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Rubrique Contribution

Étudier les sciences humaines et sociales, une insertion difficile ?

Par le Pr Baddari Kamel(*)
Les sciences humaines et sociales (SHS) ne sont plus dans une situation d’opulence et opèrent, depuis quelque temps, dans des marchés du travail désavantageux et vulnérables. Pourtant, elles rassemblent environ 60% des 1 600 000 étudiants en Algérie. Au dire des recruteurs, le système éducatif du pays n'offre pas un niveau de formation suffisant pour une insertion rapide des diplômés en SHS dans les secteurs d’activité. 

De toute évidence, il y a plusieurs raisons de la césure entre le monde universitaire des SHS et le monde du travail. 
Premièrement, la transition de l’Algérie vers l’économie de marché, accompagnée d'une forte baisse de la production des sociétés publiques, a aggravé la problématique d'emploi de la population des SHS. En même temps, le système national de création de petites entreprises est encore amorphe et lent, insuffisamment efficace et se heurte à un certain nombre de difficultés. 
Deuxièmement, les transformations des quatre dernières décennies ont entraîné des changements dans les parcours d’enseignement des SHS, la nature des relations universités-employeurs, et par conséquent, dans les flux d’offres d’embauche des diplômés universitaires. En effet, le système de planification étatique, d’inspiration principalement socialiste, des années 70 du XXe siècle, a cessé d'exister. Ensuite, l'économie du pays est depuis longtemps dans un état de faible taux de croissance.
Troisièmement, l’offre universitaire en SHS est excédentaire avec 52 universités, 9 centres universitaires et 10 écoles nationales supérieures. L’université ne fonctionne pas selon le principe  de «la demande crée l'offre», d’autant plus qu’aucune planification stratégique n’est recherchée pour établir une vision réaliste dans l’adéquation entre les formations en SHS et le marché de l’emploi. À cela, il convient d’ajouter que les employeurs ne sont généralement pas en mesure de s'impliquer dans l'élaboration des curricula, car ils ne peuvent pas prévoir leurs besoins en compétences 5 à 6 ans à l'avance. 
Quatrièmement, le centre de gravité du marché du travail se déplace de plus en plus vers les disciplines des sciences médicales, l’informatique et la technologie, c'est-à-dire vers les formations qui répondent aux besoins de la société en perpétuelle évolution.
Dans ce paysage, une réforme organisationnelle de la carte universitaire des SHS et des conditions d’habilitation d’une université d’assurer des enseignements dans ces filières en fonction de sa localisation géographique, de la nature des activités économiques, sociales et culturelles de sa région, des caractéristiques de la population qui la composent, de sa relation avec l’environnement externe, de sa coopération avec le lycée pour des projets éducatifs, des motivations des différents acteurs, de la présence de bassins de recrutement, et de la concurrence, devra faire débat. 

L’université, des défis importants ? Pour une université socialement responsable
Les défis sont à considérer sous le prisme constructif car lorsqu’on y fait face et qu’on arrive à les supplanter, les résultats obtenus sont appréciables et structurants pour répondre à des besoins nouveaux d’éducation et de formation lesquels émergent avec la société de l’économie et de la connaissance. Sur ce point, l’université algérienne fait face à des défis nombreux et importants en SHS : défi d’une préparation à la vie professionnelle ; défi du surplus non utilisé dû à la hausse du chômage des jeunes diplômés ; défi de la massification des effectifs ; défi des SHS qui n’accueillent plus les étudiants qui ont une réelle motivation pour ces filières et qui, plus est, ne bénéficient pas des ressources conséquentes...
S’appuyant sur la loi 08-06 du 23 février 2008 modifiant et complétant la loi 99-05 du 4 avril 1999 portant loi d’orientation sur l’enseignement supérieur de la République algérienne, l’article 7 a inscrit, parmi les «missions du service public de l’enseignement supérieur», non plus seulement la formation supérieure et la recherche scientifique et technologique, mais aussi «l’orientation et la préparation à l’entrée à la vie active de l’étudiant». Compte tenu des particularités du développement socioéconomique de l’Algérie, du marché du travail, de la répartition des ressources humaines, l'université devrait former un personnel hautement qualifié en fonction des besoins d'une économie tournée vers l'innovation, la priorisation des  secteurs et, à cet égard, l’orientation professionnelle devrait devenir partie intégrante de l’ensemble du système de formation. Cela est notamment possible par l'implémentation d’un partenariat social entre les établissements d'enseignement supérieur et les employeurs. Les cellules de soutien et d’accompagnement à l’insertion professionnelle des étudiants, le «système client-université», les foires de l’emploi, la validation des acquis de l’expérience (VAE), la formation tout le long de la vie, le recrutement des docteurs en SHS par les entreprises pour y faire de la recherche, la contribution des organisations professionnelles au renforcement de la relation université-entreprise, et les incubateurs d'entreprises étudiantes permettront à l’établissement de nouer un partenariat avec les recruteurs et à ces derniers d'évaluer objectivement la qualité de la formation des diplômés. 
Le problème de massification des effectifs en SHS est un phénomène qui a commencé il y a une décennie et qui appelle quatre actions dans l’objectif d’un enseignement de masse et de qualité : instauration d’une formation plus généraliste en premier cycle, recours au MOOC (Massive Open Online Course), intégration efficace et efficiente des TIC (technologies de l’information et de communication) dans l’enseignement, et renforcement des moyens inhérents (infrastructures, enseignants qualifiés…). 
Enfin une réflexion approfondie devrait être lancée sur l’orientation par défaut des étudiants, avant et après le bac, vers les filières des SHS. Réformer la première année universitaire des SHS pour devenir une année d’imprégnation à la vie universitaire et mettre en place un système de passerelles dans les licences constituent un moyen important pour le processus de réorientation. A fortiori, développer un enseignement pluridisciplinaire, planifier les actions d’orientation, d’aide à la réussite, d’insertion, prévoir des stages obligatoires en licence, et créer des infrastructures qui permettront aux SHS d’entrer dans le numérique forment un enjeu pour une université algérienne socialement responsable.

