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La crise : escalade ou désescalade ?

C’est le vendredi 12 avril, vers 15h30, à Alger, entre le boulevard Mohammed V, la place Audin, le tunnel des Facultés, la Faculté centrale et la Grande-Poste, que la crise politique générale qui agite l’Algérie depuis plusieurs semaines est arrivée à un niveau paroxystique, générant du coup une ambiance plus tendue, annonciatrice de graves troubles. 
En vérité, on assiste, depuis le vendredi 22 février écoulé, au déclenchement d’une mécanique sous-tendue par une inquiétante dynamique, qui mènerait droit à une insurrection générale, qui, sous prétexte d’éradiquer définitivement l’ancien régime honni, provoquerait des violences telles que l’armée serait obligée d’intervenir directement dans le domaine politique, par le biais de ses  services de sécurité mais aussi de ses troupes de combat, pour mettre fin au désordre généré par l’insurrection qui échappe à ses instigateurs. 
De ce point de vue, c’est à un coup d’Etat similaire aux nombreux coups d’Etat qui ont eu lieu à l’été 1962, en juin 1965, en 1968, en octobre 1988 et en janvier 1992. Sauf que cette fois-ci, on peut s’attendre au pire, dans la mesure où il risque de résulter de ce putsch militaire, précédé d’une longue période d’insurrection populaire, un système sui generis mêlant, dans une sorte de cocktail dangereusement explosif, les caractéristiques d’un régime tribunitien populiste et d’un néo-césarisme à galons. Si, par malheur, ce régime hybride et instable devait advenir, il ne restera à l’écrasante majorité de nos concitoyens excédés par tant de crises politiques, d’insurrections et de putschs, qu’à se soumettre au fait accompli et dire, une fois de plus, «bye-bye» à la démocratie, à l’Etat de droit et aux libertés publiques... Et cette fois-ci ce sera pour longtemps encore.

Des manifestations à l’insurrection
En effet, les sept superbes marches populaires colorées, joyeuses et civilisées qui se sont succédé du 22 février au 5 avril, dans le calme et la dignité, tel un rite républicain, accompli avec autant de ferveur que la rituelle prière hebdomadaire du vendredi, ont le 12 avril subitement viré à des échauffourées, des rixes avec coups, des saccages de mobilier urbain et de véhicules en stationnement, des incivilités, et provoqué chez les citoyens, pacifiques, beaucoup d’angoisse. 
En bas du boulevard Mohammed V, à l’entrée du tunnel des Facultés, sur la place Audin et face à la Faculté centrale, les canons à eau des services de maintien de l’ordre ont beaucoup fonctionné, ainsi que des bombes lacrymogènes appuyées de quelques grenades de désencerclement réputées étourdissantes. Des flashball et des lanceurs de balles de défense dits LBD, dont les services antiémeutes sont équipés, auraient été employés. Un site d’information électronique  a  diffusé l’image d’un manifestant  atteint à la poitrine par une balle en caoutchouc. Fake news ou fait avéré ? Personne n’a confirmé ou infirmé la photo diffusée. Il convient à cet égard de rappeler que les services de l’ordre n’utilisent ces armes dites «sublétales» que sur commandement des chefs hiérarchiques, après les sommations réglementaires d’usage, et seulement lors des manifestations qui tournent à l’émeute avec violences contre les personnes et les biens. Les policiers et les gendarmes, il faut le savoir, ont le droit de recourir à ces armes de défense, quand ils sont attaqués et menacés d’agressions physiques. Les flashball et les LBD sont employés, notons-le, pour éviter le choc frontal entre les manifestants et les agents des services de l’ordre. 
En Algérie comme partout dans le monde, aussi légitime soit la cause pour laquelle les gens manifestent dans les rues, chacun doit savoir que la force reste toujours à la loi ! 
Les charges à la matraque pour disperser les attroupements hostiles, les affrontements musclés entre des manifestants surexcités et des policiers stressés, les grenades lacrymogènes lancées pour repousser les protestataires, les grenades assourdissantes destinées à casser les assauts contre le service d’ordre, les blocs de pierre et autres objets dangereux dont les manifestants ont copieusement arrosé les forces de police, ont laissé des traces nettement visibles au soir du 12 avril, sur tout cet espace central situé au cœur de la capitale. Les affrontements qui y ont eu lieu, ont provoqué de part et d’autre, des dégâts humains non négligeables et d’importants dégâts matériels. Les chaînes de TV privées ont diffusé des images des véhicules automobiles endommagés. 
A cette occasion, on a eu la stupéfaction de voir, tel un effrayant spectre surgi de la décennie noire, un groupe de solides gaillards barbus et habillés de kamis, hurlant des slogans de mort ! C’était là un avertissement sans frais plus qu’un message chiffré : la réconciliation nationale n’a pas tout réglé. A la tombée de la nuit, le périmètre où ont eu lieu les échauffourées,  ressemblait à un champ de bataille dévasté par la furie des combattants. La confusion y fut grande. Les interpellations, les gardes à vue et les arrestations suivies de poursuites pénales, ont été nombreuses. 

