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Rubrique Contribution

La composante Algérie, dans sa relation filiale à la culture du palmier-dattier

Par Dr Mourad Betrouni
La culture du palmier-dattier vient d’être inscrite sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco, comme élément représentatif des régions chaudes et arides du monde arabe. Le dossier a été soumis par 14 pays ayant des liens avec le palmier-dattier : l’Egypte, la Mauritanie, le Maroc, la Tunisie, le Soudan, l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, la Palestine, le sultanat d’Oman, le Yémen, la Jordanie, le Koweït, le Bahreïn et l’Irak. D’aucuns s’interrogent sur l’absence de l’Algérie parmi les pays soumissionnaires. Quelles que fussent les causes de cette absence, il demeure curieux, qu’au niveau de l’examen du dossier d’inscription, la composante Algérie, dans sa relation filiale à la culture du palmier-dattier, ne soit pas mise en exergue, à la lumière de ses potentialités patrimoniales matérielles et immatérielles, incontournables et structurantes dans ce domaine, pour l’établissement d’une cartographie des attributs et des valeurs cibles éligibles à une appropriation universelle.

D’un point de vue de l’approche pour une inscription au patrimoine mondial, il est bien certain que le palmier-dattier recouvre, d’abord, une acception écologique, qui relève d’une historiographie naturelle et du paradigme du patrimoine naturel (voir convention de 1972), un préalable pour l’identification des attributs naturels (c’est d’abord une plante, dans un biotope, une biocénose et un écosystème), qui préfigurent et participent au processus d’humanisation, pour réaliser la translation des attributs objectifs du palmier- dattier à la valeur affective et sensible (immatérielle) de la culture du palmier- dattier. Cette approche, nécessaire, évacuerait, d’emblée, toute interférence et tout anachronisme entre les champs d’intérêt scientifique, idéologique et politique. Le sujet ne porte pas sur la propriété « nationale » du palmier-dattier et de sa culture, mais sur des valeurs culturelles à partager avec toute l’humanité.
Circonscrire le sujet (la culture du palmier- dattier) à une temporalité séculaire et à l’espace géographique du monde arabe, est une démarche anachronique, dans la mesure où le palmier dattier a une origine préhistorique encore imprécise. Nous ne connaissons pas encore les origines de la domestication et l’histoire de la diffusion du dattier cultivé (Phoenix dactylifera L.), ni ses relations phylogénétiques avec les autres espèces du genre Phoenix. Nous savons, par contre, qu'il dérive de populations sauvages de la même espèce, qui n'ont jamais été identifiées. La relation historique établie entre le palmier-dattier et un espace géopolitique est donc à revisiter, à la lumière des données scientifiques en vigueur. Les ressources historiques et scientifiques ne se limitent pas à la Mésopotamie, au golfe Arabique et à l’Egypte antique. Quelques indications bibliographiques utiles : dans la grotte Shanidar, dans le nord-est de l’Irak, un pollen a été retrouvé dans des couches datées du Moustérien et du Baradestien, entre 50 000 et 33 000 ans BP [Solecki R. S. et Leroi-Gourhan A. (1961]. En Afrique du Nord et au Moyen- Orient, l’espèce cultivée remonterait à plusieurs millénaires [Munier P. 1973 ; Barrow S. 1998 ; Zohary D., Hopf M. & Weiss E., 2012]. Des charbons retrouvés sur le site archéologique d’Ohalo, sur les bords de la mer de Galilée, en Palestine, ont été datés de 19 000 BP [Liphschitz N. et Nadel D., 1997]. Des restes végétaux attestent de sa présence au Moyen- Orient, avant le début de l’agriculture [Zohary et al. 2012]. Au sud de l'Espagne, dans la Cueva de los Tiestos, dans la province de Murcie, des graines archéologiques ont été datées de 5500 BP [Rivera D. et al., 2007].
Plusieurs hypothèses sont proposées pour situer le centre de domestication du palmier-dattier. De Candolle [1883], Schweinfurth [1875], Chevalier cité par Munier [1973], le situerait en Afrique du Nord ; Hamilton [1827], en Inde et au Pakistan ; Bonavia [1885] ; Beccari [1890] ; Popenoe [1973] ; Costantini [1985] ; Barrow [1998] ; Zohary et al. [2012] ; Costantini & Audisio [2000], le situerait au Moyen- Orient. Il n'est pas exclu qu’il ait été domestiqué dans plusieurs régions.
De ces quelques données archéologiques, il ressort que le palmier-dattier cultivé (Phoenix dactylifera L.) procède d'une historiographie archéologique, c'est-à-dire d’une histoire inscrite dans le sédiment et non dans le récit. Le palmier-dattier est constitutif, par lui-même, des premiers agro-écosystèmes du domaine aride, tout particulièrement saharien. Il relève d'une économie agro-pastorale qui remonte aux temps néolithiques. C'est dans ce paradigme (lecture archéologique), qu'il faille établir les premières articulations entre les écosystèmes arides, en équilibre avec le climat désertique, et les premiers agrosystèmes oasiens (artificiels ou semi-artificiels), créés autour du palmier-dattier.
