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Rubrique Contribution

Pour «apaiser les mémoires», justifier la trahison et glorifier les traîtres ?

Par Mourad Benachenhou
«Le 8 mai 1945, jour de la Victoire, un peloton d'exécution de la seconde division blindée exécuta, sommairement, dans une clairière près du village de Karlstein, en Bavière du Sud, douze prisonniers du bataillon de dépôt appartenant à la 33e division de grenadiers SS ‘’Charlemagne’’, accusés de trahison. Ces prisonniers faisaient partie d’un groupe arrêté par l'armée américaine dans la région et remis aux Forces françaises libres en mouvement.»
(Dans : Le Tissier Tony : La Division SS Charlemagne. éditions Pen and Swords Books Limited, Royaume-Uni, 2010)

Les guerres créent à la fois des héros et des traîtres. Il n'est nullement nécessaire de définir ces deux mots, dont le sens est connu de tout un chacun, quoique — et il faut le souligner ici — les héros des uns sont les traîtres des autres.
On peut même ajouter que le héros d'aujourd'hui peut devenir le traître de demain. Il ne manque pas d'exemples dans l'Histoire de retournements subits d'évènements qui ont conduit les uns à être voués à l'opprobre éternel, et les autres à sortir de la boue de la trahison pour être élevés au rang de sauveurs de leur groupe.

Même les grandes nations n'ont pas échappé aux revers de l'Histoire
Le cas le plus connu dans la période contemporaine est celui du maréchal Pétain, grand vainqueur de la Première Guerre mondiale, acteur principal dans l'écrasement de la guerre de libération menée entre 1921 et 1925 par l'Émir Abdelkrim contre les troupes espagnoles et françaises sur le territoire marocain, alors sous protectorat conjoint de l'Espagne et de la France.
La défaite de la France face à l'armée nazie devait aboutir, le 22 juin 1940, à la signature d'un armistice qui plaçait l'ex-puissance coloniale, dont le chef d'État était Pétain, sous le contrôle du IIIe Reich et faisait de ce pays un allié actif de l'entreprise nazie en Europe, avec, comme conséquence, la mobilisation volontaire de Français aux côtés de la Wehrmacht. Cette mobilisation reçut non seulement l'accord, mais également l'appui officiel du maréchal Pétain.

Une collaboration massive et officielle
Quel était le nombre de Français ayant rejoint l'armée nazie dans sa tentative de contrôler tout le territoire européen ? Le chiffre exact de ces soldats apparaît comme difficile à établir, car leur engagement se fit dans différentes unités de la Wehrmacht, sous différents noms et sur des territoires d'intervention différents. Ce nombre pourrait avoir atteint les cent mille engagés répartis entre les unités suivantes : (voir idealdevie.unblog.fr pour plus de détails)
1. «La LVF : Légion des volontaires français contre le bolchevisme ;
2. «La SS Sturmbrigade Frankreich» (Brigade d'assaut SS Frankreich) ;
3. «La SS Freiwilligen Sturmbrigade Charlemagne», la «brigade SS d'assaut Charlemagne», qui a participé à la défense acharnée de Berlin jusqu'à la reddition officielle des nazis le 8 mai 1945, trois corps auxquels doivent être ajoutés les volontaires du corps motorisé nazi, les engagés de la Luftwaffe, les commandos français de surveillance de l'organisation Todt, les marins de la Kriegsmarine, les techniciens du service de réparation de l'armée nazie, les spécialistes de l'artillerie anti-aérienne nazie, les membres de la force de défense des forteresses, les agents de l'Abwehr chargés de missions de sabotage, les infirmières françaises des Waffen SS.

Une collaboration faite sous le drapeau français
Cette liste impressionnante des diverses participations de volontaires français dans l'effort de guerre nazi prouve, s'il le fallait encore, qu'il ne s'agissait pas d'une collaboration armée marginale, mais d'une mobilisation dont le volume ne pouvait qu'avoir eu un effet certain dans la stratégie militaire nazie.
À souligner qu'une partie de ces volontaires combattaient sous le drapeau français avec des uniformes de la Wehrmacht, puisque, officiellement, la France pétainiste s'était proclamée neutre et avait arrêté toutes ses opérations militaires sur tous les fronts où elle était engagée.
De plus, il est à souligner que tous ces volontaires agissaient de manière légale et étaient considérés comme travaillant pour la grandeur de la France et non comme des ennemis de l'État français officiel. Aucun de ces volontaires ne violait des lois françaises de l'époque, ou trahissait la «patrie française», présidée alors par le maréchal Pétain, chef d'État légal.
Pourtant, ceux qui avaient participé «légalement», et d'une manière ou d'une autre, à l'effort de guerre nazi ou aux activités de répression menées contre les résistants français reçurent, après la «Libération» le châtiment qui frappe les traîtres et non le traitement réservé aux héros, défenseurs de la «civilisation occidentale contre le bolchévisme», bien que beaucoup aient combattu sous le drapeau français.

