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Rubrique Contribution

Mouloud Achour : un aristocrate de la plume nous quitte

Par Pr Chems Eddine Chitour
École polytechnique, Alger

«La Camarde qui ne m'a jamais pardonné
D'avoir semé des fleurs dans les trous de son nez
Me poursuit d'un zèle imbécile (…) Note ce qu'il faudrait qu'il advint de mon corps
Lorsque mon âme et lui ne seront plus d'accord
Que sur un seul point, la rupture Quand mon âme aura pris son vol à l'horizon
Vers celles de Gavroche et de Mimi Pinson
Celles des titis, des grisettes
Terminus en gare de Sète.»
(Georges Brassens Supplique pour être enterré à la plage de Sète) 

Cette Camarde qui a pris les habits de la Covid-19 n’arrête pas de nous angoisser en nous arrachant nos fibres sentimentales une à une. Cette fois elle jeta son dévolu sur  Mouloud Achour. Près de 100 000 références sur Google nous indiquent déjà que Mouloud Achour est une personnalité connue et reconnue.

Qui est Mouloud Achour  
Sainte Beuve a dit un jour de Ronsard : «(…) Qu’on dise : Il osa trop, mais l’audace était belle ; Il lassa, sans la vaincre, une langue rebelle, Et de moins grands, depuis, eurent plus de bonheur.» 
Sans doute Mouloud Achour osa souvent avec bonheur en nous laissant une œuvre qui gagnerait à être étudiée, voire bonifiée pour reconstituer l’itinéraire de la pensée éclectique de cet écrivain iconoclaste dont la réputation était surtout la discrétion et l’horreur des feux de la rampe. 
Mouloud Achour est avant tout un digne fils de l’Algérie profonde. Avec son allure d’un gentleman anglais, il eut plusieurs vies toutes réussies  car assumées. Nous le lisons sur l’encyclopédie libre Wikipedia : «Journaliste (notamment à El Moudjahid, Algérie Hebdo et Liberté), et écrivain algérien d'expression française, auteur notamment de nouvelles et de récits. 
Membre puis président de la commission de lecture de la Télévision nationale, secrétaire permanent du Conseil national de la culture en 1990 et 1991 puis directeur du cabinet du ministre de la Communication en 1991 et 1992. Il est directeur éditorial de la maison d'édition Casbah à Alger, et a été responsable du domaine ‘’Livre’’ lors de ‘’l'année de l'Algérie en France’’ en 2003. »(1)

