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Rubrique Contribution

Pourquoi la future participation militaire de l’Algérie dans le maintien de la paix onusien suscite-t-elle autant de remous ?

Par Boubaya Ali Faïz(*) 


Introduction 
«Vous n’allez pas envoyer nos enfants se sacrifier à l’étranger pour rien !» C’est ce genre de manigance médiatique, parmi d’autres, qui s’est répandu à dessein de dissuader l’électorat algérien dans l’approbation de l’amendement constitutionnel adopté en novembre 2020, et de resurgir une nouvelle fois après l’intervention du Président français lors de la réunion du G5 Sahel(1), tenue les 15 et 16 février 2021 à N’Djamena, qui a révélé «un réengagement» de l’Algérie au Sahel. Retour sur cette polémique pour tenter d’assimiler les lectures et les spéculations en filigrane.

Chronologie des déclarations officielles algériennes et françaises concernant le prétendu réengagement de l’Algérie au Sahel
16 février 2021 : Faisant suite à l’invitation conjointe de la Mauritanie et du Tchad, les chefs d’Etat membres du G5 Sahel et leurs partenaires internationaux ont tenu un sommet(2) à N’Djamena, pour débattre de la coopération militaire face aux menaces terroristes dans la région, durant lequel le président de la République française a évoqué par vidéoconférence depuis l’Élysée «le réengagement» de l’Algérie dans les opérations du G5 Sahel en coordination avec la Task-Force Takuba.(3)
21 février 2021 : Le ministère algérien de la Défense nationale (MDN) a démenti, dans un communiqué,(4) les allégations relayées à travers «des pages et comptes subversifs sur les réseaux sociaux», portant sur la participation de l’Armée nationale populaire (ANP) à des missions militaires en dehors des frontières algériennes sous le chapeau de puissances étrangères dans le cadre du G5 Sahel. Ces calomnies sont qualifiées «d’intox qui ne peuvent provenir que d’ignares à la solde des services du Makhzen marocain et sionistes». Il est rappelé que l’ANP «n’a jamais été, et ne sera jamais soumise dans ses actions qu’à l’autorité de Monsieur le Président de la République», et que sa participation «en dehors des frontières du pays relève de la décision du peuple algérien, conformément aux dispositions de la Constitution de la République».
22 février 2021 : Le ministre algérien des Affaires étrangères a réfuté, via les chaînes TV qatarie Al-Jazeera et française France 24, la participation de l’ANP dans des opérations extérieures, en déclarant que «la nouvelle Constitution stipule que cette contribution n’intervient que dans le cadre des opérations de maintien de la paix sous l’égide des Nations Unies, ou de l’Union africaine ou de la Ligue des États arabes, après approbation du Parlement».
1er mars 2021 : Le président de la République algérienne a indiqué, lors d’une entrevue avec des représentants de médias nationaux, que l’Algérie n’allait pas déployer ses troupes au Sahel, et «qu’il n’est pas question d’envoyer les enfants du peuple pour se sacrifier pour autrui».
3 mars 2021 : L’ambassade de France en Algérie a démenti, via Twitter, «les fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux concernant des propos prêtés au président de la République française», lequel «n’a jamais affirmé que l’Algérie avait pris l’engagement d’une intervention militaire» dans le cadre de la Force G5 Sahel, et ce, tout en se félicitant «du réengagement politique de l’Algérie suite à la tenue de la réunion du comité de suivi de l’accord d’Alger à Kidal le 11 février 2021».(5)
Décryptage de la polémique : Juste après la tenue de la conférence de presse par le Président français lors du sommet G5 Sahel, la déformation malveillante de son propos, «réengagement algérien», a suscité la propagation instantanée d’une avalanche d’infox sur les réseaux sociaux, étalant une prétendue participation des forces de l’ANP à des opérations militaires dans la région du Sahel sous tutelle française. 
La réaction de l’Algérie ne s’est pas fait attendre, le MDN réfute catégoriquement les calomnies et met en cause, sans ambages, les services secrets marocains et israéliens. Le chef de la diplomatie algérienne prend alors le relais pour resituer globalement le cadre officiel dans lequel son pays est autorisé à intervenir au-delà des frontières nationales, avant que le Président algérien ne prenne le soin de rasséréner l’opinion publique quant à l’utilité du déploiement des forces armées à l’étranger, qui ne sera mis en œuvre que pour servir les intérêts vitaux et stratégiques de l’Algérie, et affirmer le rôle de celle-ci dans la promotion de la paix et de la sécurité internationales.
En jouant sur la corde sensible du 2e anniversaire du Hirak, les instigateurs des désinformations présageaient malicieusement une réaction médiatique négative des autorités algériennes vis-à-vis de leurs homologues français pour attiser le feu d’une discorde sur le dossier, en vain. 
Les interprétations malveillantes des propos du Président français, jugés dubitatifs par certains, ont généré des argumentations pour le moins que l’on puisse dire invraisemblables, jusqu’à même insinuer de supposée servilité totale de l’Algérie à l’égard de son ancien colonisateur et éloignement de sa doctrine historique de non-ingérence dans les affaires internes des États, dans l’intention d’œuvrer à son affaiblissement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Quoique le terme «réengagement» s’emploie particulièrement dans le domaine militaire(6), deux jours après la mise au point du Président algérien, l’ambassade de France en Algérie vient désamorcer la polémique par un démenti des fake news précitées tout en nuançant les propos du Président français par un réengagement plutôt «politique» de l’Algérie. Il convient d’admettre que si ce réengagement connotait un détachement militaire, celle-ci aurait été formellement citée parmi la composante de la Task-Force Takuba. 
Partant, en quoi la future participation de l’Algérie dans le maintien de la paix pourrait-elle contrarier la France si les deux nations coopèrent depuis longtemps dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, notamment au niveau de la bande sahélo-saharienne(7), bien qu’elles œuvrent, chacune de son côté, en la  matière dans le sillage du Sahel ? La première avec les armées du Mali, de la Mauritanie et du Niger depuis 2010 dans le cadre du Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cemoc)(8), dans l’Unité de fusion et de liaison (UFL)(9) avec lesdits pays plus le Burkina Faso, la Libye, le Tchad et le Nigeria, ainsi qu’avec le Centre africain d’études et de recherches sur le terrorisme (Caert).(10) Tandis que la seconde  contrôle principalement les dispositifs de Serval (2013), Barkhane, Épervier, G5 Sahel (2014)(11) et Task-Force Takuba (2020). 
Par ailleurs, il est intéressant de noter que ce énième esclandre a coïncidé avec les quatre acquis algériens saillants comme suit : 1) La réactivation du Cemoc, ainsi que la Grande commission mixte et du Comité bilatéral frontalier entre l’Algérie et le Mali ; 2) la publication du classement 2021 des puissances militaires maintenant l’ANP au 2e rang africain après l’Égypte selon le site américain Global Fire Power (GFP) ; 3) les accords signés entre de hauts responsables militaires algériens et émiratis, en marge du Salon international de défense et sécurité Idex 2021, qui s’est déroulé aux Émirats arabes unis en février 2021, d’après l’agence de presse émiratie (WAM) ; 4) l’imminente réception de l’Algérie d’un escadron de chasseurs russes multi-rôles Sukhoï Su-30MKA Flanker-C, selon des médias américains et russes.

