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Rubrique Contribution

L’expédition d’Alger Entre le glaive et la croix

Par Mostefa Zeghlache
«La victoire obtenue par la violence équivaut à une défaite, car elle est momentanée»
(Mahatma M. K. Gandhi)

Alger, le 5 juillet 1830. Villa du Traité, Djenane Raïs Hamidou. Signature de la convention algéro-française par le dey d’Alger, Hussein, et le maréchal De Bourmont, commandant des troupes de l’expédition française, portant capitulation du dey et sanctionnant la prise d’Alger et ses environs. L’expédition ouvre la voie à une occupation coloniale de peuplement qui s’étendra progressivement sur toute l’étendue du pays par le recours de la puissance coloniale à une politique répressive des plus sanglantes de l’histoire coloniale, de 1830 à 1962, soit durant 132 ans. 
Le génocide colonial de la France rencontrera durant toute cette période une résistance farouche et multiforme du peuple algérien qui aboutira, le 5 juillet 1962, à l’indépendance nationale.
Dans ce contexte, l’occupation coloniale n’a jamais été la conséquence d’une prétendue volonté d’effacer un «affront» fait à la France par un coup d’éventail donné par le dey au consul général Deval, mais bien d’une stratégie mûrement planifiée de longue date par la France et ses alliés du monde occidental-chrétien et à laquelle le Vatican n’était pas étranger. L’attitude du Vatican, centre de la chrétienté et plus précisément du catholicisme mondial, envers la Régence d’Alger et sa conquête par la France est un volet historique peu connu, voire méconnu du grand public algérien. 
Pour rappel, l’arrivée puis l’implantation des frères Aroudj et Kheir-Eddine Barberousse entre 1510 et 1516 sont à l’origine de la naissance de ce qui deviendra la puissante Régence d’Alger comme Etat vassal de l’Empire ottoman ou Sublime Porte, d’abord, puis, progressivement, comme Etat autonome.
Auparavant, les frères Barberousse s’étaient illustrés par leur action en faveur des rescapés musulmans de la Reconquista de l’Occident chrétien en Andalousie, Espagne. Ces rescapés étaient conduits en Afrique du Nord après que le dernier bastion musulman à Grenade est tombé entre les mains des «Rois catholiques», le 2 janvier 1492. c’est en libérateurs qu’ils interviennent contre l’occupation espagnole et sont acclamés par les Algérois dont ils deviennent les dirigeants. 
Dès leur accession au pouvoir à Alger et dans les principales villes côtières algériennes telles Djidjeli, Oran et Béjaïa, et en marins chevronnés, les Ottomans développent une marine algérienne qui sillonne la Méditerranée et domine progressivement la navigation dans la région. 
La piraterie finit par se développer sous le nom de «course barbaresque», au point où les puissances européennes durent se liguer pour mener contre la Régence d’incessantes agressions concertées qui culminent avec l’expédition française de 1830. 
Les guerres et razzias européennes commencent tôt avec Hugo de Moncade vers 1518, soit deux ans seulement après l’institution de la Régence d’Alger. Elles s’identifient souvent à une lutte entre la chrétienté et l’Islam et à une croisade, quoique le fondement réel de cette confrontation est éminemment politique et économique (commercial). 
Au début du XIXe siècle, la coalition de puissances euro-chrétiennes contre la Régence et les Beylicats de Tunis et de Tripoli associe, dans une sorte de «Ligue des nations chrétiennes» l’Espagne, la Hollande, la France, l’Angleterre, la Russie, le Portugal, le Danemark, la Suède, la Norvège, la Sardaigne, le Hanovre, la République de Venise… et le Vatican auxquels il faut ajouter les Etats-Unis d’Amérique. Alger principalement et d’autres villes côtières algériennes étaient la cible d’incessantes attaques des puissances européennes notamment espagnole, française, anglaise et portugaise. 
La France a mené, à elle seule, entre la création de la Régence et 1830 plus de 15 expéditions militaires dont les plus importantes, avant 1830, ont été commandées par le Duc de Beaufort en 1664, Duquesne en juillet 1682 et juin 1683 et le maréchal d’Estrées, en juin 1688.
Toutes ces expéditions militaires étaient saluées et encouragées par le Saint-Siège en tant que «croisade contre les infidèles». 
