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Rubrique Contribution

Pour une transition systémique réussie

Par Amine Kherbi(*)
La décennie qui vient de commencer porte les promesses d’un changement significatif pour l’Algérie. Pour autant que nous ayons la volonté et le courage de sortir de l’impasse constitutionnelle, institutionnelle et organisationnelle dans laquelle nous nous trouvons depuis un quart de siècle environ.(1) 

Cela appelle une nouvelle lecture de la réalité nationale pour assurer la cohérence et la réussite de la politique de renouveau grâce à l’utilisation rationnelle de nos moyens humains et matériels, l’efficacité de notre capacité de conception, d’initiative et de mise en œuvre des politiques publiques s’appuyant sur un projet national cohérent.
C’est la prise en charge de cette priorité qui nous permettra de promouvoir des institutions  démocratiques fortes, de diminuer notre vulnérabilité aux variations des conditions externes, d’assurer une plus grande valorisation des atouts de notre pays, de renforcer notre résilience et notre aptitude à saisir les nouvelles opportunités afin de relever les défis et de préciser les ressorts et les contours de notre avenir à bâtir. 
Aujourd’hui, nous vivons une période de transition complexe qui pose de nouvelles interrogations sur le futur. Avec les changements prévisibles tant sur le plan interne qu’externe, notamment l’amélioration de la gouvernance et le rôle accru qu’est appelée à jouer la société civile dans le façonnage des profils institutionnels et les nouvelles approches de la sécurité et du développement, la consolidation de la stabilité politique est devenue un impératif qui rend encore plus nécessaire une vision stratégique globale pour mieux appréhender un contexte de changement social qui va en s’accélérant et une mondialisation qui forge notre environnement économique. 

Tirer parti de la grande vitalité de la société algérienne
Dès lors, il faudra tirer parti de la grande vitalité de la société algérienne, des nombreuses opportunités qu’elle recèle et du potentiel de croissance considérable qu’elle possède. Voilà pourquoi nous devons avoir un grand projet et un dessein mobilisateur traduisant la volonté de l’État, garant de la solidarité collective, de conduire le processus du changement et d’accompagner les évolutions induites par l’adaptation de ses régulations internes et l’approfondissement des réformes structurelles en exploitant les développements technologiques décisifs qui favorisent les gains de productivité et la création d’emplois. Un effet de masse doit être recherché afin de renforcer l’efficacité, la cohérence et la visibilité des actions en faveur des petites et moyennes entreprises.
Nous devons également élargir le champ de notre horizon en dépassant certaines pratiques qui conduisent aux lourdeurs administratives et aux réglementations ineptes contraires à une gestion saine des services d’intérêt général.       
Toutefois, pour acquérir le sens et la notion de l’avenir, il nous faudra renouer avec la capacité de proposition qui a fait la force de l’Algérie dans le passé et innover sans cesse pour accompagner les enchaînements successifs des situations qui composent la trame de la vie économique, sociale et culturelle. 
En raison de la gravité de la situation économique actuelle, il est permis de penser qu’une nouvelle politique sera élaborée. L’Algérie doit être porteuse d’un projet de développement ambitieux pour affirmer son identité économique et accroître son autonomie d’action. C’est ainsi qu’elle sera en mesure d’anticiper les changements annoncés du monde dans les domaines géoéconomique et géopolitique pour se positionner comme acteur crédible sur les scènes régionale et internationale.  
L’État, partenaire des acteurs économiques et des collectivités locales, devra donc trouver des solutions efficaces pour compenser le retard industriel de notre économie, les carences de notre système bancaire, optimiser le rendement des entreprises grâce à une meilleure adéquation des moyens de financement et une adaptation de la main-d’œuvre aux mutations industrielles. Il faudra aussi lever l’incertitude de l’innovation afin de maîtriser la gestion du changement. 
C’est la meilleure manière pour l’État d’affirmer sa détermination, de donner plus de cohérence à la politique économique en se montrant capable de créativité et de nouvelles initiatives qui répondent aux exigences d’un environnement macro-économique stable et à l’amélioration de la confiance entre tous les acteurs de la vie économique et de la société civile.
Ainsi, les conditions nécessaires seront créées pour élaborer une stratégie visant le développement d’un système productif capable de générer des innovations et de réaliser ses objectifs de meilleure compétitivité en recourant aux investissements directs étrangers pour les opportunités qu’ils procurent à l’exportation de produits manufacturés, au transfert du savoir-faire technique et à l’intégration aux évolutions technologiques ainsi qu’aux formations nécessaires à la promotion des compétences. 
Cette démarche, que nous devons privilégier pour mieux appréhender les enjeux du renforcement de nos capacités d’adaptation à tous les versants de la mondialisation suppose une concordance entre les finalités de l’État et celles de la société, une vision à moyen terme et un effort de coordination de façon à situer les programmes dans leur véritable contexte en ayant en vue la justice sociale et la diffusion des innovations dans l’économie pour assurer la sécurité du développement. 
Cet enjeu capital doit conduire à une alliance entre industries et services afin d’améliorer les performances de nos entreprises et faciliter leur insertion dans un contexte concurrentiel globalisé. 
Cela incite à développer les débouchés potentiels en appliquant des politiques macroéconomiques et structurelles appropriées qui génèrent plus de compétitivité et plus d’emplois. Il reste de la responsabilité des pouvoirs publics d’encourager et de soutenir une telle démarche en éliminant les entraves à la mise en œuvre de programmes alternatifs par les entreprises. Il convient en effet de créer un environnement plus favorable aux entreprises pour jeter les bases d’une politique de compétitivité globale tout en renouant avec le besoin de cohérence qui n’en est pas moins urgent. C’est là, sans doute, le défi collectif que nous devons tous relever pour conforter l’ambition de l’Algérie et son image de marque. 