L’escalade : la désobéissance civile
Le 12 avril, la fête populaire du vendredi après-midi, a donc été gâchée par des individus, certes minoritaires, mais néanmoins très actifs, malveillants et dangereux. Nous sommes nombreux à  déplorer leur existence. Mais encore faudrait-il donner aux services de sécurité, les moyens de les éradiquer. Majoritairement, nous espérions que dès le 13 avril, la crise allait entamer sa phase de désescalade. 
Or, l’escalade s’est poursuivie. Assez rapidement, des manifestations de moins en moins pacifiques, on est passé à la phase de la désobéissance civile, laquelle est foncièrement politique, voire partisane. En tout cas elle a un sens politique et partisan.
Des juges – ils seraient 7 à 9 – censés comme tous les juges des pays démocratiques être indépendants et n’obéir qu’à la loi, ont annoncé, répondant à un mystérieux appel les incitant à ne pas assumer les missions que la loi portant code électoral leur assigne qu’ils ne superviseront pas les opérations électorales prochaines. En refusant d’appliquer le code électoral dont au demeurant certains se moquent comme d’une guigne, nos juges ont inauguré un mouvement de désobéissance civile ! Leur mouvement est probablement inédit, mais il n’est pas très net. Aujourd’hui, les juges boycottent les élections, demain ils ne voudront juger que les affaires qui leur conviennent et comme cela leur convient ! Un soi-disant «club des magistrats libres» — combien y a-t-il exactement d’adhérents ? — créé pour la circonstance, semble-t-il, soutiendrait ces 9 magistrats «refuzniks» du dernier quart d’heure. Rappelons qu’il y aurait environ 3600 magistrats répartis dans 210 tribunaux, 48 cours (d’appel) plus 48 tribunaux administratifs, et davantage encore si l’on inclut ceux de la Cour suprême et du Conseil d’Etat... La défection de 9 magistrats ne peut avoir qu’un effet marginal sur un scrutin électoral national. D’où le tapage orchestré autour de cette «dissidence», tapage qui vise à ce que d’autres magistrats, oublieux du serment professionnel qu’ils ont prêté lors de leur première prise de fonction, rejoignent le mouvement de désobéissance. Mais une question se pose : pourquoi les magistrats qui en ont le pouvoir ne déclenchent-ils pas la chasse aux membres de la «3issaba», aux corrompus et aux pillards de haut vol qui ont ruiné l’économie nationale ? Le Hirak populaire ne les a-t-il pas libérés des  pressions politiques, de l’arbitraire des hiérarchies, et proclamant haut et fort leur indépendance n’ont-ils pas jeté à la poubelle de l’histoire la justice de la nuit et la justice du téléphone ? Force est de constater qu’en matière de poursuites pénales, nos magistrats restent, aux yeux des citoyens, trop timorés et continuent à tort d’observer un prudent attentisme qui ne profite qu’aux mafiosi de l’oligarchie et autres prébendiers du système dont le démantèlement a été entrepris de façon irréversible. Et qu’on ne raconte pas à nos concitoyens peu au courant des procédures, que cela bride l’initiative des magistrats, les empêche  d’enclencher des poursuites et d’accélérer les procédures en cours... C’est faux !

