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Rubrique Contribution

Le gaz naturel face aux mutations du secteur énergétique et du marché mondial

Par Abdelmadjid Attar(*)
Introduction : vers un pic de production ou de demande ?
Le marché mondial du gaz naturel est en train de connaître des mutations importantes dont le démarrage réel remonte à au moins une décennie pour plusieurs raisons, qui relèvent aussi bien de la carte mondiale des réserves et des capacités de production ou d’exportation, que de paramètres géopolitiques et économiques dont le poids n’est pas des moindres. 
À ces paramètres viennent s’ajouter de plus en plus des paramètres technologiques modifiant surtout le prix de revient du mètre cube de gaz naturel, l’essor du GNL sur les marchés gaziers, la compétition sur les différents marchés, les préoccupations en matière de sécurité énergétique, et de transition énergétique vers des modèles de consommation de plus en plus propres avec le énergies renouvelables. Cette tendance affecte déjà sérieusement l’industrie du charbon et des hydrocarbures liquides, tandis que le gaz naturel est plutôt considéré comme le garant des futurs mix énergétiques destinés à réduire l’émission des gaz à effet de serre, malgré les impacts de la chute du baril en 2014 et ceux de la pandémie actuelle.
Ces mutations, ainsi que le contexte né des impacts de la pandémie Covid-19 sur l’économie mondiale de façon générale, et plus précisément sur l’industrie des hydrocarbures, ont amené tous les acteurs énergétiques, pays ou compagnies à accélérer leur réflexion sur l’avenir des énergies fossiles par rapport à une transition et des modèles de consommation énergétiques qui risquent de modifier complètement leurs stratégies de développement futur. 
Mais tous les acteurs ne semblent pas être du même avis, du moins en ce qui concerne le pétrole surtout. On le constate d’ailleurs quand on lit deux affirmations de deux acteurs énergétiques parmi les plus importants dans le monde :
«Nos fondamentaux à long terme demeurent forts et inchangés. Les économies vont repartir. La demande d’énergie va augmenter de 20% dans les deux prochaines décennies», du président de la compagnie américaine Exxon-Mobil.
«Le pic de la demande de pétrole va être atteint vers 2030 et ensuite elle va se stabiliser ou être légèrement inférieure», du président de la compagnie française Total.
Les stratégies de ces deux géants, et même celles de tous les autres acteurs, montrent cependant que tout le monde est d’accord qu’un processus de transition énergétique est bel et bien en cours, qu’il s’accélère avec le temps, mais les avis sont partagés en ce qui concerne l’intensité de cette accélération, et par conséquent des impacts sur l’industrie des hydrocarbures en matière de :
- Chute importante des investissements en amont dans le secteur pétrolier et gazier, de 483 mrd$ en 2019 à une prévision de 347 mrd$ en 2020. Cumulée avec celle de 2014-2015, et probablement encore 2021, cette baisse finira par avoir des conséquences sur les capacités de production dès 2025 qui pourraient même donner naissance à une crise haussière vers 2025. Mais tout dépendra aussi d’une reprise ou non de la production de pétrole et de gaz de schiste aux États-Unis, où il est prévu que la production chute de 50% d’ici 2021 en ramenant la production totale à environ 8 MMB/j en 2021. Il faut en plus envisager la possibilité d’une reprise de la production Opep, surtout celle du Moyen-Orient, qui pourrait alors avoir l’effet inverse, empêchant de nouveau le prix d’augmenter. Il y a par conséquent trop d’incertitudes sur cette échéance de 2025.
- Compétition entre producteurs sur le marché à court terme caractérisé de plus en plus par une offre abondante aussi bien en pétrole qu’en gaz, pouvant être projetée au-delà de 2030 et même au-delà de 2040.
- Compétition entre toutes les ressources énergétiques et plus particulièrement avec les énergies renouvelables dont l’accroissement régulier des investissements et les progrès technologiques améliorent sans cesse non seulement la nature des usages, mais aussi le coût de revient.
