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Rubrique Contribution

École Éradiquer la clandestinité

Par Ahmed Tessa, pédagogue
Au vu de leur nocivité (voir ses dérives dans les contributions précédentes), les cours clandestins nécessitent la même démarche que pour l’éradication des maladies contagieuses potentiellement mortelles : contenir la maladie dans un premier temps pour, ensuite, la faire disparaître du paysage socioéducatif. Ayant pris de l’ampleur au point de devenir un phénomène de société, ce fléau, pour être éliminé définitivement, a besoin d’une thérapie lourde. 

Quoique disposant d’atouts solides, le ministère de l’Education nationale, seul, ne pourra jamais le faire disparaître. D’autres institutions ont un rôle décisif à jouer, on citera les autorités en charge de la traque de l’évasion fiscale et celles chargées de la sécurité et enfin, au tout début, celle qui légifère. Quels sont les types d’interventions exigées pour «lutter» contre la propagation de ce «virus» des cours clandestins ? Ils se résument en deux actions : la prévention et la dissuasion.

La prévention
Si le profil vorace et sans scrupules de ses promoteurs nourrit ce fléau, on ne peut occulter l’angoisse suscitée chez les parents et leurs enfants par la logique de compétition installée par notre système scolaire : école/arène de combat. 
Un climat anxiogène s’installe dans les familles et dans les salles de classe dès la première année du primaire. Un climat qui monte crescendo en intensité et ce, la scolarité durant. N’est-ce pas que c’est dans le sillage de la « réforme», suite à la réintroduction de l’examen de sixième et du brevet/passage au lycée, que le fléau a gangrené les cycles primaire et moyen ? Avant que ne soient mis en place ces deux examens/obstacles, les cours payants ne touchaient que les candidats au bac.
Cette angoisse parentale s’explique par les effets néfastes induits par les dispositifs pédagogiques (évaluation, méthode d’enseignement programmes,) considérés, à tort,  comme étant des stimulants pour motiver les élèves. Le discours officiel prétend que ces stimulants ont un double objectif : amener les élèves à travailler et inciter les familles à s’intéresser aux études de leurs enfants. Pure illusion ! Ce climat anxiogène a engendré une peur de l’échec, de la réprimande si ce n’est de la sanction/punition par le biais de la mauvaise note ou salaire de la peur. Il est indéniable que pour être efficace, la lutte contre ce fléau passe d’abord par une mise à plat de toute la stratégie pédagogique actuelle. Cette dernière a montré ses limites en servant de carburant alimentant le feu de ces cours clandestins. 
La prévention passe, en premier lieu, par l’intervention des autorités scolaires. C’est dans la logique d’une évaluation dévoyée que s’inscrit cette mode dévastatrice. Un changement de système d’évaluation pourra grandement atténuer les ravages de ce mal pernicieux. Bien des pays ont réussi ce pari, la Finlande, entre autres. Sans entrer dans les détails, il y a lieu de souligner que ce changement de paradigme pédagogique se fera selon l’esprit et la lettre d’une pédagogie de la réussite, antidote à l’évaluation/compétition. Avec, bien entendu, un remaniement profond des programmes d’enseignement et une formation/sensibilisation de tous les acteurs du processus éducatif. Cette démarche préventive aura pour conséquence immédiate de réduire (sans l’éliminer) la source qui alimente cette machine commerciale des cours payants. Les «en… saignants/commerçants» n’auront plus d’arguments solides à faire valoir pour angoisser, via la note/épouvantail les parents et les élèves. Un seul exemple pour montrer l’importance de l’évaluation. 
Au lancement de la réforme, on croyait que l’innovation, qu’elle supposait apporter, allait changer la nature des épreuves d’examen. Nenni ! Comme au bon vieux temps de la pédagogie de l’entonnoir (tête mal pleine et non bien pleine), on exigera du candidat la restitution de ce qu’il a mémorisé. Pour avoir la bonne note, il/elle apprendra par cœur, y compris en philosophie (ou le semblant de philosophie), voire en mathématiques et en physique avec les problèmes-types rabâchés à longueur d’année. Le comble ! L’école algérienne a atteint le paroxysme de la dévitalisation cérébrale en étouffant dans l’œuf les fonctions intellectuelles supérieures de nos enfants : compréhension, analyse, synthèse, créativité. Et pourtant, des épreuves d’évaluation basées sur ces fonctions intellectuelles boosteraient le potentiel intellectuel des élèves et annuleraient, d’emblée, le bachotage chez l’enseignant. Exit l’argument des commerçants de cours clandestins. Ils ne pourront plus dispenser la recette-miracle du problème-type à mémoriser par réflexe. 
On aura compris la levée de boucliers contre les recommandations de la Conférence nationale d’évaluation de la réforme organisée en juillet 2015. Elle préconisait, entre autres, de revoir le système d’évaluation. Pauvres enfants d’Algérie ! Ils sont pris en otage par l’égoïsme/cécité idéologique des adultes.
Dans la pédagogie de la réussite, l’école n’évalue pas seulement l’élève – son comportement, son attitude, ses efforts, son travail. Mais aussi les outils qui ont servi de supports aux apprentissages, à savoir : le manuel, le programme, la méthode d’enseignement et le professionnalisme de l’enseignant. L’évaluation est ici comprise sous l’angle de l’observation permanente et minutieuse du comportement et de l’attitude de l’élève en classe. La coopération entre élèves est encouragée. L’erreur lors d’une interrogation, d’un exercice ou d’un problème ne constitue plus cette épée de Damoclès qui inhibe l’effort et panique l’élève. L’erreur est dédramatisée pour être perçue et intériorisée comme étape positive dans la quête de la solution. Le tâtonnement expérimental, caractéristique des chercheurs en laboratoire, donne des résultats probants : l’élève cherche, se corrige, vérifie et reprend jusqu’à approcher la solution. 
Le maître est là pour le guider, l’orienter et le motiver et non pour le sanctionner au premier couac ! La note – si note il y a – lui servira de boussole qui oriente ses efforts. Et non d’épouvantail !
Pourquoi noter à des fins de compétition/sélection si ce n’est pour marquer la toute-puissance du dispensateur de savoir qu’est l’institution scolaire ? En intégrant cette idée, l’élève se retrouve en position d’infériorité, de dominé. Dès sa première année d’école, il est complexé, apeuré, stressé. Pour être un bon élève, il doit se soumettre aux normes de la compétition, se couler dans le moule de la norme (arbitraire) scolaire. Celle qui nivelle. 
Celle qui ne laisse aucune place à l’originalité, aux dons et ignore l’hétérogénéité des niveaux tant entre élèves que chez le même élève. Celui-ci peut prétendre à l’excellence en mathématiques et trébucher dans la maîtrise des langues. Le moule de la norme scolaire pousse l’élève à la soumission/docilité, quitte à faire violence à son équilibre psychoaffectif et à son rythme naturel d’acquisition/assimilation. Il ira tricher pour décrocher la bonne note, celle imposée par la norme. La seule évaluation qui gomme ces dérives est celle qui privilégie la dimension formative et formatrice. Sa fonction pédagogique l’emporte, et de loin, sur sa fonction sociale. La première stimule l’élève et le motive à s’auto-évaluer et accepter ses erreurs pour mieux les comprendre et les corriger. Dans un tel contexte, la note au service de la compétition entre les élèves disparaît pour laisser place à l’appréciation qualitative. Une appréciation qui conseille, oriente et relativise l’échec. En appoint, vient la remédiation/remise à niveau instantanée – et non différée — ainsi que l’encouragement. Dans un tel contexte où la note est dédramatisée, il n’y aura plus de méfiance /défiance dans la relation que développe l’élève avec l’enseignement qui lui est dispensé, ni avec son enseignant. Si celui-ci appartient à la minorité des «en... saignants»/commerçants, il ne pourra plus jouer sur la peur, l’angoisse pour alimenter son commerce de cours payants. En asséchant la source des cours payants, un tel contexte humanisé, basé sur la confiance, atténue les situations conflictuelles — qui souvent mènent vers des comportements violents au sein de l’école — disparaissent ou du moins s’atténuent grandement. Il est vrai que ce sont là de belles paroles qui n’ont pas d’effet dans un paysage scolaire envahi par des idées reçues fossilisées depuis plus d’un siècle. A moins d’une révolution copernicienne des mentalités chez tous les acteurs de l’éducation.