De quelques malentendus sur la professionnalisation des SHS ? 
Des pistes d’avenir

La notion de professionnalisation des SHS est ambiguë et confuse car polysémique : s’agit-il de professionnaliser les parcours et les contenus des enseignements par substitution du savoir par le savoir-faire ou de réussir l’insertion rapide des étudiants dans le marché du travail ? S’agit-il de former pour répondre à un besoin d'emploi précis ? S’agit-il de proposer des formations professionnalisantes après les formations académiques pour satisfaire l’employeur dans un environnement parfaitement concurrentiel ? 
À l’heure de l’économie de la connaissance et au nom de l’employabilité, l’interconnexion entre la formation universitaire des SHS et la professionnalisation est justifiée par deux stratégies complémentaires. 
La première est d’offrir aux futurs employés les compétences et les qualifications désormais exigées sur les marchés du travail.  Plus généralement, cette stratégie a besoin de deux actions : la première est d’aller vers des formations plus généralistes, ouvertes et polyvalentes en licence. Cela suppose, d’une part, la recherche d’un équilibre entre acquisition des compétences disciplinaires, des compétences transversales (projets personnels, plurilinguisme ou maîtrise écrite et symbolique de 3 langues dont la langue maternelle, autonomie, responsabilisation, communication, pratique aisée de l’informatique et des technologies associées, statistiques, méthodes de travail, activités associatives, développement personnel, création d’entreprises…), et des compétences de découverte des champs professionnels (métiers de l'administration, de la culture, du tourisme, de l'enseignement, des secteurs de la santé et du social), et, d’autre part, l’intervention de la spécialisation au stade de master. 
Le statut de l’étudiant master doit permettre l’accès aux laboratoires de recherche afin de construire d’une façon progressive et en mode projet des compétences de futurs cadres par une formation à et par la recherche. Les études doctorales seront axées sur le concept recherche sur projet. La deuxième action cible les mécanismes de rapprochement durable université et emploi. La mise en place d’un système d'information, qui permet à l'université de cadrer les besoins de l'économie, aux niveaux micro, méso et macro, deviendra indispensable. 
La deuxième stratégie est associée à  l'étape de développement de la société post-industrielle qui nécessite l'utilisation des dernières technologies de l'information dans le processus éducatif afin d'améliorer les compétences professionnelles des spécialistes en SHS du XXIe siècle. Ce qui compte, ce n'est pas la capacité d'écrire des e-mails ou de numériser des textes, mais la pensée programmatique, algorithmique et les activités connexes. Un historien moderne, par exemple, doit maîtriser les méthodes Big Data pour traiter les archives numérisées et visualiser les résultats obtenus à des fins pédagogiques. 
In fine, un étudiant en SHS est appelé à être flexible, plurilingue, autonome et responsable. Déjà en 1971, Daniel Bell, Professeur émérite à l'université de Harvard, à l’origine du courant sociologique post-industrialiste, affirmait : «Le concept de «société postindustrielle» met l'accent sur le rôle central de la connaissance théorique en tant qu'axe autour duquel se construisent les nouvelles technologies, la croissance économique et la nouvelle stratification de la société.» Dans le cadre d'une société post-industrielle, la «spécialisation» est remplacée par l'universalisme et le professionnalisme. L'introduction de nouvelles technologies, l'informatisation et l'automatisation de la production apportent de tels changements dans le travail professionnel d’un diplômé en SHS, pour la mise en œuvre desquels il est nécessaire de développer des capacités polyvalentes et universelles. La formation continue joue un rôle important dans le développement du professionnalisme en SHS. 
 
En guise de conclusion : prise en compte du système dans son ensemble
L'emploi des diplômés est l'un des indicateurs de la performance effective des établissements d'enseignement supérieur. La situation négative des jeunes diplômés en SHS sur le marché du travail est aggravée par le contexte macro-économique du pays, l'interaction insuffisamment fluide et la complexité des relations entre l’université et le monde de l’entreprise. 
Si les diplômés des SHS acquièrent des compétences transférables et orientées vers la vie professionnelle, en complément d’une formation visant le développement des cursus en langues étrangères, des savoirs disciplinaires plus généralistes et pluridisciplinaires, cela devrait leur permettre de construire, ipso facto, leur parcours d’insertion progressive vers le monde du travail. 
La réforme du système éducatif national, la mise en place d’un dispositif d’intelligence économique entre l’université et l’entreprise, la formation continue, la collaboration du triumvirat région-université-entreprise et l’ouverture au monde permettront de constituer une action sur les masses croissantes d’étudiants, et sur certaines causes des difficultés d’insertion que connaissent les diplômés en SHS. L’orientation, y compris au pré-bac, le renforcement de l’interface entre le secondaire et le supérieur pour rendre les bacheliers qui intègrent les SHS acteurs de leur choix, et la mise en place de passerelles entre les filières des SHS sont également à repenser.
B. K.

(*) Professeur des universités. Expert de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, et conduite de changement. Université de M’sila.

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