Dans l’impossibilité de soumettre le pouvoir d’Alger, les Européens étaient exaspérés et commençaient à envisager une action «punitive» comme l’écrivait au ministre français des Affaires étrangères en 1761, Théodore Groisselle, vicaire apostolique faisant fonction de consul de France à Alger : «Il est temps de frapper un grand coup, de rappeler tous les Français d’Alger et de châtier les Puissances (d’Alger) jusqu’à ce qu’elles crient miséricorde, puis de les laisser longtemps à l’implorer en exigeant satisfaction pour la plus petite infraction…» (Plantet P 27). 
Mais la force militaire algérienne était telle que nombre de puissances européennes durent signer avec la Régence des traités de paix qui les contraignaient à payer des tributs au dey d’Alger. 
Les prises d’otages constituaient aussi une source d’enrichissement des corsaires et pirates de part et d’autre. En 1578, il y avait à Alger plus de 25 000 captifs français, espagnols, dont le célèbre Cervantès captif à Alger en septembre 1575, italiens, maltais et d’autres nationalités. Ils étaient 30 000 en 1635, et 500 en 1830. Et presqu’autant de captifs algériens dans les geôles européennes. Les alliances et l’action concertée des puissances européennes contre la Régence l’avaient affaiblie, en 1830.
S’agissant de la France, la révolution de 1789 avait été favorablement accueillie à Alger. Le gouvernement révolutionnaire français, en froid avec de nombreux gouvernements européens royalistes, put compter sur le soutien et la compréhension du dey décrit comme un «ami généreux et un allié fidèle». Dans ce contexte, le gouvernement d’Alger accorda à Paris un prêt sans intérêts de plusieurs millions de francs-or, des céréales nécessaires aux armées françaises, du cuir… Le dey déclarait que «c’est au besoin que doit se faire connaître un vrai ami». 
Le ministre français des Affaires étrangères lui avait répondu : «Nous sommes flattés de ton amitié, jaloux de la conserver et de te donner des preuves de la nôtre. Nous désirons qu’elle soit éternelle.» 
Cette dette avait atteint, selon la Convention du 28 octobre 1819, le montant de 7 millions de francs-or et près de 350 millions, en 1827, que réclamait, à juste titre, le dey Mustapha à la France qui refusait de l’honorer.  C’est là qu’interviennent deux négociants juifs de Livourne, Joseph Bakri et Nephtali Busnach, qui avaient à Alger une importante maison de commerce. Ces derniers, en véritables intrigants, avaient fait monter la tension entre le dey et le roi de France et impliqué Talleyrand dans leurs combines.
L’arrogance, l’insolence et l’ingratitude des autorités françaises apparaissent clairement et bien plus tôt, en 1802, dans la lettre du Premier Consul Napoléon Bonaparte au dey Mustapha : «Dieu a décidé que tous ceux qui seraient injustes envers Moi seraient punis. Je n’ai jamais rien payé à personne et, grâce à Dieu, j’ai imposé la loi à tous mes ennemis… Si vous refusez de me donner satisfaction…, je débarquerai 80 000 hommes sur vos côtes et je détruirai votre Régence. Ma résolution est immuable.»
 Il est vrai qu’à Paris on avait pris le soin de lire les Mémoires pour détruire Alger du capitaine Lefort en date de 1763 qui évoquaient déjà un projet de débarquement à deux lieues de la ville et Le projet d’expédition contre la Régence d’Alger de Jeanbon Saint-André, de 1802 !
Pour « l’anecdote, rappelons que le dey Hussein convoqua, le 29 avril 1827, le consul général de France à Alger, Pierre Deval, pour lui réclamer le paiement par l’Etat français de sa dette. Il se voit répondre de façon outrancière par Deval auquel il assène un simple soufflet avec son éventail. Le prétexte est trouvé pour justifier une expédition contre la Régence d’Alger «ruminée» depuis des siècles et qui n’aura lieu que… plus de trois ans après cet incident protocolaire ! 
Ce prétexte sera galvaudé dans les manuels d’histoire de la France coloniale avec, pour fondement, la «mission» de la France au service du «monde civilisé» et de la chrétienté. En réalité, «l’outrage infligé à Deval ne fut que la goutte faisant déborder le vase. La France avait tenté plus que toutes les autres nations de civiliser cette race malfaisante ; dans l’impossibilité de la châtier utilement, elle l’a supprima ; vingt jours lui suffirent pour assurer sa victoire et pour servir, une fois de plus, la cause de la civilisation du monde… Un service sans égal rendu à la chrétienté» (Plantet P. 61).
