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Rubrique Contribution

Le Hirak algérien : un mouvement populaire à la recherche de leaders charismatiques

Par Belkacem Lalaoui
«Vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne.»
 (J.J. Rousseau).

Depuis le 22 février 2019, l’Algérie vit au rythme d’un mouvement populaire appelé «Hirak», visible et audible, organisé et discipliné, obstiné et pacifique, qui réclame la mise en place d’une démocratie comme une réalité sociale vivante. C’est-à-dire, une nouvelle politique dans le verbe et l’action, qui puisse libérer les gens de la servitude et les rendre souverains. Un Hirak, caractérisé par une mobilisation sociale inédite, qui a modifié la structure de l’espace public, et au sein duquel les émotions collectives particulièrement fortes et les croyances partagées de la vie quotidienne tendent à s’exprimer, spontanément, dans une surabondance de liens affectifs longtemps bridés. Quiconque n’en fait pas partie et ne partage pas sa ferveur passe pour être un homme ayant des tendances antisociales : un arriéré, voire un barbare. Jamais, depuis l’indépendance de 1962, tant d’hommes et de femmes ne sont descendus dans la rue pour réclamer, pacifiquement, le changement d’un système politique déconnecté de son environnement et dont les tares sont incurables, qui contrôle tout et qui ne laisse aucune place à la libre expression. 
Dans ce Hirak émancipateur, qui ignore l’âge, le sexe et le rang social, et dans lequel l’Algérien est «constamment l’un et l’autre : citoyen et rebelle», selon l’expression du politologue allemand Claus Arndt, la société algérienne ordinaire de la routine a presque disparu, une autre société extraordinaire de l’écoute, de la créativité, de l’entraide, de la confiance, de l’éveil radical et de la «parrhèsia» (terme grec, désignant le parler vrai dans l’espace public pour dire ce qui n’est pas bon à entendre), trône à sa place. Loin d’être une simple saute d’humeur, c’est un mouvement «antisystémique», selon l’expression du sociologue américain Wallerstein ; autrement dit, une révolte populaire descendue dans la rue pour mettre à nu le fonctionnement d’un système maffieux, les hommes qui le représentent et les pratiques oligarchiques privilégiées qui se sont acclimatées. Le Hirak algérien, c’est tout un peuple venu manifester sa puissance pour démanteler un «Etat oligarchique», vivant hors des lois de la République, dépourvu de conscience morale, bâti sur le népotisme, le despotisme, le régionalisme, la corruption et la violence. Un «Etat oligarchique», qui a assuré la perpétuation des injustices de l’ordre colonial : l’exploitation, l’oppression, l’asservissement et l’aliénation.
Dans sa singularité, le Hirak algérien est un mouvement d’émancipation de la société dans toute sa diversité. Charriant avec lui un ensemble plus ou moins cohérent de réflexions, et de réponses à des questions d’actualité, il bouleverse la société et ébranle l’appareil institutionnel dans ses racines morales et politiques. C’est, en somme, la leçon provisoire que l’on peut retenir de ce mouvement de masse pacifique qui demande le changement ; c’est-à-dire la refondation de la cohésion politique et sociale sur des valeurs nouvelles. En effet, après avoir subi un grand «Tchernobyl moral», durant les deux dernières décennies, il semble se dégager au sein de la société algérienne une volonté de se réapproprier l’espace social, politique et institutionnel, et de retrouver ainsi une «unité morale» authentique et véritable, qui n’a jamais été réalisée. Conséquence d’une société sclérosée, et d’une démission ou d’une exclusion des élites intellectuelle et politique traditionnelles de leurs responsabilités vis-à-vis des libertés démocratiques fondamentales ; le Hirak algérien est un mouvement populaire à la recherche de meneurs charismatiques : capables d’éveiller les intelligences et les mémoires, d’éliminer les injustices sociales, de renverser les convictions établies, d’arracher la société à sa torpeur, en recréant du sens et en nourrissant les espérances nouvelles. Cependant, le Hirak algérien qui n’est pas dans une logique de confrontation, mais de dialogue spontané avec le pouvoir, doit se demander combien de temps ses idées et ses aspirations, aussi nobles soit-elles, peuvent être effectivement reçues, acceptées et réalisées. Tout en sachant que l’usage du mot hirak signifie masse, une multitude devenue mouvement, une unité subite, qui ne porte pas encore trace de «totalité». Or, pour G. Tarde, les masses ne sont pas en mesure d’établir un contact sérieux et prolongé avec la réalité, ni de s’évader de leur univers peuplé d’illusions et de susceptibilité maladive. «Tout est moral dans les individus, écrit Benjamin Constant, mais tout est physique dans les masses.» Tel qu’il est en débat, aujourd’hui, le Hirak algérien représente dans ses dimensions spécifiquement politiques un idéal pour instituer un ordre social basé sur la justice et la liberté. Dans cette perspective, et afin de pouvoir ancrer ses idées dans la réalité sociale, le Hirak algérien a besoin d’une direction indispensable à sa permanence. 
Car, le Hirak est un corps collectif, qui a besoin d’un visage, d’un meneur, d’un modèle, d’un guide, d’un leader, qui a valeur d’exemple et de ressourcement. Clé de voûte du Hirak, le meneur est considéré comme le ferment actif dans la lutte pour les intérêts du peuple. 
Son attitude doit rester sobre et son autorité discrète. Ce trait de caractère est devenu le critère sur lequel on juge la foi véritable, la richesse et la trempe du meneur unificateur. En effet, chez le meneur authentique, il n’y a aucune distance entre la lutte pour le pouvoir et la lutte pour les intérêts du peuple.  

