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Rubrique Contribution

Le bon dos des «migrants»

Par Omar Aktouf
Cela fait longtemps que les doigts me démangent pour écrire — crier — mon indignation devant les gabegies, mensonges, non-dits, faux-fuyants, démagogies, cynismes, basses politiques, mépris, racismes, ignorances crasses... qui infestent ce qui se dit de plus audible à propos desdits «migrants». Le lecteur me pardonnera cette digression par rapport au «fil économique» de mes contributions habituelles. Mais la montée en démagogie des «droites décomplexées», les abjectes inepties des mouvements néofascistes, les âneries insondables des Trump de ce monde m’y forcent. La goutte de trop aura été l’élection inédite en terre québécoise, ces jours-ci, d’un gouvernement(1) issu d’une nouvelle droite dite «dure», néolibérale, qui fait l’essentiel de ses choux gras d’un populisme primaire bâti sur le dos des migrants(2) et immigrants. Il en fait, peu ou prou, un des plus épineux-urgents «problèmes» que tout pouvoir politique aurait à résoudre de nos jours au Québec.

Un peu de sens sur les mots
Cette phrase d’Albert Camus, qui a passablement servi, est ici des plus éclairantes : «Mal nommer les choses, c’est contribuer aux malheurs de l’humanité.» S’il n’y a pas grande difficulté à comprendre ce que signifient, parlant des humains, les termes émigrer, émigrants, immigrants… le récent vocable «migrants», lui, laisse perplexe. Du verbe «migrer», ce substantif renvoie à ce que font certains animaux, mais surtout pas les humains ! Les oies blanches, le saumon, les anguilles, les caribous, les gnous «migrent» pour suivre les rythmes des saisons, des pluies, de la reproduction… Mais les humains !? Il fut un temps, dans la préhistoire des chasseurs-cueilleurs, où des humains en faisaient autant, mais cela se nomme «transhumance», «nomadisme»… exceptionnellement «migration» ou «exode», lorsqu’il s’agit de mouvements massifs. Pourquoi donc utiliser aujourd’hui le vocable «migrants» pour parler de ces pauvres hères chassés de leurs vies ancestrales, qui défient la mort à travers déserts et mers ou océans ? C’est «mal nommer les choses» pour justifier l’injustifiable. Pour détourner de la vérité. À savoir : l’obligation faite à des millions d’humains de tout abandonner pour raisons de conflits, de désordres écologiques… créés de toutes pièces par la voracité du capitalisme mondialisé-insatiable-conquérant. C’est le cas entre autres(3) dans la région des Grands Lacs du Centre-Est africain, où on compte près de 10 millions de morts sur la dernière décennie, pour cause d’affrontements entre tribus, ethnies organisés par les multinationales occidentales qui se disputent la mainmise sur pétrole, métaux précieux, terres rares... Même chose aux Proche et Moyen-Orient. Particulièrement après les (opportuns) attentats du 11 septembre.
Dans le sillage de l’invasion illégale-sauvage de l’Afghanistan puis de l’Irak par les USA (sur la foi de… 935 mensonges politiques avérés !), il y eu «effet domino téléguidé» et expansion du chaos en Syrie, Yémen, touchant au passage Turquie, Iran, Russie. Tout en s’assurant des changements — sous l’appellation de «Printemps arabes», de potiches dictateurs devenus inutiles en Tunisie et en Égypte.
Puis de la manière barbare que l’on sait, en Libye. Ces multitudes d’Africains, Moyen-Orientaux… qui fuient, au bout de tous les désespoirs, des lieux de tueries organisées pour le bénéfice du géo-pétro-impérialisme capitaliste — axe Washington-Tel-Aviv en tête — sont donc de simples «migrants» !? Pourquoi ne les désigne-t-on pas par la formulation qui convient : «Victimes sinistrées de l’expansion impérialo-capitaliste occidentale menée par l’axe Tel-Aviv - Washington» ? Nommer ainsi les choses, c’est désigner les vrais coupables. Coupables qui doivent, eux, «payer» pour les conséquences de leurs actes !