L’alibi «civilisationnel» est repris en 1885 par Jules Ferry qui déclarait : «Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures… Elles ont un droit de civiliser les races inférieures.» Le désir de «punir» le pouvoir à Alger pour les assauts de sa flotte contre celles des puissances européennes — dans le cadre de la course (corso en espagnol) en Méditerranée — était évident. 
Déjà le 13 octobre 1640, le cardinal Richelieu écrivait : «Il faut absolument faire quelque chose avec ces gens-là ou rompre tout à fait — le roi ayant les moyens de les faire venir à la raison.» 
Depuis longtemps, les historiens conviennent que les arguments ayant présidé à la mise en œuvre de l’expédition française contre notre pays sont à chercher ailleurs que dans l’«affaire Deval». Il s’agit, entre autres, d’un «hold-up» organisé par le «Fils Aîné de l’Eglise», le roi de France, pour  accaparer le trésor de la Régence ou de la «Cassauba» (Casbah), comme l’écrit Michel Habart et estimé par l’historien Michaud à 350 millions de franc-or (près de 2 milliards d’euros). Pour sa part, Pierre Péant considère que l’expédition fut un  «hold-up financier jamais admis». Il y ajoute que cette «manne fabuleuse n’a pas atterri dans les seules caisses de l’Etat français. Le roi Louis Philippe, les hauts gradés, les banquiers et les industriels français en ont bénéficié». D’ailleurs, les frais de l’expédition évalués à 43 610 000 Francs-or ont été largement couverts par les 48 680 000 récupérés du trésor de la Régence, comme réparations de guerre.
Parmi les autres arguments figurent les rivalités de puissance entre la France, l’Espagne, l’Angleterre et la Sublime Porte. Même l’Egypte du pacha Mohamed Ali voulait, plus tard, avoir son mot à dire, à l’instigation de Londres qui tentait de freiner l’expansion française en méditerranée. 
A cet effet, des discussions avaient eu lieu avec la France (G. Douin). Le Vatican redoutant la présence d’une puissance musulmane à Alger a tout fait pour leur échec. De plus, l’expansion commerciale du capitalisme européen naissant ne pouvait s’accommoder de la présence gênante d’une puissance maritime musulmane en Méditerranée. Par ailleurs, l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique en juillet 1776, le discours du président James Monroe au Congrès, le 2 décembre 1823, dans lequel il déclare notamment que «l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud ne sont plus ouvertes à la colonisation européenne» (doctrine Monroe) et le capitalisme montant en Europe, incitent les puissances européennes à se lancer dans une course effrénée à la conquête de nouveaux territoires en Afrique et en Asie et la constitution de véritables empires coloniaux. Comme le souligne Décencière-Ferrandière, «l’émancipation de l’Amérique fut un coup fort rude pour l’action colonisatrice de l’Europe» (Belkherroubi P. 17).
Les velléités françaises d’occupation et de soumission de la Régence d’Alger étaient évidentes mais manquaient – au début – d’un projet d’occupation étendue et durable du pays. Depuis le début de la Régence sont apparus des projets saugrenus consistant à confier le trône d’Alger à des personnages ou des entités européennes, parfois en associant le pouvoir central à Constantinople. 
Parmi les «projets» les plus célèbres, figure celui qu’ébauchait la reine Catherine de Médicis, en 1572, de placer un de ses fils, le Duc d’Anjou (futur Henri III), sur le trône de la Régence en tant que roi d’Alger, «quoique tributaire du sultan ottoman». 
L’idée fut cependant abandonnée sur recommandation de l’ambassadeur français auprès de la Sublime Porte, François de Noailles, Evêque de Dax qui considérait qu’il ne fallait pas irriter le sultan ottoman, un important allié de la France.
Pour revenir à l’expédition militaire, rappelons seulement que la flotte française a quitté Toulon le 25 mai 1830 à destination d’Alger avec 38 000 hommes, 103 navires de guerre, et 4 500 chevaux. Le débarquement a lieu le 14 juin. Les troupes d’invasion font face à la première résistance spontanée des citoyens algériens (pas de l’armée ottomane). Le dey capitule le 5 juillet et signe la Convention qui stipule notamment que «l’exercice de la religion mahométane sera libre. La liberté des habitants de toutes les classes, leur religion, leurs propriétés, leur commerce et leur industrie, ne recevront aucune atteinte…». La religion dont il s’agit est évidemment l’Islam qui avait été combattu par l’Eglise de 1095 à 1291 durant les neuf périodes des croisades et la Reconquista en Andalousie et le sera durant les 132 ans d’occupation coloniale. 