Le Hirak algérien : un mouvement populaire contre le vol, la fraude 
et la corruption  

Dépourvus de toute «hauteur de vues», et portant en eux les deux principales passions belliqueuses : la prétention à détenir le vrai et celle à incarner l’héroïsme ; nos dirigeants politiques ont montré, durant ces vingt dernières années, leur impréparation et leur incapacité à diriger cette grande nation et son peuple. Tricheurs et manipulateurs, sans conviction et sans vision, mal doués de talent, spécialisés dans le trafic d’intérêts et dans l’usurpation et la prédation du bien public, ils ont procédé méthodiquement à la destruction de larges secteurs de la société. Avides de prédation à quelque prix que ce soit, toujours prêts à offrir leur libido politique au chef du moment, mais ne pouvant ni écouter, ni éclairer, ni éveiller, ils ont fini par produire «l’Algérien consommateur paresseux», voire «l’Algérien jetable» à la mer. Par leur médiocrité quotidienne, leur intolérance, leur cynisme, leur goût de l’obscur et leur incapacité à «appliquer une science» ; ils ont contribué au renforcement du système en place, plutôt qu’à son changement. Ils ont fait dégringoler l’Algérie de l’héroïsme à la rapine et à la corruption. Sur le plan psychologique, nous avons affaire à des individus au caractère pervers portés à la récidive et à la haine de l’autre. Leurs rapports avec les citoyens sont dépourvus de toute sincérité. En effet, quiconque a observé de près ou de loin le comportement de ces gens-là, durant les vingt dernières années, ne peut avoir aucun doute sur l’étroitesse de leurs vues, leur inaptitude constitutive à enrichir et à agrandir une communauté, et donc à gouverner. Goethe déclarait, déjà, que «pour faire époque dans le monde, deux choses, comme on le sait, sont nécessaires : la première, c’est d’être une bonne tête, et la seconde, de faire un grand héritage». Nos dirigeants politiques, qui ont gouverné ces vingt dernières années, n’ont ni la bonne tête, ni le grand héritage de Larbi Ben M’hidi, pour faire époque dans la société algérienne. 
Durant leur règne, les méthodes de corruption pratiquées se sont confortablement développées et infiltrées dans la mémoire collective jusqu’à devenir une habitude, une attitude, une tradition. Aujourd’hui, on retrouve beaucoup de ces dirigeants politiques parmi les grands coupables de la corruption, ceux qui l’ont pensé et organisé ; et même parmi les petits coupables, ceux qui ont mis leur génie à trouver la forme pour l’exécuter. Depuis les années 1999-2019, il n’est guère possible de nier que les vices et les désordres se sont accrus, les comportements prédateurs ont progressé, et la délinquance économique organisée a augmenté. 
Le tissu social, qui fait qu’une société tient pour ainsi dire debout, a été déchiré. L’égalité des chances n’est plus assurée par l’école. Le sport est devenu une activité de la grande délinquance. La vérité a disparu et le mensonge officiel est devenu un pouvoir de domination. Un climat de passivité protestataire et de fuite civique s’est installé. Plus personne ne sait «situer le haut et le bas de l’échelle». Durant les vingt dernières années, on a assisté à un effondrement des valeurs morales centrales et à un dépérissement de la vie communautaire. Les députés et les sénateurs achetaient leurs postes et les banquiers «prêtaient» de grosses sommes d’argent à leurs amis, en dehors de toute réglementation. De hauts cadres de l’Etat fréquentaient, assidûment, les folles soirées organisées par le baron algérien de la cocaïne. 
Certains Premiers ministres, ayant toujours eu une méfiance angoissée à l’égard de cette réalité souterraine qu’est la masse, traitaient le peuple avec mépris et considéraient la pauvreté comme un phénomène naturel et définitif. Depuis vingt ans maintenant, l’espace social de la simple conversation et du dialogue, qui garantit à chacun l’accès à l’estime de soi, s’est considérablement rétréci. L’engagement dans la vie associative a disparu. Chacun s’est enfermé dans ses petits calculs. Durant les vingt dernières années, on a assisté à la mise en place de la plus grande «économie de brigandage» que l’Algérie ait connue depuis son indépendance. 
Une «économie de brigandage», supérieure aux méfaits du colonialisme. De tout ce qui précède, il va sans dire que toute cette série de faits a profondément offusqué l’orgueilleuse conscience nationale. La société algérienne, dans sa totalité, en est sortie meurtrie. Son univers s’est fissuré. Son image a été ternie. Son identité sociale et citoyenne s’est effondrée. Ebranlés, l’Etat et la Nation ont perdu leur réalité ontologique. Oui, durant ces vingt dernières années, le peuple a pris conscience que les dirigeants politiques qui le gouvernent ne sont pas des hommes d’idées et de foi, de règles et de lois, de croyances et de vérité, de conversation et de dialogue, au sens strict des mots, mais des hommes de prédation et de corruption. Autrement dit, de véritables malfaiteurs, voire des escrocs capables de détruire l’économie, l’éducation, la santé et la culture d’un pays. Des dirigeants politiques, qui ont profondément abaissé la vie humaine et causé le désastre réel de tout un peuple. Durant ces vingt dernières années, la jeunesse algérienne a mené une existence inquiète et incomplète. Elle n’a pas pu exercer son talent, sa curiosité, sa vigueur et son enthousiasme. 
La société s’est culturellement abâtardie. Elle n’a même pas pu s’approprier de façon créatrice sa propre tradition. Bref, durant ces deux dernières décennies, le peuple s’est rendu compte que «c’est lui qui amasse et que c’est eux avec leur progéniture qui pillent». Ce sont là autant de faits qui apparaissent d’emblée comme troublants, et qui ne peuvent être interprétés que comme les signes de l’évolution d’un certain nombre de tendances pathologiques de l’éducatif, du social, du politique et du culturel ; et donc de la monstruosité abominable d’un type de gouvernance, d’un régime et d’une époque.   