Une répression sans pitié de la collaboration
Aussitôt la libération de la France acquise, la répression officielle organisée par les autorités françaises nouvelles, tout comme les actes de vengeance personnels ou collectifs, ont fait de nombreuses victimes parmi ces collaborateurs. Le nombre des «traîtres» victimes d'exécutions sommaires a été estimé à trente-six mille, touchant toutes les couches sociales du pays.
Une commission d'épuration fut mise en place pour poursuivre les délits d'opinion des intellectuels français ayant pris position pour la doctrine nazie. Des listes noires d'écrivains et journalistes, maisons d'édition ayant montré des sympathies pour l'idéologie nazie furent établies, les livres des délinquants furent interdits de vente.
De son côté, la justice française fut mobilisée pour juger de manière formelle les collaborateurs de l'ordre nazi.
Suivant les statistiques du ministère français de la Justice, dont le titulaire était alors M. Teitgen, et publiées en septembre 1945 (voir site Thyssens.com pour plus de détaile)
- 86 540 Français furent déférés devant les tribunaux pour collaboration avec l'occupant nazi ;
- 1 356 d'entre eux furent condamnés à mort ;
- 6 909 furent condamnés à des peines de travaux forcés de différentes longueurs (de la perpétuité —929 — à des périodes limitées) ;
- 12 428 furent frappés de peines de prison simple
De plus, 25 678 Français furent frappés d'indignité nationale.
Bien que tous ces Français aient agi dans le cadre de la loi française appliquée au moment des faits, et qu'ils aient eu l'appui, comme l'accord des autorités officielles françaises alors au pouvoir, et que, légalement, ils ne pouvaient donc être considérés comme des traîtres, il n'en demeure pas moins que le gouvernement provisoire de la République française, qui a pris le pouvoir après la libération de Paris le 25 août 1944, les a jugés comme «traîtres» et les a frappés de différentes sanctions privatives de vie comme de droits civiques, et qu'en plus des milliers d'entre eux ont été les victimes d'exécutions sommaires.

Le contentieux historique franco-allemand pris en charge par le Tribunal de Nuremberg
La France a, grâce en particulier aux procès intentés contre le leadership nazi par le Tribunal international de Nuremberg, liquidé définitivement ses contentieux historiques avec le peuple, comme avec l'État allemand. Il n'en reste pas moins que quel que soit, par ailleurs, le jugement — qui ne peut être que réprobateur — que l'on puisse porter sur le régime, ce régime fait partie de l'histoire de l'Allemagne ; beaucoup d'Allemands font la distinction entre les horreurs que ce régime leur a fait subir, ainsi que les souffrances et les destructions qu'il a infligées à une bonne partie du «monde civilisé» d'un côté, et de l'autre, le fait que, malgré tout, il était une des formes, certes criminelles et barbares, sous lesquelles se sont exprimés les intérêts vitaux de la nation allemande. Et pour ces Allemands, les Français qui ont collaboré avec le régime nazi pourraient être considérés comme des amis de cette nation, et dignes de voir leurs sacrifices reconnus par elle.

Des cérémonies et des monuments allemands pour célébrer les collaborateurs français du nazisme ?
Supposons que M. Olaf Sholz, l'actuel chancelier allemand, homme politique de grande finesse et au sens historique aiguisé, veuille récupérer une partie de ce qui, dans l'héritage nazi, constitue le droit d'un peuple de se défendre, qu'il organise une cérémonie reconnaissant l'apport de ces Français à l'effort de guerre «allemand», et qu'il institue une «journée des volontaires français de la Wehrmacht», avec, pour couronner le tout, un discours condamnant avec véhémence la répression féroce qui a frappé tous ces volontaires, toutes fonctions et tous corps inclus.
Il serait difficile de croire que le gouvernement français, voulant éviter les «querelles mémorielles», accueillerait avec grâce cette reconnaissance officielle allemande de l'amitié envers la nation allemande manifestée par ces volontaires dans une phase périlleuse de son histoire récente. Il s'ensuivrait une crise qui mettrait en danger non seulement les relations entre ces deux pays, mais même le complexe système économique, monétaire et institutionnel qui maintient la paix entre ces deux puissances qui ont passé des siècles à se battre l'une contre l'autre pour établir leur hégémonie l'une sur l'autre et sur le reste de l'Europe.