Ouvrir un débat de fond sur les conditions de la transition systémique
Aussi, la question de la sécurité et du développement, dans ses différentes dimensions,  devrait-elle être au centre du débat de fond à ouvrir sur les conditions d’une transition systémique réussie dans le contexte de la globalisation de l’économie et de l’émergence de la société de l’information. 
Même si les constats sont connus, les enjeux doivent être clairement posés. Il est certes plus aisé de vouloir une nouvelle politique que de la préciser et surtout de l’appliquer.
Divers obstacles se dressent contre elle, notamment l’absence d’un cadre institutionnel adéquat favorisant la bonne gouvernance, une lutte résolue contre la corruption, une économie de croissance viable, une gestion efficace des asymétries territoriales, une réduction des inégalités et une prise en compte de l’impact de l’interdépendance et du risque international sur notre situation interne et notre équilibre externe.  
Se mobiliser et tenter de surmonter ces contraintes, en cherchant  des approches plus favorables à la poursuite du progrès social, est une nécessité.
Mais, d’un point de vue de simple bon sens, il est évidemment impossible de mettre en œuvre une politique globale sans réfléchir sur la façon de consolider la sécurité, d’organiser les activités productives d’une manière rationnelle en luttant contre l’économie informelle, de diminuer notre dépendance des hydrocarbures, de promouvoir les énergies renouvelables, de réduire les inégalités, d’atténuer les déséquilibres, de protéger l’environnement, d’éviter les soubresauts des réformes économico-politiques tout en accélérant le processus d’intégration économique et de développement technologique. 
L’enjeu de cette étape de la transition systémique que nous traversons réside dans l’élaboration d’un nouveau modèle de développement économique(2) dont le choix découle des exigences de la politique de renouveau, de la manière d’organiser les séquences de l’activité économique et de créer l’environnement juridique approprié dans le cadre d’une spécialisation fondée sur une protection dynamique et une diversification de l’économie nationale. 
Ce modèle doit être en phase avec les  exigences du redressement économique et les attentes des Algériens en démontrant la possibilité de changement à partir de ses succès. Cependant, pour accroître les possibilités d’action de l’Algérie, nous devons miser concomitamment sur la bonne gouvernance économique, la transparence, l’ouverture aux échanges internationaux, l’amélioration de l’environnement des entreprises, la création de pôles de compétitivité et la promotion d’une industrie des services associés aux énergies renouvelables, au commerce, au transport et au tourisme en prenant à bras-le-corps les problèmes de la jeunesse et des femmes par le moyen de nouveaux modes d’insertion et de participation régulés par un cadre institutionnel approprié.  Tout en prenant la mesure du champ des possibilités, il convient donc de renforcer l’attractivité du territoire et sa compétitivité, de favoriser une meilleure intégration à l’économie mondiale, d’assurer la stabilité à long terme et le développement durable du pays afin de construire les solidarités collectives qui servent de socle à la cohésion sociale et à la paix civile.  

