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ÉCOLE : ARRÊTONS LES MASSACRES «L’inglizia rahmat Rabi» (1re partie)

Questionné sur la faisabilité d’un remplacement de la langue française par l’anglais à l’école primaire, Mohand Saïd, responsable de l’ex-parti wahhabiste (mort au maquis depuis), déclarait en 1991 : «Pas de soucis, on ramènera des enseignants par bateau des pays frères du Golfe, du Soudan et d’Iran.»
Questionné sur la chose qu’il aimerait posséder, un mendiant, en tenue d’Adam, a eu cette réponse : «Je veux une bague à mon doigt.» Il ne ressent pas le besoin de recevoir des habits neufs pour s’habiller et se couvrir du froid, mais le besoin d'un bijou d’ornement ! 
Ce dicton populaire s'applique à merveille à certains Algériens monolingues, toutefois «anglicisés» par miracle depuis le Hirak. Remplaçons le français par l’anglais ! Voilà la formule sacrée dénichée par le génie de ces monolingues «anglicisés». 
Dans un pays qui peine à produire un seul ouvrage en langue anglaise, on peut qualifier cette formule sacrée d’équivalent au médicament charlatanesque, dénommé «Rahmat Rabi» et qui avait défrayé la chronique dans un passé très récent. Une arnaque scientifique vantée avec zèle par certains médias/rokia et soutenu par un ministre de la Santé. Allons-nous assister au même scénario avec cette «loughet rahmat Rabi» ? L’arnaque pédagogique n’est pas loin au vu de la mobilisation des mêmes médias/rokia qui la vendent «à tout-va». A la différence que le charlatan, géniteur de la formule sacrée, lui, n’est pas un citoyen anonyme. 
N’est-ce pas que la situation de la pédagogie algérienne patauge dans les miasmes de la médiocrité depuis des décennies – constat fait de façon officielle par la Conférence nationale d'évaluation de la réforme (juillet 2016) ? Un constat confirmé par des indices bêlant de vérité : des statistiques effarantes (examens et redoublements) et un appauvrissement croissant d’ordre intellectuel/linguistique au sein des institutions, de la sphère culturelle, de la société en général. Quelques repères :
Bac 2019, série maths : 04% de reçus. Un taux qui s’est effiloché d’année en année depuis trois décennies environ (30 ans).
Toujours depuis cette période, les moyennes nationales au bac tournent autour de 10/20 en langues étrangères, maths, physique et... arabe. Statistiques régulièrement données par le MEN.
De 50 à 60% de redoublement en 1re année universitaire chez les nouveaux bacheliers. De 25 à 30% de redoublement en 1re année de collège (chez les reçus à l’examen de 5e AP) et en 1re AS (chez les lauréats du BEM).
Au lieu de se pencher sur ces graves dérives, voilà que le ministre de l’Enseignement supérieur – pourtant seulement chargé d’expédier les affaires courantes – s’attaque à un sujet éminemment stratégique qui engage le devenir (en noir) de notre société. 
Il s’attaque de façon frontale/brutale à la réalité sociolinguistique de l’Algérie et à son ancrage tant historique que culturel. Comment s’est-il débrouillé pour réveiller les démons endormis de la fitna culturelle ? Facile ! En ressuscitant la vieille croisade anti-langue française enterrée en 1991-1992. Pour lui, les vrais problèmes d’ordre pédagogique ou culturel n’existent nullement – politique de l’autruche. Il préfère aller chercher... la bague du mendiant : soit l'anglais pour remplacer le français. Inimaginable ! On se croirait revenus aux années fin 1980/début 1990. A l’époque, avec la pseudo-ouverture démocratique, deux courants idéologiques – nullement contradictoires – se faisaient concurrence sur le dos du peuple par le biais d’une surenchère sur les fameuses constantes nationales (etthawabet el watania) – un concept bateau, idéal pour endormir les masses. C’était à qui revendiquer haut et fort le remplacement de la langue française par l’anglais. Un éclairage historique s’impose pour rendre lisibles les enjeux politiques d’une telle «folie» suicidaire.