Le peuple algérien, victime d'une agression unilatérale
Comme l'a écrit un témoin de l'agression de 1830 contre le peuple algérien : «La guerre d'Alger ne fait éprouver qu'un étonnement pénible, comme d'une chose qu'on ne saurait comprendre, dont on cherche, en vain, la cause et le but, mais bientôt, en l'examinant davantage, on la trouve injuste dans son origine, imprudente dans sa précipitation, infructueuse dans ses résultats, et, depuis quelques jours, coupable et criminelle dans son exécution.»
(Alexandre de Laborde, député de La Seine (1830) : Au Roi et Aux Chambres, sur les véritables causes de la Rupture Alger et Sur L'expédition qui se prépare, Truchet, Libraire, Paris, 1830).
L'Algérie a subi une agression non provoquée et une occupation dont le moins qu'on puisse dire d'elle qu'elle n'avait rien de bénin ou de civilisateur. On sait que cette occupation s'est achevée dans un bain de sang et dans le chaos, et qu'en plus, est resté ouvert le contentieux historique lourd de la reconnaissance finale par l'ancienne puissance occupante de la non-légitimité de son invasion et de la légitimité de la résistance algérienne à cette occupation.

Il n'y a pas eu de campagne d'épuration après l'indépendance !
Et ce contentieux n'est nullement entretenu par les autorités publiques algériennes qui ont tout fait pour l'étouffer, en dehors de déclarations sans lendemain et sans conséquence qu'on trouve, de temps à autre, dans les discours officiels.
On ne peut pas dire non plus que les autorités aient fait preuve de la même détermination dans la répression des actes de collaboration d'Algériens avec les autorités coloniales françaises. On n'a vu ni le renvoi systématique de tous les fonctionnaires algériens de l'ex-administration coloniale, ni l'instauration de tribunaux spéciaux pour punir les «traîtres», ni même l'interdiction des anciens de l'armée coloniale de servir dans l'Armée nationale populaire, bien que certains d'entre eux aient rejoint cette armée bien après la proclamation de l'indépendance, et aient, aidés par l'esprit de corps, réussi à obtenir des fonctions élevées au sein du ministère algérien de la Défense.
Quant à la remise en circulation du prétendu massacre des harkis, légende reprise récemment par la plus haute autorité de l'ex-puissance coloniale, elle ne peut être considérée comme entrant dans le cadre de l'apaisement du contentieux historique.

La décolonisation des esprits et l'apaisement des mémoires sont un vaste chantier encore ouvert chez l'ex-occupant colonial
On constate avec grande amertume et inquiétude :
- que les ennemis de l'indépendance de l'Algérie dans l'ex-puissance coloniale ont maintenant chevauché la dangereuse monture de l'islamophobie, et dont certains, comme Éric Zemmour, en font une profession lucrative ;
- que tous les candidats se réclamant de «la droite française», caressant dans le sens du poil les tendances nazifiantes d'une partie de l'opinion publique française, encore sous l'influence du «doriotisme» pétainiste, embrassé, comme de juste, par Éric Zemmour, tentent de redonner valeur marchande à la «mission civilisatrice du colonialisme».
Donc ceux qui donnent aux Algériennes et Algériens des leçons d'oubli du passé et de dépassement des rancunes historiques devraient adresser leurs sermons non seulement aux autorités officielles françaises, mais également à cette classe d'islamophobes de carrière qui, comme de juste, ont tous des liens avec l'Algérie coloniale, dont ils entretiennent la nostalgie, en répandant urbi et orbi un message de haine meurtrière contre le peuple algérien et en tentant de délégitimer, par la falsification délibérée, méthodique et systématique de l'histoire du pouvoir colonial, non seulement sa lutte de libération, mais même son indépendance.

En conclusion
1. La France accepterait-elle que les Français qui ont pris fait et cause pour le nazisme soient honorés comme des héros en Allemagne ?
2. Peut-on croire que l'apaisement dans les relations entre France et Algérie ne pourrait venir que de l'oubli par les Algériens des actes criminels du système colonial, tandis qu'une partie de l'opinion publique française est encore sous l'emprise des «partisans de l'Algérie française ?
3. Cette tendance prend de l'ampleur et laisse poindre la montée en puissance d'un mouvement qui a toutes les caractéristiques du nazisme, mais cette fois-ci dirigé contre les musulmans et prenant pour cible l'Islam, quelle qu'en soit l'expression.
4. La classe politique de ce pays refuse de prendre à bras-le-corps les conséquences économiques, culturelles et sociales de la mondialisation, préfère exacerber la xénophobie primaire de la populace, toutes considérations idéologiques confondues, et exploite cette tendance pour gagner quelques points électoraux, en faisant de la population immigrée musulmane ou issue de cette immigration la source de tous les maux d'un système économique international ayant perdu la boussole, source d'injustices sociales et de misère morale, de plus en plus ingérable.
5. Le problème de fond, dans ce contentieux encore mal appréhendé tant par l'opinion publique de l'ex-puissance coloniale que par toute sa classe politique, n'est pas celui de la fin des «querelles de mémoire», mais celui de la reconnaissance de la légitimité tant de la lutte de Libération nationale que de l'indépendance de l'Algérie.
M. B.

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