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Le numérique : allié ou ennemi ?

Par le Pr Baddari Kamel(*)
Savez-vous que lorsque vous envoyez un email, il parcourt en moyenne 15 000 km ? Savez-vous que lorsque, par internet, vous envoyez une photo de taille moyenne, c’est l’équivalent de 3 ampoules de 20 W allumées pendant une heure ? Savez-vous que l’usage du numérique est responsable de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit environ 1,5 fois plus que l’émission de l’aviation civile, et que ce nombre atteindra probablement les 8% en 2025 ? Savez-vous qu’un utilisateur régulier de Youtube émet chaque année environ 115 tonnes de CO2 en visionnant des vidéos ? Ces chiffres nous laissent perplexes et nous donnent le tournis. Une quantité gigantesque d’énergie, qui dépasse l’entendement, est nécessaire au fonctionnement des appareils chargés de traiter et de transporter l’information d’un point à un autre. Le numérique est énergivore par excellence et ces chiffres ne feront qu’augmenter face à la circulation accrue des flux de données, des objets connectés en nombre infini et des data centers en constante augmentation. 

A ce train et compte tenu des perspectives de la consommation énergétique mondiale, le numérique, conjugué à d’autres sources énergivores, se traduira par une très forte pression sur les capacités énergétiques du monde, accélérera sa rareté et aggravera le réchauffement climatique dont les conséquences sont imprévisibles pour l’humanité, allant de l’augmentation de la température interne du corps humain jusqu’à la disparition de la végétation et la dégradation de la qualité de l’air que nous respirons.

Alors, qu’est-ce-que le numérique ?
Le numérique est considéré comme l’une des grandes transformations sociétales. Il est partout. Il a modifié nos manières de produire et d'interagir avec notre environnement. Il est à la fois indispensable et crucial à l’existence des êtres vivants, des choses et des objets. Selon que l’on soit riche ou pauvre, le numérique sonnera à des degrés divers. Si pour une catégorie, à l’image des pays du tiers-monde, il est loin de leurs préoccupations, pour l’autre catégorie, il est indispensable au fonctionnement de leurs sociétés et représente une condition sine qua non à leur développement et aussi à leur velléité de domination.
Du point de vue technique, le numérique (et les logiciels subséquents) est un codage qui permet aux équipements électroniques de fonctionner et de communiquer entre eux ; tels que les ordinateurs, les tablettes, les smartphones, les calculatrices, les appareils photo, les machines et appareils de l’industrie… Il permet également de produire des informations comme des photographies, des films, des vidéos, de la musique, etc. Le numérique est énergivore de première importance, et si rien n’est fait d’ici peu, le numérique sera une barrière infranchissable à la transition énergétique et constituera un réel danger pour la planète. À titre d’illustration, rien que pour les data centers (espaces abritant les réseaux, les applications et les données) répartis à travers le monde, la puissance électrique nécessaire à leur fonctionnement est estimée à la capacité de production de 30 centrales nucléaires. Ils nécessitent aussi une quantité gigantesque d’eau pour la climatisation de ses équipements. À titre d’exemple, la consommation en eau des data centers en Californie (USA) est estimée à 150 000 piscines olympiques par an !

La part du numérique dans l’émission de gaz à effet de serre
La multiplication des équipements électroniques rendus nécessaires par la force du développement technologique entraîne une consommation d’énergie et de matières premières essentiellement fossiles en quantité faramineuse. L’émission du CO2 et la production des déchets et la pollution de l’air sont à la base du bouleversement climatique qui tend à se développer avec la course effrénée à la modernité. Le numérique n’est plus une farce, il est réel. Il est devenu évident et indispensable à l’usage, même s’il est responsable de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ce chiffre se répartit à raison de 25% générés par les data centers, 28% dus aux infrastructures réseaux et 47% aux équipements des consommateurs (ordinateurs, tablettes, smartphones, GPS, objets connectés, etc. (source : http://www.ademe.fr - 2021). En Algérie, le nombre d’utilisateurs effectifs d’internet au mois de janvier 2021 était de 26,35 millions sur une population estimée à 44,23 millions, selon l’agence APS (février 2021) rapportée par le site Data reportal (https://datareportal.com/reports/digital-2021-algeria). Cette source indique aussi que le nombre d’Algériens utilisant les réseaux sociaux est de 25 millions dont 24 millions utilisent le mobile (smartphone, tablettes). Autant dire que l’Algérie a une part dans la pollution et le réchauffement climatique. 