- Compétition entre le pétrole et le gaz naturel, ce dernier étant considéré a priori comme le meilleur support des énergies renouvelables, mais handicapé plus par les conditions de son développement/exploitation que par son usage, et sa propre offre excédentaire.
Dans notre présente analyse, nous allons nous concentrer sur le gaz naturel, parcequ’il nous semble que c’est la ressource qui résistera le plus aux mutations qui affectent l’industrie des hydrocarbures, et celle qui conditionnera le succès d’une transition énergétique vers un modèle de consommation susceptible d’amoindrir les risques climatiques.

Le gaz naturel et les mutations géopolitiques et économiques
1- L’avènement du gaz de schiste aux États-Unis a entraîné une croissance rapide de la production américaine pour atteindre l’autosuffisance et même des exportations de GNL dès 2016, aussi bien en Asie qu’en Europe. La production US de gaz naturel a atteint 947 mrd m3 en 2019, dont 570 mrd m3 en gaz de schiste, et pourrait passer à 1 100 mrd m3 à l’horizon 2030, pour une demande qui va passer de 860 à 947 mrd m3. Ses capacités de liquéfaction sont actuellement en croissance continue et atteignent 80 mrd m3. Les volumes exportés ont atteint 46 mrd m3 en 2019. Selon certaines analyses de l’AIE et l’EIA, ses capacités de liquéfaction pourraient dépasser les 200 mrd m3 à l’horizon 2030. Au-delà de ce constat, il faut noter que l’importance de la production en gaz naturel et l’autosuffisance atteinte ne signifient pas que les États-Unis n’affichent pas de stratégie en matière de transition énergétique, puisque des programmes importants en énergie renouvelable sont réalisés, avec même une tendance de plus en plus apparente dans l’usage de l’électricité d’origine solaire ou autre source renouvelable. Cela peut signifier, dans les décennies à venir, la disponibilité de volumes de gaz pouvant être de plus en plus exportés. Et par conséquent une compétition plus importante avec les autres producteurs sur les marchés européen et asiatique.
2- La crise géopolitique entre l’Union européenne et les États-Unis, d’une part, et la Russie, d’autre part, liée à l’annexion de la Crimée par la Russie et le transit du gaz russe à travers l’Ukraine, a entraîné des sanctions économiques contre la Russie qui durent depuis des années, et surtout des politiques énergétiques européennes dont la principale préoccupation est la sécurité énergétique. La production gazière de l’ensemble de l’Europe est appelée à passer de 277 mrd m3 (2018) à 206 mrd m3 en 2030, de même que sa consommation va diminuer et passer de 607 (2018) à 593 mrd m3. Sa dépendance des importations demeurera avec l’essentiel provenant de la Russie, du Qatar et de l’Afrique, mais de plus en plus des États-Unis si la tendance du gaz de schiste américain persiste au-delà de 2025. Mais c’est la dépendance de l’Union européenne par rapport au gaz russe qui pèse le plus dans les politiques énergétiques de celle-ci, ainsi que les crises politiques qui les accompagnent. C’est ainsi que les États-Unis se sont impliqués dans ces crises vis-à-vis de la Russie non seulement à cause de l’Ukraine mais aussi du projet de gazoduc Nord Stream 2 dont la capacité de transport est prévue de 55 mrd m3 par an dès 2020 ou au plus tard en 2021. Il faut rappeler que la Russie renferme les plus grandes réserves gazières du monde, avec une production qui est prévue passer de 700 à 800 mrd m3 par an en 2030. Elle n’en consomme que 500 mrd m3 et exporte le reste principalement par pipes vers l’Europe et l’Asie, mais avec aussi une stratégie de développement de ses capacités en GNL qui sont déjà de 41 mrd m3, avec des prévisions de passage à 165 mrd m3 à l’horizon 2035.