Aussi, l’examen du dossier d’inscription de la culture du palmier-dattier sur la liste du patrimoine mondial mériterait d’être conforté et complété par une appropriation de cette ligne de base (lecture archéologique), à partir de laquelle peut s'observer, sur une échelle de temps requise et dans une continuité historique, le déroulement du processus évolutif, qui a abouti à la situation présente (le marché mondial de la datte). Etant entendu que ce processus, de portée millénaire, est composé de continuités et de ruptures successives, qui participent, toutes, à la construction historique des valeurs patrimoniales matérielles et immatérielles.
C’est dans cette perspective que nous voulions intervenir, par cette contribution, en nous adressant aux parties prenantes du dossier d’inscription de l’élément « culture du palmier-dattier » sur la liste du patrimoine culturel universel, les invitant à examiner la composante Algérie, dans sa relation filiale à la culture du palmier-dattier. Au sens du patrimoine culturel immatériel, la culture du palmier-dattier ne saurait s’extraire de son aire géoculturelle significative et des pratiques, expressions et savoir-faire concomitants qui s’y déploient, autant d’éléments qui s’égrènent en des formes particulières selon les spécificités géographiques et historiques : le dromadaire, le commerce caravanier, la culture du palmier-dattier, les systèmes de puisage et d’irrigation, l’oasis, la palmeraie et le ksar sont les artefacts techniques et symboliques de mesure du niveau de production, d’appropriation, d’assimilation, voire de rejet de valeurs constitutives du patrimoine culturel. De ce point de vue, l’Algérie, avec ses 2 381 741 km2 de superficie, dont 90% de Sahara (désert chaud et aride), constitue le cœur – et non la marge – de cette aire géoculturelle où l’on puise les quintessences pour la formulation d’énoncés cohérents et porteurs. Le cœur, non pas au sens de la dimension et de la centralité mais au sens de la résilience, dans ce qu’elle recouvre comme charge et contenu.
Le Sahara constitua, dès le Xe siècle, l’un des pôles majeurs du commerce transsaharien et l’une des régions les plus prospères d’Afrique, un itinéraire culturel transsaharien marqué par tout un jalonnement de traces matérielles et de traditions encore vivantes exprimées par des groupes ou des individus détenteurs de savoir et de savoir-faire et transmis oralement notamment à travers l’artisanat, l’architecture, la musique, la danse, les rites, les coutumes et autres manifestations sociales et culturelles. C’est la Route du commerce caravanier saharien que parcouraient les commerçants et voyageurs venant du Maghreb en direction du Ghana et du Mali, aux Xe et XIe siècles, empruntant les grands couloirs naturels qui garantissaient la traversée de l’immense espace hyper-désertique du Sahara, par la présence de points d’eau et surtout la maîtrise de systèmes très particuliers de gestion de cette eau, qui procède de la connaissance et du génie de populations fortement adaptées à leur environnement depuis les temps les plus reculés de la préhistoire.
Ce sont les couloirs de la vallée de la Saoura, du Touat-Gourara-Tidikelt et de la vallée du M’zab, que la rigueur et la discipline Ibadite ont su domestiquer pour garantir et consolider le commerce transsaharien, ressource fondamentale à la survie et au maintien des grands équilibres de l’espace saharien, jusqu’aux environs du XVe siècle où la découverte des côtes ouest africaines, par les Portugais, allait détourner les circuits commerciaux vers les nouveaux comptoirs côtiers atlantiques et entraîner de nouveaux équilibres du commerce de l’or et de la traite des esclaves.
Ces hauts lieux de la mémoire saharienne, bien que fortement affectés par ce renversement d’équilibre, ont su maintenir et perpétuer, dans la religion et la tradition, les gestes et les réflexes socioculturels qui sous-tendent leur identité culturelle, tels la cérémonie du Sboue de Timimoun et le spectacle d’Ahellil en vénération de Dieu et de ses saints ; les rituels liés au pèlerinage à la zaouïa Sidi Lhadj Belgacem près de Timimoun (Gourara) et les savoirs et savoir-faire des mesureurs d’eau (kiyalin lma) du Touat et du Tidikelt, qui réalisent une véritable communion et un ressourcement nécessaire à la survie et à l’évolution de populations ayant fait des contraintes du milieu physique le fondement de la solidarité, de la rigueur et de la discipline.
La culture du palmier-dattier ne saurait se raconter en dehors de cette sémantique saharienne. Le chapitre Algérie doit nécessairement être introduit, dans une relecture du dossier d’inscription et la perspective d’une souscription de l’Etat partie Algérie.
M. B.

 

 

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