Stratégie pour minimiser les impacts du numérique
Limiter les impacts du numérique, c’est avant tout connaître les sources d’émission des gaz à effet de serre. 
En Algérie, comme dans la plupart des pays, les facteurs aggravant le réchauffement climatique sont, entre autres, l’émission du CO2 qui provient essentiellement des transports aérien, ferroviaire et terrestre, la vétusté du parc automobile et l’insuffisance d’entretien des engins roulants, la déforestation liée à l’activité humaine et aux incendies, le manque d’espaces verts, etc. Il faut donc s’attaquer à ces facteurs et à bien d’autres pour dresser une stratégie qui minimise les impacts du numérique sur l’environnement. Premièrement, la réduction du transport est liée à l’émergence d’une administration moderne et citoyenne qui doit simplifier la vie de ses citoyens et des entreprises par des procédés divers tels que la réduction drastique de la bureaucratie afin de permettre aux citoyens et aux entreprises d’utiliser internet à distance dans tous les domaines. Dans ce contexte aussi, la réduction de la nocivité du transport sur le climat passe par la décentralisation de l’administration pour réduire la circulation des engins et les «goulots d’étranglement» qu’elle crée. 
Deuxièmement, la vétusté du parc automobile pose un problème tout aussi sérieux qui augmente l’émission des gaz à effet de serre. Par des moyens coercitifs, il faut légiférer des textes permettant de pénaliser les propriétaires ayant des voitures à forte empreinte carbone. Il y a lieu aussi de réfléchir à l’émergence d’une industrie de véhicules électriques. 
Troisièmement, la déforestation et les espaces verts doivent faire l’objet de procédés de simulation et de techniques d’Intelligence Artificielle pour la prédiction des incendies, la plantation d’arbres à travers tout le territoire national, la réhabilitation du barrage vert. L’Intelligence Artificielle et la Ville Intelligente sont aussi des facteurs qui doivent faire partie de cette stratégie. Quoi qu’il en soit, le processus d’élaboration d’une stratégie est une approche participative basée sur la consultation continue des parties prenantes et en repensant périodiquement et en profondeur ses actions.

Alors, allié ou ennemi ?
Le numérique n’est pas tout rose ! Il est un secteur industriel qui contribue à épuiser les ressources naturelles, à polluer la planète et à augmenter la consommation électrique qui est un facteur de première importance du réchauffement climatique. Imaginez un seul instant que la température interne de l’être humain passe finalement de 36 ou 37 degrés à 40 ou 41 degrés, voire plus. Les organes internes du corps humain ne pourront pas supporter une telle température et seront vite détruits. Cette réalité peut mettre le numérique sur le banc des ennemis des vivants, des choses et des objets. Il est aussi et à la fois un allié irremplaçable et un facilitateur de nos démarches administratives, juridiques et professionnelles, un organisateur de nos loisirs, un augmentateur et un améliorateur de notre résidu culturel, etc. Il suffit pour ce faire que l’humanité prenne conscience de son danger, de ses avantages et de maîtriser son usage. Paradoxalement, à chaque avantage du numérique, on peut lui opposer le contraire. Ainsi, si la 5e génération des smartphones est utile à l’Homme, elle est à la fois facteur de réchauffement climatique de première importance. Si l’avion est nécessaire pour le transport des biens et des personnes, il est à la fois source importante d’émission de gaz à effet de serre, etc. Ce sont ces contradictions (et bien d’autres) entre le mal et le bien, inhérentes au numérique, qui le complexifient et alimentent les débats d’ordre philosophique et éthique de son usage portant sur la question infernale du rapport entre ce qu’il aurait pu être, ce qu’il aurait dû être et ce qu’il doit être.

Conclusion
Le monde industriel, tout en étant responsable de cette situation, organise périodiquement des réunions pour discuter de la sérieuse problématique du réchauffement de la planète. La dernière en date, la Cop26, tenue à Glasgow (Écosse) les 31 octobre et 03 novembre 2021, a de nouveau déploré la situation critique actuelle et future. Sur environ 175 pays concernés, 80 d’entre eux se sont engagés à réduire de 30% l’émission de gaz à effet de serre d’ici à 2030, recommandent le recours à l’Intelligence Artificielle à l’effet de contribuer à la diminution du réchauffement climatique par la construction de logiciels bien élaborés, ainsi que la poursuite de l’objectif du maintien du réchauffement à 1,5°C. 
Le numérique occupe une place importante dans le contexte de cette réunion car son usage permanent avec une connectivité totale, des contenus surabondants et un trafic de données gigantesque hautement énergivores font de lui une priorité et un levier important pour diminuer le réchauffement climatique. Nous vivons en fait dans une civilisation la plus riche et la plus puissante de l'Histoire de l'humanité, et son avenir demeure sibyllin. S’agissant d’une civilisation, déjà en 1950, Aimé Césaire rappelait qu’«une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde».
B. K.

(*) Professeur des universités en mathématiques et en physique. Expert de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Expert en conduite de changement. Université de M’sila.

 

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