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Rubrique Contribution

Être proche… à distance

Par le Pr Baddari Kamel(*)
À l’aune de l’expérience algérienne de l’enseignement à distance
L’enseignement à distance n’a jamais été une tradition de l’université algérienne, bien qu’il ait toujours été une préoccupation d’importance dans les plans et les stratégies du ministère en charge de l’Enseignement supérieur. Il a notamment été envisagé comme un palliatif pour parer à certains méfaits de la massification des effectifs. Malgré tout, cet enseignement a été suggéré sans qu’il soit arrivé à s’imposer. Il ne s’est imposé comme seul choix pour assurer le continuum des enseignements que suite à l’apparition de la pandémie de Covid-19 qui a «mélangé les cartes» et entraîné la suspension de toutes les activités intrauniversitaires, en présentiel. Au moment où la solution à cette problématique allait être trouvée, c’était compter sans les indispensables qui n’étaient pas réunis comme la culture et l’usage du numérique aussi bien chez l’étudiant que chez l’enseignant ou au niveau de l’administration, qui ont tout chamboulé et révisé à la baisse nos prétentions en matière d’enseignement à distance. 

Ce manque de culture a été un frein considérable qui a empêché l’émergence de cette technique dans les universités, voire même dans la société civile. Force est de constater que les enseignements se sont déroulés dans la précipitation, parfois même dans l’improvisation pour certaines universités. Outre le manque de culture, plusieurs autres raisons ont présidé à cette situation d’envergure mondiale : la faiblesse de la bande passante, le manque de moyens nécessaires pour les étudiants tels que les supports (les ordinateurs ou téléphones), la mollesse des enseignants pour la plupart... sont tout autant de raisons qui empêchent le navire de garder le chenal. À la fin de l’année universitaire en cours, il est nécessaire de faire un panoramique sur une situation exceptionnelle qui a prévalu et qui prévaut toujours à l’université depuis l’apparition de cette pandémie dans notre pays.

Définition et caractéristiques de l’enseignement à distance
L’enseignement à distance selon Afnor est un mode de formation «conçu pour permettre à des individus de se former sans se déplacer sur le lieu de la formation et sans la présence physique du formateur». Il remonte aux années 60 avec l’apparition des cours par correspondance grâce à la télévision, la poste, la radio et plus tard la vidéo. Il a connu une véritable mutation et une ascendance certaine avec la naissance de la micro-informatique, les multimédias et la télécommunication au début des années 80. Le développent des TIC (technologie de l’information et de la communication), les réseaux informatiques et les plateformes numériques en ligne au début de cette décennie a considérablement fait évoluer cette technique. Il se caractérise par trois éléments : l’accessibilité, la flexibilité ainsi que l’interaction et le travail collaboratif. 
L’accessibilité est la situation d’apprentissage qui tient compte des conditions de chaque étudiant et de chaque enseignant pour leur permettre l’accès aux matériels et logiciels et d’apprendre à se servir de la technologie. 
La flexibilité signifie que l’étudiant planifie ses activités d’études en fonction de son rythme d’apprentissage en relation avec ses enseignants. 
Enfin, l’interaction et le travail collaboratif se réalisent par la distribution, à travers la plateforme, de supports de cours et d’exercices par séance et, à la fin de chaque période, l’enseignant provoque une réunion avec les étudiants via une plateforme numérique en ligne du type Moodle, Google Meet… pour discuter de l’état d’avancement des activités, des difficultés rencontrées par les étudiants et des solutions à apporter.

Le présentiel est-il irremplaçable ?
L’université est l’endroit idéal où se tissent les amitiés. C’est une fonction sociale importante. Ceci dit, il ne faut pas perdre de vue que le présentiel à l’université constitue le socle de toute vie fondatrice à la construction de l’identité de l’étudiant, de l’apprentissage et de l’autonomie de début de vie d’adulte, la socialisation grâce principalement aux échanges directs avec les autres étudiants et avec les enseignants. Ces derniers ne peuvent pas dans les conditions de non-présentiel des activités intéresser les étudiants pour transmettre leurs connaissances à distance. La pandémie due au Covid-19 a transformé nos modes de vie dans tous les domaines, et même le présentiel aux cours universitaires est perçu comme un agent transmetteur de virus que du savoir. Dans ce contexte de pandémie, l’enseignement à distance s’est imposé de facto, considéré comme une solution à défaut face aux immenses impondérables (faudrait-il par exemple déclarer un semestre blanc?). Il s’est déroulé en sachant que la majorité des acteurs ne sont ni sensibilisés ni formés à cette nouvelle manière d’apprendre et de communiquer. Si les enseignements se sont déroulés tant bien que mal, un autre élément de taille allait surgir : comment évaluer les étudiants ?