La participation militaire algérienne dans le maintien de la paix onusien comme levier d’équilibre géopolitique 
De toute évidence, l’escalade de la concurrence stratégique et diplomatique entre l’Algérie et le Maroc est de bonne guerre, à l’instar de ce qui se passe dans le reste du monde. Mais cette rivalité demeure légalement entachée du manquement au droit international territorial par le Maroc, ce qui entrave les initiatives d’intégration régionale à l’image de l’inertie de l’Union du Maghreb arabe (UMA) observée depuis 1989.
Si l’on se réfère aux standards de la parité géopolitique, le Maroc a réintégré l’Union africaine et a été élu membre au Conseil de paix et de sécurité y relevant, sans que l’Algérie ait émis de réserves si ce n’est le respect requis des lois régissant ladite organisation continentale. En contrepartie, il devait réagir réciproquement après l’annonce de la participation de l’Algérie dans le maintien de la paix onusien. Mais il devient patent, selon les données susmentionnées et d’autres, que la dynamique générée par la future participation de l’ANP dans ledit domaine — comme un poids lourd avéré de la lutte antiterroriste — dérange plus d’un. 
À commencer par le Maroc (ancien fournisseur de troupes) et certains de ses alliés qui cherchent à déstabiliser l'équilibre stratégique régional, lesquels redoutent que l’Algérie ne rehausse sa position substantiellement sur la scène internationale dans plusieurs secteurs, après avoir enregistré un remarquable retour diplomatique. Loin de toutes les allégations, le déploiement consenti d’un contingent algérien au sein de la région dans un cadre similaire à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) ou tel que l’exige la légitimité internationale permettra d’engager des opérations rapides à moindre coût, au regard de la suprématie de l’ANP et de la crédibilité diplomatique de l’Algérie ainsi que sa proximité culturelle et géographique avec les pays du Sahel et d’autres adjacents. La leçon tirée dans le domaine du maintien de la paix onusien ne se limite pas à l’ancienneté et/ou la quantité des opérations, mais elle réside notamment dans l’exécution des tâches requises avec sagesse et efficience pour le règlement des conflits.
B. A. F.
(*) Chercheur universitaire. 
[email protected]
[email protected] 

