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Rubrique Contribution

ÉCOLE Dérogation à 5 ans : danger !

«Tout apprentissage prématuré est nuisible à l’enfant» : une vérité que la psychopédagogie a depuis longtemps établie. Hélas, l’empressement de certains parents ainsi que le laisser-aller de l’administration (ou ignorance ?!) viennent tordre le cou à cet avertissement des spécialistes de l’enfance. 

Si certains pays fixent l’âge de 7 ans pour entrer à l’école, c’est qu’il y a des raisons valables et validées scientifiquement. D’apparition récente, les neurosciences viennent confirmer l’avis des psychologues de l’enfance qui situent  entre 6 ans et demi et 7 ans le niveau de  maturité mentale indispensable pour affronter les durs apprentissages scolaires de la 1re AP. A cet âge, le cerveau de l’enfant est assez développé et son intelligence émotionnelle apte à s’adapter à son nouvel environnement et à son «métier» d’élève. Que dire alors d’un enfant de cinq ans, voire six ans ? Dans les pays anciennement colonisés par la France, la question de l’opportunité de l’âge scientifiquement requis pour entrer à l’école n’a jamais été posée alors même que l’éducation préscolaire n’est pas généralisée à 100%. Le choix arrêté à 6 ans est purement administratif.
 Ainsi, de façon récurrente depuis de nombreuses années, les administrations scolaires sont débordées par des demandes de dérogation d’âge à l’entrée en 1re année primaire. Une tradition héritée, mais mal copiée, du système français lequel pose des préalables d’ordre psychopédagogique. Et non administratif, comme c’est le cas chez nous ! En effet, en France cette dérogation est assujettie à un examen minutieux des capacités de l’enfant : a-t-il acquis les compétences fixées par le programme de la maternelle ? A-t-il réussi aux tests de mesure de ces pré-requis qui sont d’ordre pédagogique mais aussi psychologique (niveau de maturité mentale) ? Cette évaluation diagnostique est effectuée par le psychologue et l’enseignant. Informés et alertés par des études effectuées par des centres de recherches indépendants sur les risques encourus par ce saut de classe, la majorité des parents refusent d’y adhérer. 
Dans ses anciennes colonies, le modèle d’enseignement français, dans sa version archaïque – et elle existe ! – continue à alimenter la réflexion et un imaginaire «idéalisé». L’évaluation, la logique des programmes notionnels/encyclopédiques et linéaires dans le temps, l’élitisme ségrégationniste en sont les symboles  les plus frappants. Et le prix se paye cash ! Ce pays caracole en queue du peloton européen dans les classements annuels Pisa (évaluations des performances des élèves). Imaginez l’état de santé de l’école dans les pays sous-développés qui lui emboîtent le pas et imitent ses symboles  négatifs !
Revenons en Algérie. Bien souvent,  ces demandes émanent de parents instruits censés ne pas ignorer les conséquences d’une telle décision. Malheureusement, ces dérogations  sont monnaie courante dans l’école algérienne. Il a fallu attendre ces dernières années et plus particulièrement cette année 2018-2019 pour voir le MEN réagir avec fermeté pour rappeler la loi qui stipule que l’enfant doit être âgé de six ans révolus pour accéder à l’école. Comme d’habitude, il est fort à parier que l’inconscience de parents «bien épaulés» finira par rencontrer l’irresponsabilité d’un fonctionnaire de l’administration scolaire pour contourner cette loi. Au risque de pénaliser l’enfant et de surcharger les classes. Il est vrai que, dans bien des cas, la facilité à signer ces «laissez-passer» génère des sureffectifs qui font les unes de médias sans pour autant que ce facteur (les dérogations) ne soit évoqué et analysé. Tout comme passent à la trappe de notre hypocrite aveuglement collectif, et le taux de natalité qui explose et une démographie débridée. Une réalité à laquelle aucune opération de sensibilisation n’est destinée à titre préventif. 