Quelques hommages
Il fut aussi de la génération des bâtisseurs de l’information honnête comme  cela sera son parcours avec  Noureddine Naït Mazi, directeur du journal El Moudjahid. Comme rappelé dans ce bel hommage de Boukhalfa Amazit : «Lui qui s’est attaché à promouvoir et publier tant d’écrivains et artistes, s’est toujours gardé d’assurer sa propre visibilité d’autant que les genres qu’il pratiquait demeurent injustement négligés par rapport au roman, comme si la qualité d’une œuvre dépendait de son genre éditorial. Pour ma part, j’aimerais souligner de plus l’expérience formidable entre mai 1969 et juin 1977 qu’il avait lancée et dirigée à travers le supplément culturel d’El Moudjahid.»(2)
Je l’ai connu une première fois quand je faisais mon service national  à l’ENCRK (École nationale des cadets de la Révolution de Koléa), il enseignait le français, j’enseignais les mathématiques aux élèves du moyen et la physique en terminale. C’était l’époque bénie où l’enseignement était de qualité et les valeurs encore plus bonifiées dans cette éducation à la spartiate.
Je l’ai revu près  d’un quart de siècle plus tard  quand je commençais à me lancer dans la bataille des mots. Dans cette atmosphère  difficile, en tant qu’enseignants qui affirmions chaque jour à notre façon de quel bord nous étions, que l’Algérie était debout. A la fin du siècle dernier, j’eus le bonheur de le retrouver comme directeur de la publication aux Éditions Casbah. Moi qui venais du froid de la rationalité, il m’aida à articuler mes idées et à en faire un ouvrage. C’est d’ailleurs lui-même qui me suggéra le titre élégant : Algérie : Le passé revisité. Il en sera de même quelques années plus tard ; j’avais proposé — dans l’euphorie éphémère de la mise en place d’un Traité entre l’Algérie et la France avec le président Jacques Chirac — un manuscrit intitulé : De la Traite au Traité ; une Utopie à construire. Il me conseilla de changer le titre, le nouveau locataire de l’Élysée, Nicolas Sarkozy, était aux antipodes de cette  idée qui, comme nous le savons, était conseillé par les «nostalgériques» et les intellectuels communautaristes. Monsieur Mouloud Achour me proposa généreusement de conserver le titre : De la traite au traité : Histoire d’une utopie. Du même coup, ce n’était plus une espérance à construire mais la description d’une occasion ratée. 
Dans une élégante introduction, il trouva les mots pour cela : «La visite à Alger du chef de l’État français début juillet 2007 a mis un terme à la démarche initiée par son prédécesseur, en accord avec son homologue algérien, visant à ‘’bâtir une utopie’’. Il reste que la grande utopie, la véritable, est celle qui, pendant plusieurs siècles, a bercé la conscience et nourri les certitudes des colonisateurs européens. C’est bien celle-là qui est au centre de la problématique développée par le professeur Chitour dans ce remarquable essai auquel nous avons choisi  de conserver le titre premier même si son objet n’est plus à l’ordre du jour.»(3)
Cet hommage de personnalités du monde de la culture  qui l’ont connu, admiré respecté et, pourquoi pas, aimé sont là pour témoigner de l’épaisseur intellectuelle de l’homme. Boukhalfa Amazit écrit : «La maladie qui frappe les Terriens a emporté un pédagogue, un journaliste, un critique, un écrivain qui, depuis le début des années 1970 du siècle dernier, a marqué de sa présence ininterrompue et épaisse le monde de la presse et de la culture. (…) Mouloud Achour a impacté son époque, la nôtre, par la densité de son action sur le domaine de la culture. Il en était un ‘’djoundi’’, un véritable soldat au service des arts et des lettres. Pas un homme de culture seulement. Bien qu’il ait accompli ce rôle avec honneur et gloire, mais il était un homme de la culture. 
Mouloud Achour avait promis sa vie à l’enseignement. Après l’École normale supérieure, il se voyait professeur des lycées. Il ne restera pas longtemps à enseigner le français, (…). Le démon de l’écriture s’emparera de lui vers la fin des années 1960. (…) C’est, également, au début des années 1970 qu’il publiera Le Survivant, son premier recueil de nouvelles, suivi de Héliotropes en 1973.»(4)