3- La guerre commerciale entre les USA et la Chine a elle aussi entraîné les mêmes sanctions économiques contre la Chine, et dont la gravité vient de s’accroître autour de la situation interne au niveau de Hong Kong. Il faut cependant noter que la Chine est au centre du marché pétrolier et gazier le plus important dans le monde. Elle est le premier importateur de pétrole en ce moment et le deuxième en matière de gaz (120 mrd m3) derrière l’UE, tout en étant le troisième consommateur mondial de gaz naturel avec 274 mrd m3 (2018), derrière les États-Unis (850 mrd m3) et la Russie (500 mrd m3). 
C’est un marché alimenté essentiellement par les deux plus gros exportateurs de GNL en compétition, l’Australie et le Qatar. La production de l’Australie est prévue passer de 118 à 174 mrd m3 à l’horizon 2030, avec surtout une capacité de liquéfaction qui est déjà de 117 mrd m3, qui lui permet d’être le premier fournisseur régionalement. Il faut cependant noter que le marché gazier a été fortement influencé par la baisse de 50% de la demande chinoise en gaz naturel entre 2018 et 2019.  
4- L’instabilité au niveau de tous les pays producteurs du Moyen-Orient n’affecte pas beaucoup pour le moment la production pétrolière régionale mais bloque ou retarde le développement des immenses réserves en gaz naturel de l’Iran sous embargo américain et européen. Ce pays renferme les deuxièmes plus grandes réserves mondiales en gaz après la Russie, un peu plus de 33 000 mrd m3. 
Sa production est d’environ 275 mrd m3 par an, dont 200 mrd m3 pour le marché intérieur, 60 mrd en injection et torchage, et environ 15 mrd pour l’exportation. C’est une situation qui profite au Qatar dont les réserves sont évaluées à 24 700 mrd m3, et une production gazière de 175 mrd m3 par an avec une capacité de liquéfaction de 107 mrd m3, prévue passer à 226 mrd m3 pour la production et 174 mrd m3 pour la liquéfaction à l’horizon 2030. Les réserves en gaz naturel du moyen-Orient sont évaluées à 75 000 mrd m3, soit 38% des réserves mondiales. 
5- L’Afrique renferme encore des réserves développées ou en cours d’au moins 17 300 mrd m3 de gaz conventionnel. Elle est dominée pour le moment par les productions algérienne et nigériane qui sont stables, à partir de réserves (3P) qui sont équivalentes, avec 5 345 mrd m3 pour le Nigeria et 4 500 mrd m3 pour l’Algérie. Cette dernière renferme cependant quelque 22 000 mrd m3 en gaz non conventionnel dont le développement n’est pas encore envisagé, du moins à moyen terme. 
La production globale de l’Afrique est d’environ 250 mrd m3 mais pourrait atteindre les 372 mrd m3 à l’horizon 2030, avec les récentes découvertes en offshore sur les côtes Est et Ouest, et dont les premières productions sont prévues dès 2022. 
Les capacités de liquéfaction existantes en Afrique sont de 46 mrd m3 pour l’Afrique sub-saharienne, 35 pour l’Algérie, 5 mrd m3 pour l’Égypte et 48 prévues entre 2022 et 2024 pour les récentes découvertes sur les côtes Est (43 mrd m3) et Ouest (5 mrd m3). Soit un total de 134 mrd m3. Seules l’Algérie et la Libye disposent actuellement de capacités d’exportations par gazoduc vers l’Europe, qui sont respectivement de 56 et 17 mrd m3. Mais là aussi il faut compter avec les récentes découvertes du bassin du Levant (est de la Méditerranée), qui sont évaluées à 1 840 mrd m3 (en 2P), dont le développement ramènera environ 100 mrd m3 de gaz naturel dont 50% pour la consommation des pays riverains et le reste probablement aussi pour l’exportation par pipe ou sous forme de GNL dans les années à venir. l’Égypte renferme aussi d’autres réserves onshore avec une capacité de production de 40 mrd m3 par an destinés essentiellement à sa consommation intérieure.  