Imaginons…
Un petit effort d’imagination : Syriens, Libyens, Irakiens, Congolais, Camerounais, Maliens, Afghans… qui voient parents, conjoints, voisins, amis, enfants… tomber comme des mouches sous les bombes «made in US, Israël, ou France…». Qui les voient torturés, violés, humiliés par des soldats occidentaux, des mercenaires (armées privées qui pullulent) ou factions locales montées, manipulées et armées par on ne sait trop qui…(4) n’ont qu’une idée (fixe, voire obsession) en tête : «migrer» (pour migrer) en quête du saint Graal bonheur occidental !? Ils ne sont surtout pas taraudés par la question de savoir comment échapper aux carnages, qui sont ces monstres qui les massacrent, pourquoi, contre qui se venger ? Non, évidemment ! Ainsi conditionnés, bien installés dans une solide (et commode) fausse conscience, nous laissons toute la place aux envolées lyriques sur les «migrants» qui… migrent, par instinct ou par atavisme mystérieux, irrésistiblement attirés par le nirvana occidental. Nirvana envers lequel ils entretiennent un tout aussi mystérieux sentiment d’amour-haine. Tout cela débouche facilement sur la séduction du discours amalgamant «menace migratoire», «envahisseurs», «menace identitaire», «menace islamiste», «menace terroriste».(5) Il ne faut surtout pas laisser venir à l’idée de quiconque que ces «migrants» ne demandent qu’une chose et une seule, comme tout un chacun : vivre en paix, tranquilles et heureux chez eux !? Et que, s’ils ne le peuvent-pas, cela est la faute de qui ? L’objectif est de disqualifier d’avance la question «pourquoi», afin de ressasser celle, bien plus arrangeante, du «comment» : comment se débarrasser des migrants, des terroristes, des radicaux ? Pourquoi existent-ils ? Nul n’a à se le demander.

Novlangue «migrants-islamistes-terroristes», ou le prêt-à-penser mou, vite et vide…
Toute une démagogie prête à consommer, une «novlangue réponse à tout» nous est livrée pour nourrir (ou faire déviation à) la soif (légitime) de réponses quant aux raisons des marasmes qui frappent les laissés-pour-compte du capitalisme mondial devenu barbare et à bout de souffle. On a droit à une floraison de nouveaux termes fourre-tout, au-delà de ce qu’un Orwell aurait pu imaginer. Il y a d’abord l’omniprésente et tonitruante «communauté internationale» : Sorte d’instance suprahumaine, jugeant-pensant-réfléchissant-décidant, qui dit/explique ce qui arrive, désigne les coupables, les raisons, et… châtie là où il faut châtier. Cette «communauté internationale» (comprendre ce qui touche en premier lieu aux intérêts de l’axe Washington - Tel-Aviv) condamne, dénonce et envahit, occupe, détruit, massacre… en violation flagrante de toute idée de droit ou de morale. Sous les applaudissements des masses «civilisées» dûment conditionnées, par ailleurs, à en redemander. Ensuite il y a la barbarie «inhérente» du Grand Satan fourre-tout qu’est l’Islam(6), l’islamisme…(7) Puis il y a les musulmans radicaux, les radicalisés, les auto-radicalisés, les radicalisés-express (sic !).(8) On les oppose aux «bons» «musulmans modérés»…(9) à la limite «tolérables». Puis, pour finir, il y a les «terroristes», qui, eux, «poussent» naturellement dans le sillage de l’Islam, se radicalisent, s’auto-radicalisent… précisent toujours qu’ils sont «liés à… ; prêtent allégeance à…». On ne sait trop pourquoi, sinon juste pour s’en prendre à de pacifiques «mécréants», ou alors à la «seule démocratie civilisée» au Moyen-Orient : Israël.
Bien entendu, tous ces «migrants» charrient forcément des terroristes, réels ou potentiels, dans leur sillage ! Inexorables et fatidiques «migrants» toujours mus par l’irrépressible rêve de grappiller une part du «progrès et de la civilisation» dont l’Occident, seul, a le secret et le monopole.(10)