Fixer les buts pour une action collective
Une vision stratégique est donc nécessaire pour mieux s’adapter aux nouveaux enjeux, faire face aux menaces et maîtriser les risques dans un contexte de compétitivité et d’efficacité qui sont le fruit de la compétence organisationnelle et de la maîtrise technologique.  
C’est ainsi que pourront être fixés les buts pour une action collective qui tienne compte des facteurs de croissance essentiels à moyen terme facilitant des politiques sectorielles compatibles et convergentes avec nos objectifs de sécurité économique et les orientations en matière d’aménagement du territoire. 
En raison de l’importance des enjeux et de la forte teneur en anticipation des décisions à prendre, seule une démarche articulée autour des points forts de chaque secteur paraît pouvoir donner de nouvelles perspectives à notre stratégie de développement et de sécurité nationale.
Pourvu que nous prenions la mesure des changements survenus autour de nous depuis le début de l’année dernière, suite aux manifestations pacifiques des citoyens appelant à un changement du système politique et à la mise en place d’institutions légitimes fondées sur un pacte national consensuel traduisant la volonté des Algériens de prendre en main leur destin, de se ressaisir, de celui de la nation et de recouvrer leur dignité en participant aux affaires de la cité.(3)
Nous devons également méditer l’attitude de neutralité positive et le rôle constructif joué par notre armée durant cette période difficile mais pleine d’espoir, de sens et de possibilités. 
L’institution militaire algérienne, qui ne doute pas de ses capacités à concourir à la modernisation de la nation, pourrait en effet servir de modèle aux autres administrations en ce qui concerne la vision globale, la gestion stratégique, la maîtrise des technologies de pointe et la cohérence entre les missions et les moyens. Indéniablement, outre sa mission permanente de défense du territoire et de protection de la population, sa participation à l’effort de développement national apporte une véritable valeur ajoutée à notre sécurité économique et contribue aux transformations nécessaires à la mise en réseau de notre économie. Là est la leçon de cette décennie. Il nous appartient d’en tirer les enseignements profitables afin d’assurer le futur de la nouvelle société. 
Voilà pourquoi nous devons avoir un cap et le tenir afin de mesurer l’ampleur des tâches et l’importance des données névralgiques qui vont déterminer le devenir de la nation. 
En effet, malgré les bouleversements mondiaux des dernières années ou à cause d’eux, notre pays a du mal à trouver des repères qui lui permettent de concevoir une nouvelle politique économique, de procéder à une véritable séparation des pouvoirs, de dégager les modalités d’ajustement des missions de l’État, de créer de nouveaux espaces d’action publique et de gouvernance locale par le biais de la responsabilisation multiforme et réciproque de tous les acteurs. Les attitudes face à la politique de sortie de crise ont révélé qu’elles sont une partie du problème d’une gestion ordonnée de la transition systémique et conditionnent son issue. 
N’importe quelle approche de la politique de développement et de la construction de la sécurité devient dès lors une quête sans fin des réponses politiques appropriées. Voilà pourquoi nous devons faire attention aux désillusions du volontarisme. Le débat sur les alternatives favorisant le développement global appelle des mises en perspective et des éclairages sur les grands problèmes politiques, économiques, sociaux, écologiques et technologiques ainsi que les questions de sécurité qui leur sont connexes.(4)