6- Enfin il faut bien sûr évoquer aussi la pandémie de Covid-19, dont les impacts imprévus sur l’économie mondiale sont venus aggraver le volet négatif de toutes les mutations évoquées au sein du secteur énergétique de façon générale, avec un degré d’incertitude très élevé sur les délais de reprise de la croissance économique mondiale, mais de plus en plus une certitude que plus rien ne sera comme avant, y compris au sein du secteur de l’énergie. La récession économique en cours au niveau de tous les pays est déjà prévue atteindre un recul de 5 à 7% dans le monde en 2020, avec un risque de passer dans de nombreux secteurs d’une économie intégrée à sa fragmentation, entraînant une réorganisation des filières de production, des chaînes d’approvisionnement, et par conséquent un véritable processus de réindustrialisation. 
C’est un contexte qui va nécessairement impacter et accélérer à moyen et long terme la mutation des politiques et stratégies énergétiques actuelles sur la base de trois facteurs importants : 
- l’évolution du comportement du consommateur et des usages de l’énergie ; 
- le souci relatif à la sécurité énergétique et la diversification des sources d’approvisionnement ; 
- et enfin le progrès technologique qui peut réserver bien des surprises non seulement au point de vue efficacité énergétique, mais aussi au point de vue maîtrise et prix de revient des énergies alternatives.

Réserves, production, et consommation mondiales
Les réserves mondiales en gaz naturel conventionnel sont par conséquent très importantes, mais avec une répartition géographique qui a beaucoup changé au cours des deux dernières décennies. Les réserves conventionnelles sont évaluées actuellement entre 200 000 et 250 000 mrd m3, dont 40% au niveau du Moyen-Orient (essentiellement en Iran et au Qatar), 18% en Russie, 10% au Turkmenistan, 10% en Asie-Pacifique, 7% en Afrique, 6% en Amérique du Nord, et 9% dans le reste du monde. Le coût d’exploitation de 70% de ces réserves (conventionnelles) est inférieur à 3 dollars le MMBtu.  Les réserves techniquement récupérables en gaz non conventionnel sont pratiquement du même ordre entre 200 000 et 250 000 mrd m3, mais avec une répartition géographique complètement différente, et surtout une incertitude importante pour le moment sur leur rentabilité.
Elles sont réparties à 14,7% en Chine, 9,6% en Argentine, 9,3% en Algérie, 8,2% aux États-Unis, 7,6% au Canada, 7,2% au Mexique, 5,7% en Australie, et le reste dans les autres régions du monde. Pour le moment, seuls les États-Unis ont pu développer à grande échelle ces ressources avec un pic qui a atteint 570 mrd m3 en 2019, mais qui risque de chuter de 50% entre 2020 et 2021 suite à la récente chute des prix de 2020. L’Argentine et la Chine sont aussi sur la même voie, mais avec des productions inférieures à 30 mrd m3 par an pour le moment.

Les principaux marchés sont toujours les mêmes, à savoir l’Asie et Eurasie en premier lieu, l’Amérique du Nord en second et l’Europe en troisième position. Ces trois régions consomment environ 75% de la production mondiale. Seules l’Amérique du Nord et la Russie s’autosuffisent au point de vue consommation interne. Mais les besoins ou plutôt la tendance des consommations ne sont pas les mêmes d’une région à une autre. 