Le Hirak algérien : un mouvement populaire contre un régime corrompu, brutal et déshumanisant
Ce qui semble incompréhensible en apparence, à mettre en évidence durant les vingt dernières années et si absurde que cela puisse paraître, c’est que, malgré une maladie handicapante, l’ancien président de la République continuait à être aveuglement obéi, adulé et vénéré par une multitude de bouffons et de cercles.
Il n’y a cependant, là, rien de mystérieux. «La vérité, déclare G. Tarde dans son ouvrage sur les transformations du pouvoir, est que, pour la plupart des hommes, il y a une douceur irrésistible inhérente à l’obéissance, à la crédulité, à la complaisance quasi amoureuse à l’égard du chef.»  

Aujourd’hui, on a quelque peine à imaginer que ceux qui, hier encore, considéraient l’ancien président comme un objet d’adoration ; ceux qui ont voulu le transformer en une force sainte qui crée la prospérité et maintient l’ordre du monde ; ceux qui l’abordaient dans un état d’esprit voisin de la foi religieuse ; ceux qui ont voulu le déifier ; ceux qui ont tiré tant d’avantages occupent encore malheureusement de hautes fonctions au sein de l’Etat. 
Ce serait pour nous une tâche bien décevante que de citer les noms de ceux qui ont proclamé l’ancien président de la République comme un demi-dieu, omniscient, omnipotent et infaillible. Certains d’entre eux marchent, aujourd’hui, dans les rangs du Hirak clamant haut et fort qu’il faut impérativement faire tomber le système, qu’ils ont eux-mêmes construit. 
Il est vrai que l’histoire nous apprend que c’est toujours avec fureur que les «croyants» brisent les statues de leurs anciennes idoles, et que les «Brutus» conspirateurs sont toujours prêts à commettre le crime libérateur. Nikita Khrouchtchev, ancien président de l’Union soviétique, avait raison de déclarer au sujet de Staline qui symbolisait le «pouvoir total» : «Je rendrai justice à Staline sur un point : il n’a pas conquis notre esprit et notre corps par l’épée. 
Il a démontré son talent supérieur en subordonnant et manipulant les gens…»  De même, il faut rendre justice à l’ancien président de la République algérienne sur un point : il n’a pas conquis l’esprit et le corps des Premiers ministres, des ministres, des walis, des ambassadeurs, des chefs de parti, des responsables de syndicats, des directeurs de banque, des recteurs d’université, etc., par l’épée. Pour mettre au pas tout ce monde, genoux à terre et regard baissé, il a tout simplement mis toute son habileté manœuvrière au service d’un plan conçu à l’avance, avec comme seule finalité : «diviser pour régner».  
Mieux, il a même su enfermer le peuple algérien dans un monde d’assistanat, d’illusions, de charlatanisme, de superstition et de magie ; voire dans un conformisme sado-masochiste, pour parler comme les psychiatres. Sinon, comment expliquer que, même diminué physiquement et mentalement, il ait pu régner en maître absolu sur quarante-trois millions d’âmes humaines ? 
Cela ne peut pas s’expliquer seulement par la singularité de l’homme, mais résulte aussi de la complexion psychique des masses, telle que tente de nous l’expliquer le psychiatre et psychanalyste allemand Wilhelm Reich. 