Promouvoir une culture de la raison publique
Cette réalité du lien nécessaire entre démocratisation, développement et sécurité est ce qui doit guider notre engagement dans l’affirmation de notre politique de renouveau. Partant, l’éducation civique doit être considérée comme un élément essentiel à la démocratie qui n’est pas un moyen pour arriver à la modernité mais le résultat de celle-ci. 
Le système de la démocratie à imaginer et à promouvoir doit être conforme à celui de l’État de droit, lequel exige une démocratie constitutionnelle qui observe les libertés publiques et l’intérêt général systématiquement et en toutes circonstances. Ce sont là des éléments indissociables dont dépend la légitimité de l’État. Le modèle organisationnel de l’État implique que les diverses missions politiques devraient être réparties entre plusieurs organes dirigeants pour assurer l’équilibre des compétences en limitant les pouvoirs discrétionnaires de l’administration et en empêchant les organes de l’Exécutif d’empiéter sur les prérogatives des pouvoirs législatif et judiciaire ou sur la sphère privée des citoyens. 
Cela exige la mise en place de structures démocratiques par le biais d’élections libres, le fonctionnement d’un multipartisme politique, l’alternance au pouvoir, l’existence d’un Parlement légitime, représentatif du peuple et autonome    vis-à-vis de l’Exécutif, de médias indépendants et d’une société civile organisée, garante du lien social. 
La démocratie doit être le cadre naturel de l’exercice des droits de l’Homme qui constitue la norme de toute politique de sortie de crise viable. Une justice indépendante et impartiale est également l’un des principaux fondements de la démocratie.  Cependant, la démocratie ne vit que si elle est portée par une citoyenneté active, consciente et exigeante appelant les responsables politiques et les institutions de l’État à rendre des comptes de leurs actions en toute transparence. Il est clair que la pratique démocratique ne va pas de soi. Seul un système de valeurs objectivement constitué, communément accepté et reconnu, est de nature à créer l’ordre des normes et la cohésion sociale permettant l’harmonisation des institutions et des lois. D’où l’importance de la réalisation d’un consensus national consacrant l’État de droit. Aussi, la force du sentiment national et la volonté d’exprimer l’exigence du changement nous conduisent-elles à concevoir la révision de la Constitution dans une optique prospective plaçant la participation citoyenne au cœur de la nouvelle dynamique démocratique et de la rencontre de l’intelligence des situations et des valeurs de la société qui fait émerger une culture de la raison publique.

Gouverner d’une façon juste et paisible
Par les temps qui courent, nous devons comprendre que l’art de gouverner ne se fait plus à coups de postulats simplistes et univoques.  Le pouvoir ne peut être exercé efficacement dans le déni du réel. Gouverner d’une façon juste et paisible requiert la cohérence dans les choix effectués, l’intelligence des situations, le respect de la réalité et une volonté qui fait primer le bien commun sur tout autre considération. En démocratie, chacun doit assumer sa part de responsabilité pour préserver la cohésion sociale qui fonde le vivre-ensemble.  L’établissement d’une relation de confiance entre l’État et le citoyen est de ce point de vue crucial. Cette nécessité  correspond à un idéal à atteindre et à une conception de la démocratie garante d’une vie politique apaisée dans une société tolérante et inclusive où les citoyens ont voix au chapitre en ce qui concerne leur avenir.  
En fait, l’Algérie a franchi le pas en conférant à son entreprise de démocratisation un sens partagé pour s’inscrire effectivement dans la modernité du XXIe siècle. Cela augure bien de l’indispensable engagement collectif afin de donner un véritable sens à la chose publique et de jeter les fondements de la nouvelle République.    
A. K.

(*) Diplomate de carrière, ancien ministre délégué aux Affaires étrangères et ambassadeur dans plusieurs pays. Il a été en 1993 membre du Conseil scientifique du groupe Algérie 2005 chargé d’élaborer une stratégie de développement pour le pays et président du groupe d’experts du Comité pour la protection de l’économie nationale en 1994.

1- Voir Amine Kherbi : Eléments de réflexion sur les conditions externes de la transition systémique en Algérie, Mimeo, Alger, septembre 1993.
2- Cf : Amine Kherbi, L’Algérie dans un monde en mutation, regards sur la politique économique, la sécurité nationale et les relations internationales - pp 63-86, éditions Anep 2018.   
3- Voir du même auteur «L’Algérie à l’heure des choix cruciaux», Le Soir d’Algérie, 27 avril  2019.
4- Lire aussi «Plaidoyer pour des états généraux de l’économie», Le Soir d’Algérie, 13 août 2019, et «Une démarche cohérente et concertée pour gérer la transition démocratique», Le Soir d’Algérie, 31 décembre 2019.

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