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Rubrique Contribution

Les habits neufs de l’ancien régime

Par Pr Abdelmadjid Merdaci
Dix semaines après le début des marches de mars – celle du 22 février ne me paraît devoir y être rapportée —, il est difficile de ne pas percevoir moins la lassitude que la montée irrépressible des interrogations du moins parmi les plus sincères de ceux qui animent un mouvement dont tant l’identité que les objectifs ne semblent pas faire l’objet d’un consensus clair.

S’il faut prendre acte de la diversité des lectures des mouvements qui se déploient sous le générique du « Hirak » —enraciné dans l’irrédentisme rifain et sans ancrage, à bien y voir, avec l’histoire politique nationale — toutes vouées au même soutien sans recul critique, il est difficile de ne pas y déceler un convenu souci de conformisme et d’allégeance. Seuls les maîtres du jour changent. Aujourd’hui marcheurs, même sans réel projet d’alternance, substitut allégorique aux allégeances d’hier et d’avant-hier.
Ceux qui invoquent un « mouvement populaire » et ceux qui tiennent à un  « mouvement citoyen » désignent-ils le même phénomène et faut-il alors rappeler  que c’est précisément « au nom du peuple » que s’est établi, au lendemain de l’indépendance, le régime autoritaire qui avait – et, hélas, pour longtemps — interdit le droit à la citoyenneté ?  
Pourquoi ne pas rappeler que le nazisme et le fascisme avaient pris racine dans des foules déchaînées, que le nombre ne suffit ni à la vérité ni à la raison politique.
Le fait est qu’après deux mois pleins de marches et de happening, le mouvement, hors de se reproduire de manière quasi obsessionnelle, s’est avéré impuissant à formaliser une sortie de crise qui s’accroche à des slogans qui ne sont que cela et sont de plus en plus en décalage avec les inquiétudes de ceux qui continuent de marcher et notamment de ceux, silencieux mais sociologiquement majoritaires, qui se demandent quelle sera l’issue.  
Il y a, quoi qu’on en dise, une rue du silence et des interrogations, plus celle de tous les jours que celle du vendredi qui, si elle pouvait aussi prendre la parole, dirait sa méfiance sinon son mépris pour les usufruitiers de l’autoritarisme, lièvres de toutes les élections frauduleuses, abonnés aux quotas qui se débattent de manière pathétique pour continuer d’être ce qu’ils ont toujours été, des prédateurs politiques.
Ceux qui marchent, en toute légitimité par ailleurs, gagneraient à s’interroger sur ceux qui ne marchent pas – y compris ceux qui auront subi plus que d’autres les stigmates de l’absolutisme autoritaire - et ceux qui crient allègrement « Ya tnahaou ga’ » devraient  donner plus de corps, de consistance politique à leurs appels. 
Il faut donc faire le constat qu’il n’en est rien et que s’il est possible – et même réjouissant – de mettre en musique et même en mouvement les slogans marcheurs cela visiblement n’a pas suffi à esquisser les voies pertinentes d’enracinement des valeurs démocratiques dont la société algérienne avait été brutalement sevrée.

1- L’insulte à la mémoire de la guerre de Libération  
Des clients sans foi du régime absolutiste — qu’ils connaissent, de l’avoir servi, bien mieux que les jeunes marcheurs qu’ils tentent de manipuler — se sont même autorisé à appeler à dégager les  « 3B » sachant pertinemment que cette formule désignait et ne désignait que trois des plus illustres dirigeants de la lutte de Libération nationale, Krim, Boussouf, Bentobbal. 
Mes amis de la presse, au lieu de continuer comme ils s’y sont complus, à se substituer à des partis en papier journal, auraient pu avoir le mérite d’alerter, d’appeler à la vigilance ne serait-ce que pour protéger l’intégrité de ceux qui marchent en toute bonne foi. Bien des titres travaillent gaillardement à entretenir le feu d’un « Hirak » qui offre la commodité de couvrir des plus prévisibles retournements de veste.
On dit couramment que « les rats quittent le navire » et se reconnaîtront sans difficultés ces magistrats retrouvant le sens de la loi, ces syndicalistes aveugles, dans la meilleure des hypothèses, à la transformation de l’UGTA en temple des prébendes, ces pseudo-élus sans légitimité, ces journaux qui désormais marchent  tous les jours et même le vendredi, en somme toute la cohorte du silence stipendié de toutes ces années d’or noir et d’ordures. 
Qui dira alors à nos jeunes garçons, à nos jeunes filles à la fulgurance de leurs marches, que l’histoire politique du refus de la résignation au pouvoir autoritaire, de l’appel au courage et à la résistance, n’a pas commencé le 22 février et ceux parmi eux qui brandissent — heureusement — les portraits de Boudiaf, Zighoud ou Ben M’Hidi, devraient aller plus loin et exiger aussi la libération d’une Histoire nationale, confisquée, violentée et mise au service  des pouvoirs en place. 