Nouvelle escalade : la dissidence civile
Le mouvement de dissidence civile a également touché des présidents d’APC. Les dissidents seraient au total une cinquantaine. Sur les 1541 P/APC du pays, cela ne fait que 3,5% des maires ! Soulignons que ce mouvement de dissidence ne toucherait que 3 wilayas. 
Selon un journal électronique, une quarantaine de maires ont défilé à Tizi Ouzou, l’écharpe tricolore en bandoulière, pour dire leur décision de ne pas assumer leur devoir légal d’organiser les élections prévues pour le 4 juillet  2019. Un maire a le droit comme n’importe quel citoyen de ne pas être d’accord avec le pouvoir central. Mais un maire n’est pas qu’un simple citoyen. Dans le ressort de sa commune, il représente l’Etat qui ne se confond pas avec le pouvoir politique et moins encore avec un parti politique. Le maire, et tous le savent, est officier de police judiciaire et officier de l’état civil. Ses attributions constituent un «package» et non pas une sorte de «carte-menu», dans lequel il choisit ce qu’il veut. Il est tenu à toutes les obligations prévues par le code électoral. 
Quand il n’est d’accord avec le pouvoir central, la seule décision qu’il puisse prendre est la démission de son mandat électoral. Une démission faite en bonne et due forme a plus de sens qu’une dissidence partisane et en tout cas plus de panache et de dignité, qu’un refus d’ouvrir des bureaux de vote et ainsi d’empêcher ses concitoyens électeurs, d’accomplir leur droit de vote, le jour du scrutin. 
La dissidence a également touché le monde du travail, les universités et même les avocats ! Dès le lendemain du vendredi 12/04, on a en effet déclenché sur tout le territoire national, des sit-in et des «grèves» qui sont moins des mouvements sociaux que des actions politiques, au demeurant ouvertement assumées comme telles, par leurs commanditaires. Les travailleurs travaillent de moins en moins ! Cela ne pénalisera que les salariés. Dans l’université, l’ambiance n’est guère studieuse. Enseignants et étudiants paraissent accepter cette injuste fatalité qu’est l’année blanche ! Une année blanche c’est une année perdue, c’est une année à refaire du début jusqu’à son terme. La première victime de l’année blanche, c’est l’étudiant. D’autres foyers d’agitation assez inédits sont apparus. On voit de plus en plus d’avocats revêtus de leurs robes d’audience, arpenter en groupes les rues ou poser pour la photo sur les parvis des juridictions. L’avocat est, certes, libre dans le choix de ses clients, mais une fois constitué, l’avocat est déontologiquement tenu d’assister son mandant, à  fortiori quand celui-ci lui a versé des honoraires. Les avocats disent ne pas vouloir plaider ni assister leurs clients devant les juridictions tant que le régime, le système et le gouvernement ne sont pas renversés. Mais renversés par qui ? Par les avocats ? Par les justiciables ? Par des insurgés ? Par l’armée ? Personne n’ose le dire ouvertement. Si tous crient «il faut que le peuple récupère sa souveraineté», apparemment ils attendent tous l’intervention d’un deus ex machina !» ou d’un «Mehdi Mountadhar» que l’on devine en l’espèce revêtu d’un uniforme militaire. C’est à lui qu’il appartiendrait de mettre fin à la pagaille sans nom qu’on a créée. 
Nombreux ceux qui participent à cette anarchie, les uns sciemment, d’autres par suivisme et d’autres enfin à «l’insu de leur plein gré». 
On y rencontre des syndicalistes, des étudiants, des politiques, de vieux chevaux de la politique politicienne, des militants aigris, des aventuriers sans foi ni loi, des infiltrés, des professionnels de l’agit-prop, des provocateurs, des revanchards, des anarchistes, des nihilistes.... Les uns appellent au démantèlement hic et nunc de l’Etat et de ses structures, les autres à l’instauration d’une démocratie populaire directe comme jadis à Athènes ou en Russie du temps des Soviets, d’autres réclament l’instauration d’un Etat islamique, d’un émirat ou d’un khalifat. 

Les conseilleurs ne sont pas les payeurs
Chacun y va de sa lecture et de son interprétation des articles 2, 7, 8, 28, 102 de la Constitution. Ils suggèrent de considérer certains articles comme étant «nassikh» ou abrogeants et d’autres «manssoukh» ou abrogés... Il y a des interprétations que l’on ne peut pas faire sans tordre le cou à la logique et l’on ne saurait, sans se mettre hors sujet et se ridiculiser, appliquer les règles du tafsir, du char”h et du fiq’h, à l’interprétation des normes du droit constitutionnel moderne. Plusieurs politologues ou politiques ont, par ailleurs proposé des feuilles de route. Comme les feuilles d’automne, les feuilles de route ont déferlé sur internet et dans les médias. Ces feuilles de route «amicales» et désintéressées, se ramassent à la pelle. Mais notre feuille de route et son agenda de mise en œuvre, seront ceux que notre prochain président élu au suffrage universel, nous proposera...

Conclusion
Assez de palabres, assez de formules incantatoires, assez de langue de bois, assez de louvoiements. Nous sommes arrivés au carrefour formé par trois voies : l’une mène ou plutôt ramène au statu quo et on n’a nulle envie de l’emprunter ; la deuxième conduit à changer les hommes sans changer de système : on ne la connaît que trop ; la troisième  ouvre le passage vers la démocratie, l’Etat de droit, les libertés publiques et restaure la souveraineté du peuple. Le choix de nos concitoyens est déjà fait, me semble-t-il. 
Je ne leur donnerais que cet unique conseil : assurez-vous de votre inscription sur les listes électorales et allez voter le jour du scrutin. Le vote est le premier droit du citoyen !
Z. S.

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