons, jetons...) à manipuler pour exercer ses capacités de compréhension. Le b.a.-ba du calcul au primaire. 
• Et la petite Sofie, élève de 1re AP, a eu cette remarque cinglante, presque en colère : «Pour qui il nous prend ? Nous ne sommes pas des adultes !» A chaque mot ou phrase inaccessible, Sophie demande à sa maman de lui expliquer. 
Celle-ci utilisera un arabe soft. Mais Sofie finit par décrocher et refuse de poursuivre le visionnage. Elle préfère jouer avec ses poupées, aller au jardin, grimper, sauter, courir, désherber et puis, avant de dormir, s’adonner à des révisions.
• Nature des leçons : par bon sens, on s’attendait à des leçons de révision, nous voilà avec le programme du 3e trimestre à ingurgiter par des élèves d’âge fragile. Ignorance de la part des concepteurs ? Nul ne le sait. Apparemment, ils ne se sont pas posé les questions préalables avant d’arrêter leur choix insensé de préférer la suite du programme au détriment des révisions, plus bénéfiques. Des réponses à des question-clés les auraient sûrement dissuadés de décider d’un tel choix.
1- Est-ce que tous les élèves de 1re AP se sont arrêtés à la même leçon, la veille du confinement ? Sans ignorer que dans plusieurs wilayas, des grèves perlées (2 jours/semaine) ont perturbé la scolarité pendant de longues semaines.
2- le rythme d’assimilation est-il uniforme pour tous les élèves et peuvent-ils assimiler sans qu’ils aient à demander à l’enseignant de revenir sur tel ou tel point, pour une explication, un retour en arrière, une clarification ? Les milliers d'élèves le feront-ils à travers l'écran ? 
3- Qu’est-ce qui leur dit que tous les enfants algériens disposent de Youtube ? A moins de penser que l’Algérie c’est seulement les quartiers huppés des grandes villes du Nord.
Pour les cours télévisés, ce sont les mêmes dérives vu que le choix a porté sur la continuité du programme (au lieu des révisions). Scène pathétique d’un présentateur (enseignant ou inspecteur) qui use de ses cordes vocales face à la caméra. Il/elle parle, parle… jusqu’à ce que ses élèves virtuels désertent l’écran, fatigués, frustrés et désappointés. Le cours télévisé ramène et transpose sur écran l’approche pédagogique en usage dans nos salles de classe depuis plus d’un siècle : bachotage/enseignement magistral & parcœurisme/écoute passive de l’élève. Il ne manque que les compositions ou examens avec la troisième recette : restituer ce qui a été mémorisé. Chose impossible. Méditons ces paroles pertinentes de M. Missoum Abdelkader, grand pédagogue, spécialiste de l’enseignement à distance et ancien cadre au MEN : «On ne peut pas convertir (transposer) un enseignement en classe réelle en un enseignement à distance par le simple truchement de vidéos, et ce, sans tenir compte de nombreuses conditions pédagogiques. 
L’enseignement à distance repose sur deux fonctions essentielles : l’une technologique, à travers le choix judicieux de la plateforme interactive, l’autre pédagogique qui tient compte de la psychologie de l’apprenant. Une vidéo de cours n’est pas une simple réplique d’un cours fait en classe.»

Le bon choix
Le choix fait par le MEN de dispenser de nouvelles leçons aura pour conséquence psychologique d’entretenir de faux espoirs. La formule est antipédagogique. Même le bon sens la récuse. Toutefois, il y a mieux à faire — et il est temps de corriger. Il s’agit d’amener les élèves, via ces deux formules, à réviser des leçons importantes des trimestres passés et des exercices correspondants.
Faire des révisions, c’est assurer une consolidation des acquis et permettre à l’élève de se sentir en confiance. Dans un contexte pareil, la sagesse pédagogique nous recommande de jamais aller de l’avant, mais revenir sur les leçons pour mieux les renforcer. «Vaut mieux laisser l’élève dans l’ignorance que de lui donner des leçons inaccessibles.» 
Les révisions attrayantes, égayées de musique de fond, d’un peu d’humour aideront nos enfants à éviter le danger qui guette tout élève lors de longues périodes d’inactivité scolaire. C’est le danger de la baisse du niveau des connaissances accumulées pour parvenir au degré 0, synonyme d’illettrisme/analphabétisme. Dixit les chrono-biologistes versés dans les rythmes scolaires.
En conclusion, il est indéniable que le Covid-19 a secoué les consciences de tout un chacun de par le monde. Cette épidémie exige de tous — citoyens, opérateurs économiques, politiques — de changer le paradigme de vie : mode de production, pratiques socioculturelles, etc. 
Et pour ce qui est de l’éducation, avec le confinement se pose l’urgence d’ouvrir le chantier, non pas d’une réforme dépassée, mais de la refondation de l’école
algérienne : rythmes scolaires, programmes, méthodes, pratiques pédagogiques (formation/recrutement)… 
A. T.

Conseils pratiques aux parents

Faire à l’enfant la révision des leçons passées, et aussi refaire les épreuves des compositions ou des devoirs surveillés pour vérifier s’il a bien assimilé les corrections faites en classe. Cela lui permettra de meubler son temps de confinement. Et surtout c'est l’occasion d'acquérir une compétence primordiale : la prise de responsabilité en autonomie. Une compétence que notre système scolaire ne développe nullement. Pour cela, votre enfant va s’organiser en mettant en place un emploi du temps quotidien «spécial confinement» qui se déclinera en trois activités :
1- Révision de telle leçon (par matière, deux par jour).
2- Epreuves d’évaluation (celles des compositions ou des devoirs surveillés ou autres en relation avec la révision précédente).
3- Activités récréatives : musique, lecture/plaisir, exercices physiques.

 

 

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