2- L’alphabet de la résistance à l’autoritarisme 
Ils déclineront alors l’alphabet de l’honneur, de la fidélité au serment du 1er Novembre qui inscrivait sans ambiguïté à son fronton les libertés. PRS comme Parti de la révolution socialiste, PCA comme Parti communiste algérien interdit en novembre 1962, MDRA comme Mouvement de défense de la révolution algérienne, CNDRA, Conseil national de défense de la révolution algérienne, FFS, comme Front des forces socialistes,  ORP comme Organisation de la résistance populaire. Et ils auraient à lire et décrypter L’Arbitraire de Bachir Hadj Ali, poète, militant, carrefour lumineux de tous les combats pour le patrimoine national. 
Non, l’opposition à l’autoritarisme n’est pas née en février ou mars 2019. L’enfouissement mémoriel de ces sombres années de mise au secret, de torture, de prison sans jugement devrait être sans aucun doute mis au passif de ceux qui se parent, aujourd’hui, toute honte bue, des habits neufs de la révolte. 
Les survivantes de ces premières générations militantes pourraient dire l’angoisse des nuits glacées sous la menace de l’arrestation, de la torture d’acteurs anonymes d’institutions assurées de l’impunité. Au regard de ce qui se dit, s’écrit, se diffuse sous le registre pompeux des « réseaux sociaux », il est à peine étonnant de retrouver les mêmes peurs qu’hier, de constater que la démocratisation perverse de l’impunité n’a rien à envier à celle d’hier. 

3- Un questionnement légitime 
Cela noté, il est des choses troublantes qui appellent l’observation et le questionnement. Qu’y a-t-il réellement de profondément changé par le cours des marches urbaines des vendredis ? 
Le constat froid d’un nouvel unanimisme qui n’est pas sans rappeler celui qui était de mise il y a à peine quelques mois. Quêtez la dissidence, la parole libre, l’incorrection politique, vous  ne les trouverez pas. Aujourd’hui comme hier. 
La réactivation d’un « néo-populisme » aussi dominateur et sûr de lui que par le passé, instituant un peuple – peu identifié, à bien y voir — comme référence absolue et auquel beaucoup refusent précisément le droit – encore vierge de tout actif – de s’exprimer pacifiquement par la voie des urnes. 
Il faut être sourd pour ne pas entendre les appels misérables et pathétiques de tous les échoués de l’autoritarisme qui exigent, toutes circonlocutions égales par ailleurs, que l’institution militaire leur remette, sans examen, un pouvoir dont ils savent qu’ils n’y accéderont jamais par les vertus du scrutin démocratique. 
Ceux-là manipulent, ceux-là veulent mettre au service de leurs ambitions la sincérité et la bonne foi de ceux des marcheurs qui, légitimement, veulent un autre destin pour l’Algérie et entretiennent volontairement l’illusion que la démocratie est dans la rue, dans  l’apparente puissance du nombre. Que n’ont-ils alors mobilisé contre un « pouvoir extraconstitutionnel » qu’ils ont accompagné presque une décennie durant ? Que n’ont-ils boycotté des élections frauduleuses dont ils s’interdisent, en connaissance de cause, de dénoncer les acteurs réels ? Que ne s’expliquent pas sur leurs complaisants compagnonnages avec le régime makhzénien auquel ils avaient consenti et avec lequel ils avaient partagé, ne serait-ce qu’un temps, le chemin ? 
La seule marche qui importe, et elle exige l’attachement au destin du pays, est celle, longue, difficile, escarpée, vers une société de libertés qui ne peut être fondée que sur le respect de l’intégrité des individus, du respect de leurs choix – tous leurs choix — et ne peut s’exprimer et s’épanouir que dans le seul cadre des principes démocratiques. 