Et si on posait la question «pourquoi» ?
Si on remplaçait la (commode) question «comment», par la question «pourquoi», on tirerait des ficelles qui mèneraient bien plus loin que l’imagination peut envisager, et qu’on ne veut surtout pas voir tirer. Car se poser la question pourquoi il y a des terroristes ou des migrants, c’est immanquablement finir par pointer du doigt, comme le dit si bien un Michel Onfray : «la désastreuse politique occidentale vis-à-vis de l’Afrique, du Moyen-Orient, du monde musulman, depuis le XIXe siècle». Politique qui (à l’instar de l’exemple parfait qu’est le traitement courant du « problème palestinien») n’a jamais été que pillage, fourberie, mensonge, exploitation, massacre, deux poids-deux mesures, colonialisme, néo-colonialisme, corruption, impérialisme. Feu Boutros-Boutros Ghali répétait à satiété : «le terrorisme c’est la bombe atomique du pauvre.» Ce à quoi, en toute humilité, j’ajouterai : «les ‘‘migrants’’, c’est la maladie infantile du néo-impérialisme capitaliste post-mondialisation néolibérale.» Point !
O. A.

1) Qui reçoit les félicitations et témoignages d’appui depuis Marine Le Pen jusqu’aux chefs extrémistes de Hongrie, Pologne, Italie, Autriche…
2) Nous avons également, en terres canadiennes, nos «migrants» : en plus de ceux qui fuient le racisme officiel trumpien, il y a les hordes fuyant l’extrême misère, les exactions et les exploitations sans nom des multinationales (notamment US) et de leurs complices locaux ; depuis le Mexique jusqu’en Bolivie et plus loin !
3) On pourrait ajouter : Mali, Soudan, Libye, Niger, Nigeria, Sri Lanka, Indonésie, Colombie, Mexique, Amazonie… et bien entendu, Irak, Afghanistan, Syrie, Palestine, et j’en passe.
4) On a le tournis à chercher qui est au service de qui, qui tue qui : entre Daech, Nosra, Al-Qaïda, Hezbollah, Hamas, salafistes, Kurdes, Azéris, chiites, sunnites, wahhabites… bien malin qui s’y retrouva !
5) Ce qui devient vite «menace» de perdre pays, patrie, histoire, culture… voire, mode de vie, maison, voiture, frigo… confort… qui font l’envie compulsive de ces masses de «fainéants», «barbares», «fanatiques radicalisés»…
6) Pour éviter toute équivoque, je tiens à préciser ici que je suis totalement athée, ou à la limite agnostique parfois…
7) En omettant de préciser que cet islamisme ou «islam radical» est le fruit de la doctrine de guerre froide, dite du «Containment» datant du président Truman, afin «d’endiguer» le communisme (vers ses versants sud) à l’aide de la version wahhabite de l’islam exportée depuis l’Arabie Saoudite sous la vigoureuse et constante impulsion US !
8) Authentique expression utilisée par un ministre français à propos (si ma mémoire ne fait pas défaut) d’un des protagonistes des attentats de Charlie-Hebdo — Super marché Kocher en janvier 2015.
9) Ce qui signifie quoi ? Des musulmans qui pratiquent «modérément» leur foi ? Qui font une prière sur deux ? Un Ramadhan sur trois ?...
10) Jean Rostand avait cette merveilleuse formule : «La grandeur d’une civilisation se mesure à la façon dont elle traite les plus faibles.» Avec un tel critère, qui peut me dire que les USA — entre autres — est un pays civilisé ?

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