En effet, cet auteur s’est intéressé à la psychologie des masses pour comprendre la personnification du pouvoir d’Hitler et la nature du régime nazi ; autrement dit, pour saisir les prédispositions psychologiques typiques et comprendre les conditions politiques et sociales, qui ont conduit à une forme de «fascisme radical». 
Cette étude, faite il y a plus d’un demi-siècle, ne peut pas nous laisser indifférents. Elle nous interpelle quant aux similarités de la situation algérienne, et du processus qui l’a généré. Car il est évident que l’apparition et le développement concret des «phénomènes totalitaires» de l’histoire peuvent se reproduire à toute époque, et dans n’importe quel pays. 
La principale caractéristique de cette thèse suffisamment éclairante, et facile à retenir, affirme que le triomphe du nazisme en Allemagne ne peut s’expliquer seulement par le charisme d’Hitler, mais résulte aussi de la complexion psychique des masses allemandes, qui font que le mélange est explosif. C’est ainsi, par exemple, que W. Reich a montré que la famille, par le travail d’éducation qui lui échoit, reproduit un mode de comportement socialement hérité depuis des générations, c’est-à-dire une «structure du caractère» qui appuie l’ordre politique, économique et culturel, bien précis de la société dans son ensemble. W. Reich voit, en effet, dans l’éducation familiale la fabrique de l’idéologie autoritaire et de la structure du caractère. C’est dans ce terreau culturel qu’Adolf Hitler aurait transféré, selon la formule si frappante d’Alice Miller, «son propre traumatisme familial à l’ensemble du peuple allemand». 
L’étude de W. Reich nous enseigne, en somme, que le véritable totalitarisme est le fait de la société elle-même, bien plus que dans le mode d’exercice du pouvoir. Ainsi, certaines aires culturelles offrent, plus que d’autres, les conditions favorables à l’éclosion d’un type de totalitarisme, qui a des causes sociales et idéologiques profondes. Dans cette problématique, l’Algérie a subi, durant les deux dernières décennies, un type de totalitarisme colonial mis en place par un «leader suprême» : une sorte de «Caligula» subjugué par lui-même, frénétiquement maître de l’Algérie, souhaitant la peste à son pays, la famine à son peuple et la déroute à l’armée. Et il n’est pas exagéré de dire, qu’avec l’exceptionnelle complexion psychique des masses algériennes, que ce phénomène politique ne va pas se répéter avec un autre «leader suprême» élu lui aussi démocratiquement. C’est pour parer à cette éventualité, de ne pas remplacer un type de totalitarisme par un autre, qu’il faut changer l’architecture et le fonctionnement des institutions et non pas seulement les hommes ; si l’on veut lutter contre les chaînes du «totalitarisme» en Algérie. D’où la problématique de ce que devrait être le dialogue national prôné par le Hirak et le pouvoir : faut-il changer simplement de Président ou de système de gouvernance ? Ou encore, pour le dire en termes plus élémentaires : comment faire pour ne plus nous confronter avec ce qui s’est déjà passé, et avec ce que nous avons été ?