Historique d’une dérive
Années fin 1980 : congrès du parti unique. Ordre a été donné de faire remonter des kasmate «baâthisées» du pays, l’ubuesque proposition du remplacement de la langue française par l’anglais. La proposition sera débattue lors du congrès mais pas retenue. Année 1990, en pleine ascension, un mouvement politique d’obédience wahhabiste reprend l’idée et lui donne du punch. Lors du mouvement de protestation, ce courant wahhabiste met en place une commission de réforme de l’école et impose une réunion de travail à Slimane Cheikh, ministre de l’Education de l’époque. Ils exigent de lui qu’il «remplace le français par l’anglais illico presto». 
Le ministre finit par démissionner. Son remplaçant, un ténor du parti unique, sera favorable à l’idée mais ne veut pas la réaliser «sabre au clair». Il organise un référendum en direction des parents d’élèves du cycle primaire. Une première dans les annales mondiales ! Les pro-anglais – monolingue pour la plupart – mettront les bouchées doubles pour vendre l’idée. Ils sillonnent mosquées et maisons pour «propagander». C’était l’époque où la presse publique avait eu son heure de liberté. Les journaux rapportent les propos de Mohand Saïd, monté au maquis depuis. Lors d’un meeting, il déclara : «Oui, nous allons remplacer le français par l’anglais. Et nous ramènerons des enseignants du Soudan, d’Iran et des pays du Golfe.» 
Le référendum sera un échec : y répondent par oui des familles modestes, originaires des quartiers populaires de certaines villes. L’année scolaire 1991-1992 voit l’ouverture de quelques classes d’anglais comme première langue étrangère. L’expérience tombe à l’eau après une année. Puis vint la réforme de 2002-2003 qui joua sur la fibre du nationalisme hypocrite. Les langues étrangères seront rudoyées dans leur statut scolaire au profit, disait-on, d’un renforcement des «constantes nationales». Un concept fumeux qui sert de paravent publicitaire pour cacher des desseins inavoués. Il s’agit de couper la population scolaire en deux : un apartheid linguistico-culturel. Aux écoles de statut privé, il sera dévolu la mission de gaver en langues étrangères (français surtout) les enfants des riches familles et de la nomenklatura politico-financière. Le français étant la langue des filières universitaires les plus demandées. On y retrouvera aussi les enfants de ceux qui prônaient (et prônent toujours) le remplacement du français par l’anglais.
Les patrons de presse et des journalistes pro-anglais sont en tête de liste des personnes qui inscrivent leurs enfants dans ces écoles privées pour tout apprendre en… français. Quant aux écoles publiques, elles fonctionneront sur le mode «constantes nationales renforcées» pour alimenter les filières universitaires qui mènent au chômage. Filières totalement arabisées. Et comble de l’hypocrisie, ne voilà-t-il pas que les partisans de «l’ingliz rahmat Rabi» et dont les enfants sont scolarisés dans le privé donneront de la voix pour renforcer l’enseignement de la langue arabe, de l’histoire et de l’éducation islamique… dans cette école publique. 
Or, ces trois disciplines souffraient depuis des décennies (et souffrent toujours) d’un double surdosage, programmatique et horaire. Entendre par surdosage programmatique le nombre élevé des leçons et leur lourdeur. De longues leçons insipides et inaccessibles pour le niveau des élèves et qu’on impose d’apprendre par cœur : d’où leur «rejet» par les élèves de tous les cycles. Aucun débat pédagogique ou scientifique ne sera ouvert pour argumenter ces décisions. Seuls l’aveuglement idéologique et l’esprit revanchard (hypocrite — faut-il le préciser) serviront de boussole à ces inepties. 
Année 2019 : un quart de siècle plus tard, où en est-on ? L’anglais n’a pas remplacé le français au primaire — et ce, suite aux piteux résultats du fameux référendum(*) et de l’opération-pilote qui s’ensuivit année 1090/1991. Plus alarmantes sont les statistiques officielles avancées par tous les ministres qui se sont succédé depuis ce quart de siècle. Les chiffres défilent d’année en année et se rejoignent sur le même constat. Une inquiétante descente aux enfers dans la pratique des langues – y compris l’arabe – chez nos élèves et nos étudiants. D’autres disciplines connaîtront le même sort : les mathématiques qui se voient supprimer le chapitre sur la logique, les sciences ainsi que la philosophie (ou semblant de philosophie). 
La baisse drastique du niveau de l’enseignement des langues fit dire au président de la République de l’époque, et ce, lors d’un discours télévisé en 2004 : «Nos diplômés universitaires ne maîtrisent aucune des trois langues, arabe, français et anglais.» 