À long terme, la production mondiale est prévue passer d’environ 3 937 à 4 720 mrd m3 entre 2018 et 2030, dont en moyenne 24% aux États-Unis, 18% en Russie, 16% au Moyen-Orient (dont 4 à 5% pour le Qatar), 16% en Asie Pacifique, 6,5% en Afrique (dont 2% pour l’Algérie). Ces prévisions sont basées sur une croissance régulière de la demande en gaz d’environ 1,8% chaque année, en tenant compte de sa compétitivité avec les autres sources d’énergie. Mais les impacts de la crise pétrolière de 2014 et ceux des crises économiques et géopolitiques régionales évoquées ci-dessus, ainsi que l’avènement de la pandémie de Covid-19 ont déjà entamé des mutations qui vont probablement modifier la structure des échanges et les marchés gaziers.
La demande gazière qui avait augmenté de 4,9% en 2019 devrait évoluer de façon complètement différente en 2020 avec une baisse de 4%, et pourrait même se poursuivre en 2021. En 2019, les États-Unis en ont produit 21% en assurant largement leur consommation et en exportant 3% de cette production. Le Moyen-Orient a contribué à raison de 13% en assurant aussi ses besoins et en exportant 3%. La Russie a contribué avec 11% en assurant ses besoins et en exportant 6% de sa production. L’Afrique a contribué avec 4% de production dont 2,5% ont été exportés (dont probablement moins de 1% d’Algérie).
Par contre, l’une des régions du monde, à savoir l’Asie Pacifique, va connaître une évolution complètement différente puisque sa demande sera de 24%, soit 8% de plus par rapport à sa production. Cette tendance sera dominée par le Japon, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, et Taïwan qui consommeront 70% des exportations mondiales de gaz naturel qui vont passer de 800 à 1 130 milliards de mètres cubes entre 2018 et 2030, dont un peu plus de la moitié en GNL à partir de 2027.

Évolution des capacités et des échanges de GNL
Le GNL est en train de s’imposer dans les échanges mondiaux. Il représente de nos jours avec 488 mrd m3 en gaz naturel, entre 45 et 50% des volumes échangés dans le monde grâce à des capacités de liquéfaction de 600 mrd m3 en gaz naturel aussi. Mais il est surtout important de noter que les capacités de regazéification sont actuellement de 1140 mrd m3 (dont 140 mrd m3 en offshore), soit le double des capacités de liquéfaction. 
Ces capacités de regazéification déjà opérationnelles auxquelles il faut rajouter 1 250 mrd m3 de capacités de liquéfaction et 165 mrd m3 de regazéification en cours de construction ou en projet constituent en quelque sorte des capacités de stockage de gaz naturel pouvant avoir un impact important non seulement sur les échanges à travers le monde, mais aussi le prix du gaz naturel à l’avenir, comme le font les stocks pétroliers sur les hydrocarbures et produits pétroliers. 
Le prix du GNL est constitué à 60% par sa liquéfaction, son transport et sa regazéification. Celui de son transport a baissé d’environ 20% au cours des deux dernières décennies, et pourrait baisser encore plus grâce à de nouvelles générations de méthaniers. 
Il varie entre 0,4 et 1,68 $/MMBtu sur les principales voies d’exportation. 
En matière d’usage et au-delà du secteur de la génération électrique après regazéification, le GNL est déjà introduit dans plusieurs secteurs d’activité comme carburant dans la majorité des méthaniers et il est en train de devenir aussi un carburant compétitif avec le fuel lourd au niveau de tout le transport maritime, dont pratiquement une commande sur cinq en chantier est à base de GNL. Ce type de marché est en train de prendre un essor important sur toutes les voies maritimes. Même le transport routier lourd est en train de s’orienter vers ce type de carburant pour des raisons environnementales en matière de réduction des émissions de CO2 et autres polluants atmosphériques.

Évolution des prix du gaz naturel
Historiquement, le prix du gaz naturel sur les différents marchés a connu deux types d’évolution au cours de deux périodes très différentes. Entre 2000 et 2008, le prix du MBtu était à 2$ près presque identique sur les marchés américain, européen et asiatique (GNL). Il est passé régulièrement de 2 à 4$ sur les trois marchés en 2000 à 12$ en 2008, avec juste quelques hausses conjoncturelles à 12$ sur le marché américain entre 2005 et 2006. La crise financière de 2008 a entraîné une importante chute de ce prix à 4$ sur le marché américain, et entre 6,5 et 7$ en 2009. Les marchés ont emprunté deux voies complètement différentes depuis 2009. 