Un tabou de plus qui ligote simultanément la société, l’école ainsi que le développement économique et social du pays. Nos médias  préfèrent tartiner sur les états d’âme de tel footballeur ou la maladie de la sélection nationale  de foot. Ou encore inonder les journées des téléspectateurs ou des lecteurs de publicités mensongères et dangereuses pour la santé de nos enfants (cachir, sodas, sucreries,…) à la face ( complice ??) des parents, des autorités et des associations de consommateurs.
Qu’en est-il des conséquences d’une scolarisation prématurée (à 5 ans) ? Il y a lieu de rappeler l’un des rôles majeurs de l’école primaire. Son caractère préparatoire qui se décline en trois objectifs : 
- 1/ - ancrer en l’enfant des comportements affectifs et intellectuels en tant qu’instruments d’accès à la connaissance. 
- 2/ - Cibler la formation de base au sens piagétien du terme : installer les substructures de tout apprentissage, ce qui revient à consolider et renforcer les acquis de la pédagogie de la maternelle -  au lieu de l’information/transmission sous forme d’apprentissages bachotés (par l’enseignant) et mémorisés à des fins de notation frustrantes. Une logique infernale servant à lui montrer que l’école est une corvée, un espace de lutte, de compétition. Rejet fatal qualifié par l’institution d’INADAPTATION avant le verdict du tribunal : l’échec ! Mais est-ce vraiment l’inadaptation/échec de l’élève ? Et si c’était celui de l’institution ?
- 3/ - Placer l’enfant dans un climat favorable qui le stimule, le motive, lui rend sa présence à l’école UTILE et AGRÉABLE. En un mot : lui faciliter son adaptation par les outils matériels et intellectuels qui susciteront en lui le Vouloir-apprendre, ce fort désir qui le hissera au Savoir et au Pouvoir de résoudre des difficultés, réaliser une opération. Bref, ce triptyque (Vouloir-Savoir-Pouvoir) lui permettra de participer activement à sa propre éducation scolaire.
Dans  la scolarité de l’enfant  toutes les années sont importantes. Mais la plus cruciale, la plus sensible et la plus impactante est incontestablement  la première année primaire. A un âge où il est fragile psychologiquement et peu outillé intellectuellement. Il est d’usage – et cela se comprend – de confier les enfants de six ans aux enseignants les mieux armés en connaissances de la psychologie de l’enfant et en maîtrise des pratiques enseignantes liées au programme de ce niveau. Mais à ces qualités – communes, en théorie, à tout enseignant — nous ajouterons, et non des moindres : la bienveillance, le charisme, l’affection, le calme, la patience, le sens de l’écoute et de l’observation. 
Or, l’administration scolaire a de tout temps considéré les classes du primaire sous l’angle de la hiérarchie militaire – n’est-ce pas qu’à l’origine, l’organisation du système scolaire français a été calquée sur celle de l’armée ? Que de fois nous avons vu des enseignants se sentir dévalorisés lorsqu’on leur confie des classes de niveau «inférieur». 
La fierté chez eux est d’enseigner les grandes classes ; mieux, celles dites d’examen. Et quand l’administration scolaire «punit» un enseignant, elle le «dégrade dans le cycle inférieur» (formule consacrée par la législation). 
Une aberration qui dénote — en plus de la vision militarisée/hiérarchisée du système — une méconnaissance et/ou ignorance de la réalité psychopédagogique de l’école primaire. C’est dire l’étendue des exigences attendues de ses officiants (directeurs, inspecteurs et enseignants) ! N’est-ce pas que l’école primaire est qualifiée par l’Unesco d’École de Base ? École première, diront les anciens. D’où le vieil adage : «Donnez-moi une bonne école primaire et je vous donne une université de qualité.»  Certains pays l’ont bien compris en plaçant les enseignants les mieux indiqués dans les classes de 1re année primaire. Ce n’est pas un hasard si ce sont ceux qui détiennent les systèmes scolaires les plus efficients – l’exemple de la Finlande.