Le Hirak algérien et les perspectives d’avenir
Tant pour la société que pour le pouvoir et ses composantes, voilà un phénomène aussi énigmatique qu’universel, qui est apparu subitement là où il n’y avait rien auparavant. En ce sens, le Hirak algérien est un superbe lever de soleil, un chant de vie, une laborieuse révolution sociale ; qui a fait découvrir au peuple algérien qu’il peut se parler à haute voix, et que le choix démocratique est en train de s’opérer sous la forme de discussions publiques, paisibles et respectueuses. Ainsi, et quel que soit le point de départ d’une analyse visant à mettre à jour la dimension paradoxale du terme hirak, on aboutit explicitement ou implicitement à caractériser ce dernier comme un élan passionné vers le progrès social. 
En effet, le Hirak en tant que concept théorique, et en tant que pratique, donne un éclairage sur de nouvelles problématiques sociales et de nouveaux besoins, qui touchent à toutes les sphères de la vie. Par la dimension morale et pacifique qui l’habite, c’est un mouvement citoyen, par essence, venu dénoncer avec force et courage un «gang», une «bande» de truands maffieux qui ont «mangé le pays». Dans cette perspective, le Hirak soulève une espérance, et doit faire l’objet d’un consensus. Il ne faut pas oublier, en effet, que les deux slogans phares du Hirak sont la «paix» (silmiya) et l’appel au «dialogue» authentique et fertile, libéré de toute aliénation. Or, le dialogue authentique ne peut avoir lieu que lorsque surgissent des hommes éclairés, dont le langage introduit dans le discours la reconnaissance réciproque, la tolérance émancipatrice, l’écoute, le désir de paix, l’acceptation tacite de la loi, la douceur du compromis, la négociation et le contrat. C’est-à-dire des hommes de charisme, qui peuvent établir ou rétablir l’écoute et le respect, les droits et devoirs de chacune des parties prenantes au dialogue. 
Dans cette «éthique de la discussion», le point nodal du débat entre le Hirak et le pouvoir présuppose une entente sur les buts et conditions préalables pour permettre une résolution rationnelle des revendications structurelles du mode de gouvernance, que les manifestants ne cessent de clamer tous les vendredis. Il importe au demeurant de souligner qu’un dialogue de négociation politique, dans le processus d’intégration démocratique, ne doit pas prendre l’allure d’un duel. 
En effet, pour le philosophe allemand Hans-Georg Gadamer, «le dialogue ne fait pas prévaloir l’opinion de l’un contre l’opinion de l’autre, ou n’ajoute pas comme dans une addition l’opinion de l’un à l’opinion de l’autre, mais qu’il les transforme tous deux». Le propre de tout dialogue, c’est que, par lui, quelque chose va changer. Tout dialogue produit un compromis, voire un consensus, et c’est là sa destination véritable. Le dialogue anéantit la discorde. Etre capable de dialogue, écouter l’autre, parler ensemble et parvenir par l’intelligence à l’entente, constitue la véritable élévation de l’homme à l’humanité, selon H.-G. Gadamer. Ainsi, dans une société qui confère une place privilégiée aux relations de face-à-face, le dialogue de négociation politique entre le mouvement populaire, Hirak, et le pouvoir doit être une occasion de construire une entente, et de prouver que le pouvoir peut être désormais légitimé «par le bas» et non plus seulement «par le haut». Cependant, le pouvoir ne doit pas ignorer qu’à travers le Hirak c’est le peuple algérien, tout entier, qui s’est levé dans un orgueil national extrême pour retrouver sa fierté et sa dignité. 
En effet, le terme hirak est par définition un processus de renversement. Et le renversement une fois commencé ne s’arrête plus. Ceux qui ont été si longtemps sans défense ont soudain des dents. Chacun cherche une situation dans laquelle il puisse se débarrasser de ses adversaires, et chacun en a beaucoup. C’est pour cela, que le Hirak algérien ne doit pas apparaître comme une surface trompeuse, un «marécage démocratique» sous lequel se dissimulent des puissances manipulatrices, qui sont derrière ses actions. D’un autre côté, le pouvoir doit se rendre à l’évidence, que le Hirak est un mouvement pacifique et pacifiste capable de renforcer l’unité sociale, de redresser le moral de la nation, d’instaurer une nouvelle fraternité, de contribuer à la stabilité intérieure et extérieure du pays, de répondre au défi de la modernité, et de donner une image nouvelle et puissante de la nation algérienne. Selon le contexte politique que vit l’Algérie, aujourd’hui, le pouvoir a une mission historique de grande ampleur à assumer et à remplir : celle d’accompagner pédagogiquement le mouvement populaire Hirak dans son ardeur et dans son bouillonnement pour l’aider à avancer sagement, raisonnablement et rationnellement, et ce, afin qu’il puisse concrétiser les aspirations et les besoins de tout un peuple. Car il ne faut pas oublier que chaque génération se construit à partir des idées et des valeurs de la précédente, parfois en les rejetant et parfois en s’y conformant. Mais en y apportant toujours sa contribution à l’édification d’un Etat moderne.
B. L.

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