Le marché américain a connu une chute régulière et moyenne de 4$ en 2009 à moins de 2$ en 2020 suite à une importante augmentation de la production de gaz de schiste. Par contre, les deux marchés européen et asiatique ont connu une évolution irrégulière avec des prix en hausse ou en baisse mais toujours avec 2 à 4$ de plus sur le marché asiatique de GNL. 
Le MBtu en Europe est ainsi passé de 6,5$ en 2009 à 12$ en 2012, en se maintenant jusqu’en 2014. Après une chute importante entre 2014 et 2015, il est reparti à la hausse jusqu’à 8$ en 2018, puis rechuté à 4$ en 2019 et 3$ au début de l’année 2020. Le marché asiatique a enregistré sur la même période la même chute de 10 à 5$. 
Cette chute est trop importante, trop rapide, et a démarré par conséquent en 2019, bien avant le début de la pandémie de Covid-19, même si cette dernière a eu des impacts importants sur l’ensemble des marchés. Le niveau de prix actuel sur tous les marchés va probablement se prolonger sur toute l’année 2020, probablement aussi 2021, mais tous les signaux relatifs à la place du gaz dans le mix énergétique au-delà de 2025 indiquent un retour vers une croissance régulière de la demande, et un marché plus rémunérateur.  

La place du gaz naturel à long terme
Il est par conséquent peu probable que le marché connaisse une reprise rapide au cours des deux prochaines années, ce qui a déjà induit une compétition féroce sur les différents marchés depuis 2019, et que la situation    économique mondiale impactée par le Covid-19 ne fait qu’aggraver. Par contre, même si toutes les analyses et tous les indicateurs, y compris en tenant compte d’une prise de conscience à l’échelle mondiale sur les risques climatiques tendent vers la nécessité de s’orienter vers des modèles de consommation énergétiques plus propres, on peut affirmer que le gaz a encore de beaux jours devant lui à long terme. 
Cet avantage vient de la disponibilité de réserves très importantes, des infrastructures de son transport par gazoduc ou sous forme de GNL en plein essor, d’une demande mondiale qui récupérera sa croissance sur plusieurs décennies encore, et surtout son rôle impératif dans le mix énergétique des nouveaux modèles de consommation énergétique respectueux de l’environnement.
Il faut cependant relativiser cet avantage par rapport aux différents marchés, dans la mesure où les stratégies et modèles de consommation énergétique diffèrent d’une région à une autre à l’horizon 2050. Le marché asiatique demeurera en grande partie basé sur une consommation énergétique tirée des hydrocarbures et du charbon. Le marché d’Amérique du Nord sera aussi basé sur une consommation à base d’hydrocarbures et de nucléaire. Par contre, le marché européen semble afficher, à travers ne serait-ce qu’un scénario modéré, une réelle volonté de sortie des énergies fossiles à l’horizon 2050. Il est basé sur des stratégies de transition énergétique avec un modèle de consommation qui fera passer la production d’énergie primaire d’origine fossile ou nucléaire de 86% en 2020 à 10% seulement à l’horizon 2050. À titre d’exemple, la production d’électricité en Europe a atteint 47,7% d’origine renouvelable en mars 2020. C’est par conséquent un modèle qui entraînera progressivement un recours de moins en moins important aux hydrocarbures.  