Les risques
L’entrée à l’école de l’enfant de six ans est source de stress, d’angoisse et de peurs. On parle communément de chocs (au pluriel), voire de traumatisme, quand ça tourne mal. Il aura à en surmonter deux  types. 
D’abord, la séparation d’avec son cocon familial qui constitue, pour lui,  un milieu naturel alors que l’école ne l’est nullement. D’où les scènes de pleurs, de peur panique devant les portails des écoles primaires à chaque rentrée de septembre. Ce comportement se lit généralement chez les enfants qui n’ont pas fréquenté la maternelle (le préscolaire). 
Le deuxième choc  est le contact avec une langue — y compris avec sa langue maternelle — et un langage étranges,  pour ne pas dire étrangères, à savoir la langue écrite et la mathématique. La lettre, la syllabe, le mot, le nombre et les chiffres sont des concepts abstraits qui exigent de l’enfant des opérations intellectuelles complexes généralement inaccessibles à 6 ans. Que dire alors de celui de 5 ans ! Certes, des parents vous disent «à 5 ans déjà , mon enfant  récite et reconnaît aisément l’alphabet ou les nombres». Pure illusion ! Il ne s’agit que de mémorisation, pas plus. De ces opérations complexes qui se bousculent dans son cerveau, nous citerons pour la langue écrite : la bonne «lecture» du rapport  qui existe entre le graphème (la lettre) et le phonème (le son) correspondant. Pour la mathématique, les concepts de nombre et des opérations ne sont vraiment acquis que lorsque sont acquises les trois notions de base de toute initiation mathématique : la notion de conservation (des quantités, des distances, des longueurs), celle de la réversibilité d’une opération et la notion dite de possibilité d’ordonner les mesures. Pour les psychologues, dont Piaget, qui se sont penchés sur la problématique «développement de l’enfant et exigence de l’école», ces notions essentielles de mathématiques ne sont  pas maîtrisées par l’enfant avant 6 ou 7 ans. Jamais à l’âge de 5 ans ! Exception faite  pour les enfants précoces (les surdoués) dont la détection et la prise en charge nécessite toute une stratégie d’envergure nationale. Un enfant précoce souffre et échoue dans un milieu scolaire non adapté.
 La plus difficile et la plus importante des tâches que ressentent  tous les enseignants de 1re AP avec des élèves non préscolarisés est incontestablement le passage de la langue parlée — que l’enfant maîtrise, y compris avec une syntaxe approximative — à sa matérialisation graphique (vers la langue écrite). Leur mission est de travailler avec méthode et professionnalisme afin d’amener l’enfant à aller à cette «conquête» de la langue écrite. Un chemin de croix au prix de mille et un tâtonnements, de doutes, de peurs et parfois de sensation d’échec. Là réside le gros risque aggravé par l’interdit du recours ponctuel à la langue maternelle. Un recours bienvenu qui le sécurise, le met en confiance. Et lui facilite l’accès, de façon progressive, à la langue scolaire. Qu’on se souvienne de l’école coloniale et des traumatismes subis par les «élèves indigènes» qui étaient punis au motif qu’ils avaient lâché un mot dans leur langue maternelle (tamazight, arabe algérien, ou autres langues africaines). 
C’était la pédagogie du bâton  de l’acculturation menée par la puissance coloniale. Une pédagogie noire dont est férue toute dictature,  politique et/ou culturelle et qui fait saliver une certaine «élite» algérienne mais aussi dans d’autres anciennes colonies. Des «élites» cultivant le rêve d’un formatage idéologique via l’école et la langue scolaire, passage obligé vers la funeste  pensée/conscience UNIQUE. Et qui dit formatage dit gommage des spécificités linguistiques.
Les enfants ont une patrie, celle  du jeu pour le jeu, mais qui, en réalité, les initie, les forme, les éduque et les prépare. Un enfant ne peut être que mal dans sa peau, frustré, traumatisé parfois, lorsqu’on le prive de son enfance et qu’on le jette tôt (à 5, voire 6 ans) dans la discipline, la compétition exigées  par l’école. Depuis des décennies, les travaux de recherche sur l’échec scolaire ont clairement mis en évidence les faits suivants :
- Les enfants entrés trop tôt à l’école (5 ans ou 4 ans et les 6 ans ne font pas exception) constituent une bonne proportion dans les taux d’échecs qui surviennent le long du parcours scolaire. Parmi eux des réussites, évidemment.  Mais a-t-on évalué le degré de souffrance qu’ils ont enduré pour s’accrocher au TGV de l’école et réussir selon les normes fixées par l’institution ?
- Cette catégorie d’élèves prématurés est plus sensible aux  troubles d’apprentissage, notamment la dyslexie légère. Dont acte !
A. T. 

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