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Rubrique Contribution

L’ALGÉRIE ABANDONNÉE AUX FLAMMES Feux de forêt : un autre risque majeur ignoré par les pouvoirs publics

Par Pr Abdelkrim Chelghoum(*)
«La bonne gouvernance consiste à anticiper pour éviter de subir et passer de la réaction à la prévention.»

Le facteur de dégradation le plus redoutable de la forêt algérienne et méditerranéenne est sans conteste l’incendie qui bénéficie de conditions physiques et naturelles favorables à son éclosion et à sa propagation. Depuis quelques jours, plusieurs régions du pays sont la proie à des feux de forêt catastrophiques avec un impact irréversible sur l’écologie, l’environnement, l’économie et la qualité de vie du citoyen. Environ quarante wilayas ont enregistré des incendies de forêt de modérés à sévères, à l’instar  des wilayas de Tiaret, Saïda, Tizi-Ouzou, Boumerdès, Béjaïa, Sétif et Jijel, où l’ampleur du phénomène est plus qu’alarmante avec plusieurs  dizaines de départs de feux répertoriés quotidiennement depuis la mi-juillet détruisant des milliers d’hectares du couvert végétal réduits en cendre et les dégâts matériels occasionnés se chiffrent à des milliards de dinars. Depuis les deux dernières décennies, la surface parcourue annuellement par le feu varie entre 50 000 et 100 000 hectares. En plus des conditions météorologiques particulières qui sont enregistrées en période estivale, l’absence totale d’une stratégie de prévention contre ce fléau constitue la principale cause des incendies. Il faut dire également que ce risque est amplifié par  la négligence humaine (barbecue allumé en forêt, randonneurs malintentionnés, mégots de cigarettes...) et la main criminelle des «pyromanes », causes collatérales de la récente hausse du nombre des feux de forêt à travers l’ensemble du pays. En Algérie, le patrimoine forestier, estimé à 4,1 millions d’hectares de forêts et de maquis, représente 1,7% de la superficie totale du pays (238 millions ha) et un taux de boisement de 11%, en ne considérant que le nord du pays. Cependant, ce taux ne reflète pas de manière homogène l’ensemble des wilayas dont certaines ont un taux supérieur à 35% comme El-Tarf, Jijel, Skikda, Annaba et Béjaïa. Dans le cas de notre pays, les incendies de forêt sont identifiés par l’ONU comme  risque majeur pour la faune et la flore forestières. C’est cet état des lieux qui nous autorise aujourd’hui à affirmer qu’il existe un véritable problème de gestion de cette calamité affectant directement le développement durable de ce pays. Encore une fois, le débat sur la gestion des risques majeurs auxquels se trouve confrontée pleinement l’Algérie est posé. Par-delà l’importance vitale du sujet et sa problématique, l’objectif de la présente contribution est d’exposer un état des lieux du parc forestier avec toutes ses faiblesses ainsi qu’une quantification de la propagation des feux de forêt qui devrait servir comme input pour la projection de modèles mathématiques indispensables à la mise en œuvre d’une stratégie de prévention fiable contre ce phénomène.
Il faut rappeler que la responsabilité en matière d’anticipation et quantification de ces risques incombe en premier chef à l’État. Pour cela, il est utile de rappeler certains fondements de la loi 04-20 du 25/12/2004 relative à la       prévention des risques majeurs et à la gestion des catastrophes dans le cadre du développement durable, à savoir :
Art 5. – L’ensemble des actes relevant de la prévention des risques majeurs constituent des actes d’intérêt public.
Art 9. – Le système de prévention des risques majeurs est initié et conduit par l’Etat, mis en œuvre par les institutions publiques et les collectivités locales.
Le droit et l’information : Le citoyen a le droit d’être informé sur les risques encourus afin d’éviter son exposition inutile.


L’Algérie présente une vulnérabilité importante découlant des deux paramètres suivants :
- La nature.
- L’action de l’homme.
Concernant le premier volet, il faut noter que les conditions favorables à la propagation des feux de forêt sont corsées par :
- les caractéristiques du climat méditerranéen ;
- la sécheresse récurrente ;
- l’érosion ;
- la désertification due au surpâturage ;
- la chaleur caniculaire, favorisée déjà par le processus de désertification des Hauts-Plateaux.
Et parmi les facteurs aggravants, on peut citer :
• l’inflammabilité des végétaux ;
• les vents (sirocco) en temps sec favorisent grandement l’évapotranspiration aggravée par la présence de fines herbes ;
• le relief accidenté (feux de cimes) ;
• les voies de pénétration insuffisantes ;
• les mesures préventives de l'armée, pour éliminer les caches et abris de terroristes. Bombardement, lorsque des éléments sont signalés au niveau des massifs.

Par rapport au deuxième volet, on peut citer :
• la faiblesse de la sensibilisation du citoyen ;
• le déboisement engendré par une urbanisation effrénée ;
• le trafic foncier ;
• le déplacement de bornes et les passages illicites ;
• la faiblesse des aménagements spécifiques (tranchées pare-feu) ;
• l’absence chronique de points d’eau ;
• absence de lois dissuasives : la loi forestière algérienne date de 1984. Les amendes pour les défricheurs en forêt ne dépassent pas 2 000 dinars.
La forêt algérienne est constituée principalement de chênes (chêne vert, chêne-liège) et de pin d’Alep. Cette formation forestière demeure la plus touchée par le feu, soit 100 000 ha (45% du total de la décennie). La superficie totale des forêts est constituée par :
- forêts naturelles : 1 329 497 ha ;
- maquis : 1 844 410 ha ;
- reboisement : 1 050 000 ha ;
- alfa : 2 600 ha dont 450 000 ha constituent l’alfatier.