Bien avant lui, la vox-populi employait la formule «d’analphabètes trilingues». Dans la foulée de son discours, ce président exhorta le ministère de l’Education nationale à «renforcer l’enseignement de l’histoire pour combler le dangereux déficit en patriotisme qui existe chez nos jeunes». Ce coup de colère présidentiel allait-il porter ses fruits ? Allait-on enfin jeter un regard critique sur le contenu des programmes et des manuels, sur les méthodes, les horaires et la formation des enseignants ? La réponse ne sera nullement à la hauteur des enjeux pédagogiques. On se contentera de l’artifice médiatique, des couleuvres faciles à avaler par le simple quidam. 
Ainsi, dès le démarrage de la réforme de l’école, l’élève algérien subira la double
peine : augmentation du volume horaire de ces trois disciplines. Cette double peine se fera – inévitablement – au détriment des autres disciplines dont les langues étrangères. L’histoire sera enseignée dès la 3e année primaire alors qu’à cet âge l’enfant ne possède pas encore la notion du temps historique : une hérésie ! Il aura à mémoriser des leçons qui n’ont aucun sens pour lui. Sans oublier qu’il s’agit d’une Histoire tronquée et falsifiée à des fins politicardes.
Point de remise en cause des facteurs à l’origine des échecs ! Tout va bien, madame la marquise : nos constantes sont bien protégées. Comme le disait si bien Mostefa Lacheraf, dans les années 1970, au sujet de ses détracteurs supposés pro-langue arabe : «Ils aiment tellement la langue arabe qu’à force de l’embrasser, ils l’ont étouffée.» 
Il aurait pu ajouter à la langue arabe, l’histoire et l’éducation islamique. Tout excès étant nuisible, surtout en pédagogie. 
Toujours en 2019. Effet surprise du Hirak : le réveil de la schizophrénie linguistico-culturelle. Il n’y a pas que ce ministre chargé des Affaires courantes à vendre cette «loughet rahmat Rabi». 
Les «croisés linguistiques» anti-français se retrouvent aussi dans le monde de la presse, de la culture… Mais ils ont un point commun : la tartuferie schizophrénique. A savoir qu’ils tiennent ce discours en direction des masses populaires alors qu’ils inscrivent (eux, ces croisés) leurs enfants là où le français est langue d’enseignement (pas l’arabe). Ils les inscrivent dans les classes bilingues (années 1970-1980), puis au lycée Descartes (actuel Bouamama) dans les classes spécifiques, ensuite à partir des années 2000 dans les écoles privées et le lycée français Alexandre-Dumas de Ben Aknoun. 
En 1990-1991, un haut responsable — partisan de cette arnaque politico-pédagogique dont ne sont victimes que les enfants des classes populaires — n’a pas trouvé mieux que d’inscrire son fils dans un lycée d’une grande ville française. Un autre, membre de la fantomatique association de défense de la langue arabe, a inscrit ses filles à l’école catholique de Beyrouth pour étudier en… français. Cette façon d’agir de double discours se retrouve dans tous les pays du Maghreb et du Moyen-Orient. 
En réalité, cette schizophrénie linguistico-culturelle – ou pour être clair cette arnaque à la tartuffe – relève d’une stratégie de prise de pouvoir. En agissant de la sorte, ils comptent assurer leur relève politico-financière en initiant leurs héritiers» à la langue de prestige du pays (français au Maghreb et anglais au Moyen-Orient). Depuis les années 1970, ont-ils un seul jour pensé à améliorer l’enseignement des langues du pays, l’arabe et tamazight ? Ont-ils mis les moyens (financiers et surtout pédagogiques) pour cela ? Jamais ! Que les médias lourds ouvrent un débat sérieux sur toutes ces questions afin que l’opinion publique puisse découvrir ces charlatans, et que tombent les masques. La corruption et la fraude ne sont pas seulement dans la finance. Elles font plus de mal au pays lorsqu’elles activent dans la sphère idéologique et éducative. 
A. T.
(à suivre : Quid des normes internationales ?)

(*) Lire aux éditions Barzakh avec préface de Amin Zaoui L’impossible éradication ou l’enseignement du français en Algérie – de Ahmed Tessa (Lauréat du 1er Prix de l’Académie des sciences d’outre-mer de Paris, année 2018).

 

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