Références : 
(1)- Le G5 Sahel est un cadre institutionnel de coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité, créé en février 2014 par cinq États du Sahel : Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad.
(2)- Consulter l’intégralité du communiqué final du Sommet de N’Djamena sur la page électronique officielle:https://www.g5sahel.org/article/ndjamena-tchad-communique-final-du-sommet-du-g5sahel-segment-elargi-du-16-fevrier-2021
(3)- Task-Force Takuba est une force spéciale européenne sous commandement français. Elle a pour principales missions de conseiller, assister et accompagner au combat des unités conventionnelles maliennes, intégrées au commandement de l’opération Barkhane, en vue de lutter contre les groupes terroristes dans la région du Liptako (frontières entre le Mali et le Niger), en coordination avec le G5 Sahel, la Minusma et les missions militaires et civiles de l’Union européenne (EUTM Mali, Eucap Mali et Eucap Niger).
(4)- Consulter l’intégralité du communiqué du MDN sur la page électronique officielle : www. mdn. dz/site_principal/ sommaire/actualites/fr/2021/fevrier/mdn21022021fr.php
(5)- Consulter l’intégralité du démenti de l’ambassade de France en Algérie sur la page électronique officielle : https://twitter.com/ambafrancealger/status/1367114231217324037
(6)- Définition de « réengagement » dans la 9e édition du dictionnaire de l’académie française : https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9R1720
(7)- Voir à titre d’exemple la déclaration du Président français en décembre 2017 lors de sa visite d'amitié et de travail en Algérie : https: // www. aps.dz/ algerie/66766-algerie-france-volonte-commune-de-renforcer-les-relations-economiques-et-securitaires-macron
(8)- Le Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cemoc) est un mécanisme militaire de coopération et de coordination des actions de lutte contre le terrorisme et la criminalité qui avait été conclu et signé entre l’Algérie, le mali, la Mauritanie et le Niger à Tamanrasset le 13 août 2009.
(9)- L’Unité de fusion et de liaison (UFL) est chargée de fournir au Cemoc les informations sécuritaires, tactiques et opérationnelles nécessaires à la conduite d'opérations conjointes de lutte contre le terrorisme et les différentes activités de contrebande.
(10)- Le Centre africain d’études et de recherches sur le terrorisme (Caert) est une structure rattachée à l’Union africaine qui est en charge de : compléter l’action internationale en renforçant la coopération entre les pays africains, pour prévenir et lutter contre le terrorisme ; aider à l’application intégrale des conventions internationales relatives au terrorisme, et assurer le rôle d’outil de veille et d’alerte en intégrant dans sa démarche le concept de gestion préventive des situations.
(11)- L’opération Épervier est une action militaire engagée par l’armée française en 1986 au Tchad afin de contribuer au rétablissement de la paix et au maintien de son intégralité territoriale, alors que l’opération Serval est une opération similaire mise en place en 2013 au Mali qui s’est achevée en juillet 2014. Le 1er août 2014, ces deux dispositifs sont remplacés par l’opération Barkhane qui est menée dans la région du Sahel avec l’aide secondaire d’armées alliées.

 

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