Dans le but de projeter un modèle numérique pour circonscrire et quantifier la surface parcourue en moyenne par les feux de forêt annuellement en fonction du nombre de foyers, on peut considérer, à titre d’exemple, les deux  périodes référentielles, la première allant de 1992 à 2003 et la deuxième 2003-2010.
L’analyse de ces deux bilans indique des valeurs moyennes des superficies touchées par le feu oscillant entre 50 000 ha et 100 000 ha.
Concernant la région centre, les surfaces incendiées fluctuent d’une année à l’autre avec des pics annuels.
Dans la région est, les superficies incendiées sont plus ou moins stables entre 2003 et 2010, sauf pour les années 2007 et 2015 où un accroissement des superficies incendiées a été enregistré au même titre que la tendance générale. Pour la région ouest, l’évolution des surfaces incendiées est en nette diminution durant la deuxième période. La carte ci-jointe illustre un état des lieux exhaustif du risque d’incendie moyen annuel en Algérie. Il est exprimé en pourcentage de la surface parcourue en moyenne chaque année par rapport à la superficie forestière du massif considéré, exprimée en pourcentage par la formule suivante (De Montgolfier, 1989 ; Peyre, 2001) : RMA = SMA x 100 / SCM où SMA : Surface moyenne incendiée par an (ha) et le SCM : Surface du massif forestier (ha)
L’analyse de cet histogramme permet de conclure que le couvert végétal réduit connaît une expansion alarmante depuis les deux dernières décennies avec des pics dépassant 100 000 ha par an. Au jour d’aujourd’hui, l’Algérie subit «de plein fouet» la concomitance de deux risques majeurs, à savoir la pandémie de la Covid-19 et les feux de forêt à travers les principaux massifs boisés avec les conséquences désastreuses d’une gestion archaïque et aléatoire ; cette manière de faire et de subir, sans réagir, des pouvoirs publics dépasse tout entendement et relève même d’une gestion qu’on peut qualifier de «chaotique» entraînant un accroissement de la vulnérabilité de la Nation avec un impact direct sur les vies humaines, l’économie et la sécurité nationale.

Que faire pour réduire le risque «feux de forêt» en Algérie?
Pour commencer, il faut exécuter in situ le Plan général de prévention (PGP) clé de voûte pour la mise en œuvre d’une stratégie de prévention contre le risque «incendies» composé par :
- le système national de veille ;
- le système national d’alerte.
Avec le strict respect du déroulement des phases suivantes :
Anticiper la crise :
Le risque zéro n’existe pas. Quelle que soit l’importance des mesures préventives, il faut s’adapter pour faire face au risque incendie par la mise en œuvre de moyens humains et matériels appropriés.
Les pouvoirs publics ont le devoir, une fois l’évaluation du risque établie, d’organiser les moyens de secours nécessaires pour faire face à la crise. Cette organisation nécessite un partage équilibré des compétences entre l’État, les collectivités locales et la société civile.
Le dispositif Orsec :
Lorsque l’organisation des secours revêt une ampleur ou une nature particulière, elle fait l’objet, dans chaque wilaya, d’un dispositif organisant la réponse de sécurité civile (Orsec). Le dispositif Orsec recense l’ensemble des moyens publics et privés susceptibles d’être mis en œuvre.
Centraliser et analyser les données relatives à chaque catastrophe : manifestations du phénomène, chronologie, gestion de la crise et de l’après-crise.
Assurer la diffusion des enseignements tirés de l’analyse des phénomènes et des catastrophes survenus en Algérie.
Les moyens individuels :
La réduction des dommages potentiels est possible par la mise en place de dispositions individuelles, c’est-à-dire de moyens mis en œuvre par les particuliers pour se protéger des risques les menaçant. Il peut s’agir du débroussaillage des terrains dans les zones concernées par les incendies de forêt.
Réduire la vulnérabilité des massifs : mitigation
L’objectif de la mitigation est d’atténuer les dommages en réduisant, soit l’intensité de l’aléa (causes des incendies), soit la vulnérabilité des enjeux (couvert végétal).
La mitigation nécessite notamment la formation des différents intervenants (pompiers, ingénieurs en génie rural, ingénieurs agronomes, gardes forestiers, experts en risques majeurs, médecins, entrepreneurs) en matière de conception et de prise en compte des phénomènes climatiques.
La mitigation relève également d’une implication des particuliers qui doivent agir personnellement afin de réduire la vulnérabilité autour de leurs maisons de campagne.
Afin de réduire les dommages lors des catastrophes naturelles, il est nécessaire de maîtriser l’aménagement du territoire, en évitant d’augmenter les enjeux dans les zones à risque et en diminuant la vulnérabilité des zones déjà urbanisées.
Les plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPR) constituent l’instrument essentiel de l’État en matière de prévention des risques majeurs et permettent d’augmenter la résilience du pays.
De ce qui ressort de cette appréciation technique, c’est malheureusement, encore une fois, l’absence totale de règles et de procédures fiables indispensables dans la conduite des phases d’anticipation, préparation, protection et déclenchement des plans Orsec dans la situation co-catastrophe.
A. C.
Email : [email protected]

(*) Directeur de recherche (USTHB). Pr Associé (ENA). Dr du Cabinet GPDS (génie parasismique, gestion des risques et catastrophes). Président Club des risques majeurs.

 

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