Mais, globalement, à l’échelle mondiale et plus particulièrement dans les pays de l’OCDE, l’usage de l’électricité sera progressivement généralisé comme fuel dans tous les secteurs et les usages. Les dernières statistiques de l’AIE sur le premier trimestre 2020 montrent que la production d’électricité a certes baissé par rapport à la même période de l’année 2019 à cause des impacts économiques de la pandémie en passant de 2 707 à 2 645 TWh, mais la part du gaz naturel, elle, est passée de 27,1 à 28,5%, et celle des énergies renouvelables de 24,8 à 28,3%, au profit du charbon et du nucléaire qui ont reculé respectivement de 23,7 à 18,9% et de 18,5 à 18,3%.
Tous ces facteurs vont en même temps entraîner une modification profonde des échanges à court terme, pour faire face à une compétition dont les clefs de réussite passent par l’adaptation des dispositions contractuelles qui conditionnent le prix du gaz naturel sur les différents marchés. Des volumes importants sont échangés aujourd’hui sur les marchés spot sans aucune relation avec le prix du baril de pétrole ou celui des autres sources d’énergie. Mais il est peu probable que ce type de marché se généralise en Europe ou en Asie à court ou moyen terme (2030) dans tous les échanges internationaux pour la simple raison que la sécurité énergétique à long terme, à la base des préoccupations et des stratégies de développement non seulement des pays consommateurs mais aussi détenteurs et producteurs, va être précédée d’une période transition d’au moins une décennie (2020-2030). 

Conclusion
La sécurité énergétique signifie aussi «sécurité d’approvisionnement» tout au long de cette transition. La flexibilité d’enlèvement signifie elle aussi «engagement de livraison». Ce sont deux notions qui ne se négocient pas sur un marché spot entre un vendeur et un acheteur, mais plutôt dans un engagement contractuel pour une durée déterminée, qui tient compte des intérêts et des besoins mutuels. Chacune de ces notions a aussi un prix en plus du prix d’équilibre qui varie d’un marché à un autre en fonction des voies d’approvisionnement, et bien sûr d’une compétition certes difficile à éviter, qui a ses avantages et ses inconvénients non seulement pour les acteurs du marché, mais toute l’industrie gazière ou énergétique de façon générale. 
C’est ainsi qu’à l’avantage des acheteurs de gaz, la diversification des approvisionnements et l’évolution vers des contrats à court ou moyen terme ont pris le dessus de façon continue. Pendant ce temps, les fournisseurs de gaz naturel ont tardé à diversifier leurs destinations et entraîné plus de compétition sur les mêmes marchés. Le pétrole est peut-être en train de vivre ses derniers moments en tant que ressource stratégique ou même de «facteur de domination», pour devenir à long terme un simple produit dont la valeur ne dépendra que de la possibilité ou non de son usage. L’Opep, dont les membres détiennent 70% des réserves et 33% de la production mondiale, doit poursuivre sa stratégie de défense du prix du baril de pétrole en s’alliant avec d’autres gros producteurs comme la Russie, mais les intérêts aussi bien économiques que politiques divergents ne permettront que des accords conjoncturels et fragiles, mais qu’il faut défendre à tout prix. 
Il n’en est pas de même pour le gaz naturel, du moins à moyen et long terme, parce que toutes les analyses indiquent que son poids et sa part dans le mix énergétique laissent prévoir une croissance moyenne d’au moins 1,8% par an à l’horizon 2050. Il faut aussi tenir compte que le Forum des pays exportateurs de gaz (GECF), créé depuis quelques années, pourrait peut-être jouer un rôle important dans le marché gazier dans le futur. Ses douze membres renferment 70% des réserves mondiales en gaz et en produisent 45%.
A. A.
(*) Consultant, ancien PDG de Sonatrach.

Réf : BP Statistical Review of World Energy 2018 ; Data CNUCED-2018 ; GECF-2017 ; IEA-Gas 2020 ; IEA-World Energy Outlook 2019 ; IEA-Energy Review mars 2020 ; EIA-World Energy Outlook 2019 ; IGU-Global Gas Report 2019 ; IGU-World LNG Report 2020 ; OSFME-Marché du GNL 2020 ; Rystad Energy 2017.

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