Quelle fut la politique du Vatican avec la Régence et son attitude envers l’expédition de 1830 ? Il n’y a pas lieu de remonter jusqu’aux croisades ou à la Reconquista pour déceler la volonté de l’Eglise de contrer la religion musulmane et les Etats musulmans dans le monde dont et y compris la Régence d’Alger, en s’associant aux puissances de la chrétienté dans le monde. Différentes tentatives ont été envisagées par le Saint-Siège pour déstabiliser ou détruire la puissance de la Régence. Tel a été le cas, par exemple, en 1750 lorsque le pape Benoît XIV envisagea, avec les Etats de Malte, Gênes, Livourne, Venise et les Deux-Siciles, de lancer une expédition militaire contre Oran avec une armée de 12 000 hommes. Le projet est vite abandonné. Tout comme le sera son appel, en 1780, à la constitution d’une coalition militaire avec d’autres puissances européennes contre Alger (Plantet 54).
Au plus fort de la puissance de la Régence, de nombreux Etats européens avaient signé des traités de paix avec la Régence qui mettaient leurs flottes à l’abri des attaques de la marine de guerre algérienne. Ce que pouvait faire le Vatican pour protéger la sienne. Mais il s’entêtait à le refuser. 
En effet et contrairement à d’autres Etats européens, le Vatican rechignait à signer avec Alger un tel traité. Ce projet était jugé par le pouvoir ecclésiastique «humiliant». Dans une correspondance du Nonce apostolique (ambassadeur du Vatican) à Paris, du 24 mai 1825, adressée au secrétaire d’Etat à Rome, il écrivait : «Je suis intimement convaincu qu’un traité formel avec les barbaresques, ennemis jurés du nom chrétien, serait pour soi-même, et par les conditions inévitables, humiliant et déshonorant pour le Saint-Siège apostolique… Je ne crois pas que l’on obtiendrait des Africains une sécurité plus stable et positive en concluant avec eux un traité» (Vaglieri P.24). Et pourtant, un traité similaire avait été signé, en 1818, avec le pacha de Tripoli, grâce à une médiation anglaise. 
En effet, le Vatican entretenait à l’égard des Régences d’Alger, Tunis et Tripoli une sorte d’hostilité permanente subtilement teintée de religiosité et de mépris, hostilité que le Saint-Siège ne pouvait traduire militairement à lui seul. Pour cela, il avait besoin de s’associer, voire de se mettre sous l’aile protectrice de puissances comme la France catholique. L’occasion se présenta lorsque le Vatican avait estimé que Tripoli ne respectait pas ses engagements prévus dans le traité de 1818 et sollicita l’intervention française contre Tripoli. La France ne se fit pas prier pour entrer en action.
En effet, le gouvernement français envoya, à la demande du Vatican, une division navale pour organiser le blocus de Tripoli et faire pression sur le pacha qui dût signer un nouveau traité avec le Vatican, le 12 décembre 1825. Satisfait de cet acte de piratage, le roi de France Charles X écrivait, le 15 janvier 1826, au pape : «Très Saint-Père… La véritable affection que j’ai pour Votre Sainteté m’a déterminé dans les dernières mesures que j’ai prises avec les chefs de ces régences pour étendre à ses sujets, la protection et la sûreté dont je veux faire jouir la navigation et le commerce français.»
C’est dans ce contexte que, suite à la capture, en juillet 1826, de deux de ses navires par la marine algérienne et refusant de traiter directement avec le dey comme ce dernier le souhaitait, le Vatican sollicita formellement l’intervention de la France contre la Régence, qui lui a répondu favorablement. 
En guise de mesure d’intimidation, la France envoya, en octobre 1826, une frégate devant Alger, sans résultat. Le Vatican décida alors d’augmenter ses pressions sur les autorités françaises convaincu de la disponibilité de la France à s’engager militairement et à grande échelle contre Alger.