Les examens à distance, un point faible ?
Tout enseignement est appelé à être évalué par des contrôles continus et des examens. Il n’y a pas d’autres moyens. C’est universel. Le ministère en charge de l’Enseignement supérieur, redoutant, à juste titre, une décrédibilisation des résultats de ces évaluations, a préféré organiser les évaluations en présentiel à la fin de chaque semestre pour les raisons évoquées plus haut. L’organisation des contrôles continus durant le même semestre a été laissée à l’appréciation des enseignants en relation avec les étudiants. Ils se sont déroulés en majorité à distance, sous forme de comptes rendus. Cependant, des possibilités existent pour assurer des examens à distance mais qui n’ont pas attiré l’attention du ministère car exigeant des moyens et des outils pédagogiques qu’il ne possède pas encore. Parmi ces possibilités, il y a lieu de souligner :
-1/ Le Pluging Moodle (un dispositif d’examen à distance de la plateforme de Moodle) ;  
-2/ l’acquisition de logiciels dédiés, tels que le logiciel basé sur l’usage des caméras de l’ordinateur comme moyen de surveillance des étudiants. Ce logiciel, durant les examens écrits à distance, commande les caméras et photographie en continu de manière aléatoire chaque étudiant géographiquement éloigné, transmet les photos au centre de traitement de l’université pour comparaison et contrôle grâce à la technique de reconnaissance de formes. Ce procédé est répété durant toute la durée de l’examen à distance au niveau de chaque étudiant. Il permet à l’université d’organiser plusieurs examens à la fois sans surveillants. Il demande que soient numérisées les photos de tous les étudiants pour permettre à la reconnaissance de formes de faire le lien entre la photo prise pendant l’examen et la photo numérisée et stockée dans une base de données. En Chine, à titre d’exemple, les universités adoptent pour la plupart cette stratégie depuis longtemps.

Les lacunes recensées et comment y remédier
La mise en branle de ce type d’enseignement a généré plusieurs lacunes qui sont à l’origine de nombreuses difficultés. On peut en citer pêle-mêle : 
- 1/ Le manque d’habitude des étudiants et des enseignants à l’usage des TIC dans l’enseignement.
- 2/ L’inégalité entre étudiants. Certains disposent de tous les moyens nécessaires indispensables à un enseignement à distance (smartphone, ordinateur individuel, tablette, connexion internet fiable) ; d’autres, hélas, se sont vus confronter à une difficulté de taille : une connexion internet défaillante.
-3/ Les étudiants se retrouvaient submergés par la charge des travaux à rendre et les ressources numériques à consulter. 
-4/ Certains enseignants n’ont pas été suffisamment engagés, d’autres manquaient de l’indispensable interaction avec les étudiants. Il est vrai que cela exige du travail supplémentaire. 
-5/ Certains étudiants ont considéré cela comme des vacances avant l’heure.
Cette pandémie nous apprend beaucoup de choses. Si on veut parer à toute éventualité à l’avenir, il y a lieu de : 
-1/ Renforcer la communication entre les enseignants et les étudiants ; 
-2/ préparer et enregistrer d’avance des vidéos en appoint et les héberger dans les plateformes ;   -3/éviter de trop charger les étudiants, revoir le rythme des travaux à rendre (nombre et délai) et l’envoi du corrigé des travaux ; 
-4/ former les étudiants et les enseignants à l’usage des TIC (à l’image des enseignants nouvellement recrutés) ;
-5/ acquérir et se perfectionner avec un logiciel de reconnaissance de formes ;
-6/ numériser les dossiers avec des photos récentes des étudiants…

Conclusion
À l’aune de ces difficultés, une question se pose : l’enseignement à distance a-t-il été un succès ? Formulée en ces termes, cette question nécessite que soit préalablement effectué un véritable travail sociologique auprès des étudiants et des enseignants afin d’analyser plus finement le phénomène et cerner les éléments de réponse à cette question. En l’absence d’une telle analyse, il est difficile de se prononcer sur le déroulé de cette première expérience en Algérie. Sans les résultats de cette analyse, nous resterions enfermés dans des supputations sur le succès ou l’échec de cette expérience. Quoi qu’il en soit, s’agissant d’une première expérience qui s’est déroulée dans une situation mondiale exceptionnelle, les résultats obtenus devront être renforcés et encouragés pour servir de modèle dans le futur.
La technologie, bien qu’elle puisse transporter des quantités d’informations immenses sur la même bande passante, nous rend à l’évidence de comprendre qu’elle ne façonne pas la qualité des relations entre les individus, notamment lorsqu’elle ne tient pas ses promesses. En effet, une connexion qui ne s’établit pas, un appel Skype ou autre plateforme qui ne passe pas, un son défaillant, une image qui disparaît, une ligne qui se coupe… sont autant de rendez-vous manqués qui peuvent perturber cette relation et augmenter la sensation de manque, et de nous rappeler que l’autre est loin alors qu’on le croyait virtuellement tout proche. 
B. K.

(*) Professeur des universités en physique et en mathématiques. Expert de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Expert en conduite de changement, université de M’sila.

 

 

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