4- Le seul verdict 
Cette marche nécessaire, difficile, peut se heurter – c’est encore aujourd’hui le cas — aux facilités démagogiques, aux mensonges et instrumentations et surtout aux résistances de l’ancien régime. Signaler alors que l’ancien régime ne se réduit pas à quelques symboles faciles, que sa puissance se niche dans les vrais centres de pouvoir – notamment la haute administration — et que ses capacités de nuisance, n’en déplaise aux porte-voix intéressés du néo-populisme, sont tout à fait intactes. 
Seuls ceux qui craignent le seul verdict qui compte, celui des urnes – qui peut et doit supporter tous les contrôles possibles – espèrent faire endosser des habits neufs à l’ancien régime. 

5- 22 février, une marche ambiguë 
La marche du 22 février, promue aujourd’hui à une forme de consécration historique — le mot de révolution tragiquement galvaudé dans l’Algérie indépendante, peut encore servir. Mais quels desseins ? — n’a encore livré aucun de ses secrets de fabrication. 
Le scénario de cette marche a-t-il été signé par « le peuple en marche » ou alors par les soins de ce que l’on appelle désormais « le pouvoir extraconstitutionnel» ? Poser la question n’est pas faire injure à la sincérité des marcheurs mais le  croisement d’un certain nombre de données peut donner à réfléchir. 0
L’été 2018 avait vu la mise en place – suffisamment discrète pour alerter l’observation — d’un siège de campagne de soutien au cinquième mandat dont le secrétaire général du FLN avait été le bateleur actif avant une surprenante fin de mission qui avait alors nourri les hypothèses d’un « plan B » largement relayé par la presse. C’est dans ce contexte formellement d’incertitude que surgit dans l’espace politique l’inédite proposition d’une « conférence inclusive » portée par un second couteau de l’Alliance présidentielle assez vite suivie de celle du président du MSP sur un report de la présidentielle du 18 avril. 
L’affaire de la chute du président de l’APN, de la désignation d’un anonyme à la tête de l’APN puis sa promotion en qualité de coordinateur d’un FLN illégalement décapité, pouvait nourrir, devait alimenter et entretenir les spéculations sur « une guerre des clans » à l’intérieur du sérail et, d’une certaine manière, fragiliser l’option de l’élection présidentielle à son terme formel.
Interviennent alors deux déclarations de Ahmed Ouyahia, l’une en conférence de presse sous la casquette de SG du RND qui, pour la première fois et hors de toute référence, invoque la rue pour affirmer que l’Etat avait les moyens de son contrôle. Le fait est que le recours à la rue ne figurait alors dans aucun agenda politique. Et puis, il y eut l’appel à la manifestation par le biais desdits réseaux sociaux dont le même Ouyahia signalait « le caractère anonyme ». Il a bien dit anonyme, comme si l’Etat ne disposait pas de moyens de contrôle d’internet. 
Ainsi donc, la marche du 22 février devait d’abord être celle du refus de la candidature à un cinquième mandat, candidature mise en scène par ailleurs au retour de Bouteflika de Suisse. Il s’agissait clairement d’une provocation qui devait conduire – et ce fut sans ambiguïté le cas — à l’annonce du retrait de la candidature assortie d’un projet de transition adossé au report de la présidentielle et la tenue d’une conférence inclusive, en réponse, fût-il assuré, à l’appel du peuple. Du 22 février notamment.
A défaut d’une guerre, seule option constitutionnelle du report de la présidentielle, le recours à la rue avait pu faire fonction de substitut. Et les deux offres de la transition étaient déjà sur la table.
Les marches ont continué alors même que le « régime extraconstitutionnel » subit un démantèlement sans précédent dans l’histoire algérienne, sans que soit clairement levée la dangereuse confusion entre la chute du régime et les tentations de remettre en cause les institutions de l’Etat-Nation. 
Ceux qui marchent de bonne foi comme ceux qui ne marchent pas laisseront-ils faire ?
A. M.

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