 Tous les moyens étaient bons pour cela, y compris le recours aux sentiments. C’est ce qui ressort d’une correspondance du nonce à Paris au Saint-Siège en date du 9 mars 1827 dans laquelle l’auteur révèle : «Je n’ai pas manqué de faire observer que la gloire de la couronne de France y était trop impliquée… que l’affaire était désormais devenue aussi, face à l’Europe, l’affaire de la France et lui incombait de faire respecter la sainteté des traités et de venger l’infraction commise par ces barbares.»
Plus qu’un souhait, au Vatican, on avait la certitude de l’imminence de l’intervention militaire française contre la Régence. C’est ce qu’indique une correspondance chiffrée du cardinal Macchi, nonce à Paris, au secrétaire d’Etat du Vatican, le 20 février 1827, dans laquelle il écrivait : «Je crois pouvoir assurer Votre Eminence qu’au printemps prochain Sa Majesté Très Chrétienne fera partir de ses ports une importante flotte armée en guerre contre Alger afin d’obliger, par la force, cette Régence à observer la promesse faite à Sa Majesté de respecter le pavillon pontifical… Une telle mesure vigoureuse et la nouvelle que j’anticipe à V. E. exigent tout le secret afin qu’elle ne transparaisse pas vers le dey et qu’il ne se prépare à sa défense» (Plantet P 46). 
A Rome, on savait se montrer reconnaissant à la France. Le secrétaire d’Etat du Vatican écrivait le 27 juillet 1827 au nonce à Paris : «Le Saint-Père reconnaissant… combien soit vif l’engagement, qu’en cette nouvelle occasion, a pris Sa Majesté pour la défense du pavillon pontifical et pour la réparation des torts que Sa Majesté a reçus de cette Régence.» 
L’incident des deux navires n’était qu’un prétexte pour le Vatican d’accroître les pressions sur Alger. En effet, la volonté française de faire main basse sur les richesses et ressources du pays qui était manifeste depuis très longtemps tendait à se faire de plus en plus pressante sans avoir, pour autant, une stratégie d’occupation durable qui s’avérait, a priori, coûteuse pour le Trésor français. Aussi, le Vatican, qui soutenait cette stratégie, s’était-il senti concerné pour contribuer à sa mise en œuvre à condition que le pouvoir qui remplacerait celui du dey ne soit pas musulman, allusion faite à la Sublime Porte. Et s’il n’est pas musulman, il ne sera que chrétien et catholique.
Le 20 mars 1830, le nonce à Paris, le cardinal Lumbruschini, envoie un courrier chiffré au ministre des Affaires étrangères français, le prince Jules de Polignac, dans lequel il souligne sa certitude (souhait ?) de la guerre contre le dey d’Alger en précisant que «nous devons prier pour que l’issue corresponde à notre attente» (Vaglieri P.68). Reprenant une proposition du Premier ministre Sarde, il évoque la possibilité de confier le pouvoir à Alger à… l’Ordre de Malte ! Expliquant que «la France ne pouvant, pour des raisons politiques, conserver pour soi ce domaine», il fallait éviter de laisser le champ libre à une intervention d’un pouvoir musulman, en l’occurrence le vice-roi d’Égypte. Il était aussi convaincu que la rivale Angleterre qui occupe Malte n’y verrait pas d’inconvénient. Mais l’Albion s’y opposa fermement et le projet fut abandonné. Dès qu’Alger est tombée entre les mains des Français et avec l’exclusion de l’éventualité d’un pouvoir musulman à la tête de la Régence, le Saint-Siège s’empresse pour que ce pouvoir soit entre les mains de dirigeants catholiques. Le secrétaire d’Etat lance – officieusement — l’idée de confier ce trône à un prince espagnol qui épouserait Di Maria, future reine du Portugal, en 1834. Le désir d’éloigner cette prétendante du trône portugais relevait de la volonté papale d’assurer la relève à Alger par un pouvoir au service de l’Eglise. Le projet a été abandonné.
Dès que l’expédition avait commencé, le Vatican s’en réjouit et le fit savoir  par la plume du cardinal Albani : «Le Père commun des fidèles (Pie VIII) se réjouit des conséquences heureuses que l’entreprise rapportera à toutes les nations catholiques, un bienfait qu’Il doit au Fils Aîné de l’Eglise, à l’héritier du Trône et des vertus de ce saint Roi…» Auparavant, le nonce à Paris avait déclaré au cours d’une audience que lui avait accordée le roi que le pape «élevait les plus ardents vœux au Ciel pour le rapide et brillant succès de ses valeureuses armées sur les plages d’Alger» (Vaglieri P.87).