«Mouloud Achour dirigeait le fameux El Moudjahid Culturel qui a formé tant et tant de journalistes culturels et de critiques, mais aussi d’écrivains dont les noms feront flamboyer la littérature algérienne, je n’ajouterai pas d’expression française, non par crainte de péjoration mais parce que je partage avec Mouloud cette conviction qui était la sienne, qu’il n’existe qu’une seule littérature, quelle que soit sa langue d’écriture : elle est l’expression d’une seule, unique et même nation. (…) Loin du monde où grenouillaient ‘‘les petits chefs’’, de tous genres, l’auteur de Un automne au soleil (2016) s’est consacré, une vie durant, à des travaux insonores et sans galerie. Loin des vivats et des ‘‘glorifications’’ circonstancielles, où les récipiendaires ne sont qu’un alibi pour les caudataires. Cet homme a lu, écouté, corrigé, vu, comme le grand pédagogue qu’il était. (…) Que ceux qui ont connu Da l’Mouloud lèvent la main. Ils sont nombreux. Plus nombreux encore, sont ceux qui l’ont respecté et aimé.»(4)
Pour Yasmina Khadra, autre écrivain  de talent : «C’est encore une lumière qui s'estompe sous l'éteignoir de Dame Covid, encore un ami qui s'éclipse dans le mirage de nos prières. (...) On m'apprend à l'instant que Monsieur Mouloud Achour est parti, emporté par l'effroyable pandémie. (…) Mouloud était quelqu'un de bien, un brave homme, simple comme son sourire et d'une grande générosité. Je l'ai connu au début des années 1970, à l'École des cadets de Koléa, où il nous enseignait le français. À l'époque, adolescent instable, je m'initiais à la littérature pour assagir mes jeunes démons. J'écrivais des poèmes d'amour tristes comme des sanglots et des nouvelles sans héros.  
Un jour, j’eus le courage de soumettre un de mes textes à M. Mouloud Achour qu'on disait abordable et attentif au verbe car lui-même était un important écrivain. (…) Il m'avait écouté pleinement, M. Achour. Il a été le premier à m'encourager et à me dire qu'il ne fallait surtout pas, sous aucun prétexte, sous aucune contrainte, renoncer à ma vocation d'écrivain. Le premier et le seul, ces années-là. Ce fut un honneur pour moi de lui avoir dédié Le Sel de tous les oublis, un honneur et l'expression de ma profonde gratitude. J'ignore si on repose vraiment en paix lorsqu'on laisse derrière soi des proches et des amis inconsolables. (…) Mouloud Achour restera à jamais un grand monsieur, un grand écrivain et un grand militant des belles-lettres, une grande figure de la culture algérienne qui s'en est allée porter nos prières au ciel afin que, sur terre, nous ayons la force de tolérer ce que nous ne pouvons empêcher. Pars en paix, Mouloud. (…)  Adieu, Mouloud. Adieu, sourire bienveillant, adieu l'ami, je t'aimais bien... Dieu ! que c'est triste de conjuguer l'amour au passé. »(5)
Que puis-je ajouter ? Il me disait souvent  en voyant la comédie humaine de ceux qui se bousculent au portillon de la visibilité médiatique concomitant avec le râtelier de la République paraphrasant Malraux : «Etre un  homme, c’était réduire la comédie.» Assurément, c’était le talent et l'humilité faits homme. Mouloud Achour n’était pas un comédien mais avait le rire contagieux et il nous arrivait de relever çà et là matière à rire de bon cœur. Son sacerdoce était de ne  jamais se prendre au sérieux mais de faire les choses sérieusement. Et Dieu, que c’était difficile pour lui, en tant que responsable de la publication aux Éditions Casbah, de refuser  avec élégance et doigté un manuscrit. Toute sa vie était caractérisée par des apports élégants, à ses amis, non pas le bon usage du français mais le bel usage du français. Il m'honorait de son amitié. Que Dieu lui fasse miséricorde. 
Ces vers de Victor Hugo que je cite souvent me paraissent décrire l’humilité de quelqu’un qui, toute sa vie, était un taiseux laissant son œuvre parler pour lui : 
«Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange, il vivait. 
Il mourut quand il n'eut plus son ange ; 
la chose simplement d'elle-même arriva, 
comme la nuit se fait lorsque le jour s'en va.» 
Victor Hugo, Jean Valjean. Extrait de : Les Misérables (1862).
C. E. C.

1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouloud_Achour_(% C3 % A9crivain)
2- https://www.elwatan.com/edition/culture/lecrivain-journaliste-mouloud-achour-succombe-a-la-covid-19-en-tout-honneur-26-12-2020
3. Mouloud Achour. Note de l’éditeur : De la Traite au Traité : Histoire d’une utopie de chems Eddine Chitour. Editions Casbah. 2007. Alger.
4. Boukhalfa Amazit https://www.elmoudjahid.com/fr/ nation/deces-de-l-ecrivain-et-journaliste-mouloud-achour-3252
5. Yasmina Khadra https://www.liberte-algerie.com/culture/un-grand-militant-des-belles-lettres-351331

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