Dissuasion
Les «boîtes à bachotage» agréées par l’Etat ont pignon sur rue dans les pays qui pratiquent l’école/compétition et ce, pour des raisons idéologiques évidentes. Nous les retrouvons  dans certains pays d’Europe (la France surtout) et dans la majorité des pays asiatiques où la compétition scolaire fait rage. Elles sont juridiquement encadrées et émargent au fisc. Toutefois, ces entreprises commerciales officialisées sont tenues de respecter un cahier des charges qui fixe la traçabilité de l’argent qui y transite. Tout est facturé et formalisé par contrat : des traces écrites qui servent au contrôle fiscal. 
Les patrons et leurs employés sont soumis à l’impôt. Des précautions sont prévues par la réglementation : salubrité et sécurité des locaux, assurance, effectifs, profil et statut des enseignants… Comme on l’aura compris, ces entreprises commerciales s’inscrivent dans le contexte de l’économie capitaliste qui conditionne les parents et les élèves en les poussant à consommer toujours plus. Ils deviennent des clients de l’éducation scolaire devenue ainsi un service payant. Le consumérisme à tout-va ! Mais un bémol : point d’évasion fiscale. Le parent exige une facture en bonne et due forme. Pas comme dans nos «usines à bachotage» où les billets froissés transitent de poche à poche. Il nous faut souligner que ces boîtes à bachotage n’ont pas lieu d’exister dans le cadre d’une école qui axe ses efforts sur la pédagogie de la réussite avec comme moteurs : des programmes allégés, des méthodes interactives et une évaluation formative et formatrice, une revalorisation de l’EPS, des arts et de la culture au sens large. 
Une utopie chez les esprits ankylosés. En urgence, il y a lieu d’actionner le levier de la loi pour mettre fin à ces spectacles honteux : des enfants/adolescents avec leurs cartables marchant d’un pas pressé vers le garage du commerçant, en fin de journée, les week-ends et jours fériés. 
Certains pays ont légiféré pour sanctionner les comportements de ces maquignons de la pédagogie. Il est grand temps de mettre de l’ordre dans ce commerce informel dans le secteur de l’éducation. 
Pas seulement dans les cours payants, il touche également les cantines clandestines ainsi que les livres parascolaires frelatés. Une priorité pour les décideurs et pour les citoyens : assainir, moraliser ce secteur et capter ainsi des ressources pour le Trésors public via la fiscalité. Il convient de les amener par la force de la loi à souscrire à une réglementation qui, malheureusement, n’existe pas de nos jours. Et ce, dans l’attente de la REFONDATION de l’école algérienne. Un autre débat !
A. T.
([email protected])

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