Dans sa correspondance au roi de France, Charles X, en date du 27 juillet 1830, le secrétaire d’Etat du Vatican évoque «l’exultation de N. S. pour l’issue aussi glorieuse qu’heureuse dont il a plu à Dieu de couronner l’expédition française d’Alger» grâce, «principalement aux ardentes prières de la sainteté de Notre Seigneur» (pape).
Le 5 juillet 1830, le pouvoir érigé par les frères Barberousse s’effritait face à une puissance étrangère, sans résistance. Le dey Hussein quitte Alger sur la pointe des pieds, en étranger dans un pays où lui et ses prédécesseurs ont vécu en étrangers. La résistance sera algérienne.
Dans cette contribution, il n’a jamais été question de culpabiliser quiconque pour des évènements qui se sont déroulés, parfois, il y a plusieurs siècles. Mais le devoir de réappropriation de notre mémoire nous invite à relire objectivement un pan de notre histoire. La France a colonisé notre pays et le Vatican a eu, à l’époque, une attitude conciliante, voire complice de l’agression française. 
Il ne s’agit pas de se situer dans le sillage de la guerre des religions ou des civilisations. L’Eglise en Algérie a connu un essor à une époque donnée, illustré notamment pas le grand réformateur saint Augustin, évêque d’Hippone. Durant la guerre de libération, certains de ses serviteurs ont pris fait et cause pour la lutte de libération du peuple algérien. Tout comme elle a connu des moments moins honorables où le prêtre a précédé ou servi d’alibi à une politique coloniale inhumaine. L’exemple le plus évident a été le rôle joué par l’ermite catholique et agent de l’armée coloniale (lire G. Gorrée) Charles de Foucauld et le cardinal Lavigerie qui déclarait : «Il faut relever ce peuple. Il faut cesser de le parquer dans son Coran comme on l’a fait trop longtemps… Il faut que la France lui donne, je me trompe, lui laisse l’Evangile ou qu’elle le chasse dans le désert, loin du monde civilisé» (Ouzegane P. 56). Omar Ouzegane écrit à ce sujet (P73) : «Le missionnaire a toujours précédé, accompagné ou suivi le conquérant, étranger comme lui, expropriateur des terres, coupeur de vergers, destructeurs des mosquées, voleur de biens habous.» 
5 juillet 1962-5 juillet 2019, 57 ans après l’indépendance, les Algériennes et les Algériens manifestent dans les rues du pays brandissant le slogan : 5 juillet 1962, le pays s’est libéré, 5 juillet 2019, le peuple se libère. L’élan salvateur de la jeunesse algérienne tire son inspiration et puise son modèle des jeunes patriotes qui, de 1830 à 1962, avaient opté pour la résistance. 
La révolution pacifique entamée un certain 22 février 2019 émerveille le monde entier et promet un avenir meilleur. Dans ce contexte les jeunes et moins jeunes qui veulent se réapproprier et refaçonner la mémoire nationale ont besoin de mieux connaître, de comprendre et de s’inspirer de l’histoire de leur pays et tout ce qui a constitué la trame de la résistance nationale.
M. Z.

Bibliographie sommaire :

- Pierre Péant : Main basse sur Alger, enquête sur un pillage, juillet 1830. Ed. Plon Paris 2004.
- Veccia Vaglieri : «Documenti vaticani relativi ad Algeri. 1825-1830» revue Oriente Moderno Roma 1930. Traduction et préface d’Emmanuel Bataille Les archives secrètes du Vatican sur la conquête de l’Algérie. Ed. Alam El Afkar - Alger. 
- Georges Douin : Mohamed Aly et l’expédition d’Alger (1829-1830) Le Caire, Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire, 1930.
- Amar Ouzegane : Le révolutionnaire heureux -Ed. Alem El Afkar - Alger 2016.
- Abdelmadjid Belkherroubi : La naissance et la reconnaissance de la République algérienne Ed. Sned Alger 1982.
- Eugène Plantet : Les consuls de France à Alger avant la conquête 1579-1830, Ed. Alem El Afkar-Alger.
- Michel Habart : Histoire de la colonisation française, Ed. De Minuit, Paris 1960.
- George Gorrée : Charles de Foucauld, officier de renseignement, Paris 1939.
- Wikipedia : site électronique consulté à plusieurs reprises.

 

 

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