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Rubrique Contribution

Réalités du présumé différend arabo-berbère (3e partie et fin)

Par Hocine Bouraoui(*)

Ben Bella, sous-produit nassérien
L’approche dans l’appréhension des dissensions politiques et des luttes fratricides qui ont culminé avec le meurtre d’Abane sera tronquée si on évacue le rôle de Fethi Dib, responsable égyptien et homme lige du «Raïs», chargé des relations avec le FLN. Ses mémoires éclairent sur les pratiques et l’idéologie du groupe dirigeant du FLN au Caire.
Fethi Dib fut rapidement emporté et séduit par «l’engagement, le patriotisme et le courage du jeune Meziani Messaoud» (Ben Bella) qui ne réclamait «au grand frère» que des armes pour libérer «l’Algérie arabe musulmane». (Fethi Dib : Abdel Nasser et la révolution algérienne, éditions  l’Harmattan, Paris 1985). Pour Fethi Dib, «Ben Bella incarne à lui seul les principes de la révolution du 23 juillet 1952 poursuivie par la Thawra, sa sœur algérienne du 1er Novembre […] Il est le prototype du dirigeant arabe qui n’a jamais dévié de ses principes». Il écrira lors des négociations algéro-françaises : «En ce qui concerne sa foi dans l’appartenance de l’Algérie à la nation arabe, son attitude est restée inchangée depuis le début de son engagement. Il a même réussi à convaincre ses camarades, à l’exception d’Aït Ahmed.» Si Ben Bella «s’exprime en français, c’est parce que la pratique de sa langue arabe lui a été interdite par le colonialisme». El lugha al âmiyya, le dialecte algérien, n’est pas considéré comme de l’arabe par les Égyptiens et par Ben Bella lui-même qui «s’en excuse auprès de ses interlocuteurs égyptiens». 

L’arabité pour Fethi Dib
La lecture des mémoires de Fethi Dib laisse apparaître un homme d’appareil. L’arabité n’est pas que culturelle, elle est intimement liée au politique, donc à l’idéologique. Peu importe que les discours de Ben Bella soient prononcés en français ou que le «Kabyle» Aït Ahmed soit l’un des rares dirigeants à avoir une réelle connaissance de l’arabe classique, «les Algériens sont des Arabes, puisque les deux peuples s’identifient l’un à l’autre, puisque les objectifs du FLN sont de promouvoir une Algérie arabe musulmane». Abane Ramdane est perdu pour la cause arabe car «dans ses idées et ses points de vue sur l’avenir de l’Algérie indépendante, il avait ignoré son appartenance arabe et islamique, ce qui constituait une déviation par rapport aux principes énoncés dans la Constitution du 1er Novembre». La condamnation est sans appel et renvoie aux procès staliniens de Moscou. Pour Fethi Dib, les bons Arabes sont ceux qui se reconnaissent dans la révolution du 23 juillet. Fethi Dib jubile pendant le discours de Ben Bella lors des cérémonies officielles du 1er Novembre 1962 : «L’Algérie suivra la politique de l’identité arabe et du parti unique, ce qui entraînera la dissolution de tous les autres partis, en particulier le parti communiste et le front de libération en France.» 

L’opposition du Caire à la plateforme soummamienne
Gilbert Meynier écrit : «Pour Guy Mollet, le nœud de la question algérienne se trouve plus dans les manigances du Caire que dans la détermination de militants et de combattants algériens décidés à arracher l’indépendance de leur pays.»  Dans le chapitre consacré au Congrès de la Soummam, Fethi Dib écrit : «La révolution algérienne tombe dans les pièges qui lui sont tendus.» Il rapporte sa rencontre, en juillet 1956 (la veille du congrès), avec Ben Bella «préoccupé et nerveux». Ce dernier donnera sa version sur l’ambition d’Abane et les dangers encourus par les résolutions du Congrès sur l’arabité de l’Algérie. Le mythe de l’Algérie «arabe musulmane» s’écroule. On ne peut pas prêcher un converti.
Pour Ben Bella, donc pour le «Raïs», et Fethi Dib, la direction du CCE issue du Congrès de la Soummam est l’instrument du pouvoir d’Abane Ramdane, mais par-dessus tout, la PFS définit la Révolution algérienne comme étant «non inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington» et prime l’intérieur sur l’extérieur et le politique sur le militaire. La religion du colonel Nasser est faite. Il faut à tout prix invalider en urgence la PFS, le tour de la personne d’Abane viendra au moment opportun. 
C’est dans cette optique que sera prévu le sommet de Tunis organisé par le sultan du Maroc Mohammed V et Bourguiba. Aït Ahmed, qui faisait partie de l’équipe des contestataires, dira la veille de sa mort : «Un congrès antagoniste avait même été prévu, soutenu par Nasser et Bourguiba, qui avait mis la garde nationale à la disposition des tenants de la contestation.» (K. Selim HuffPost Algérie, 15 août 2015). Ben Bella et ses compagnons ne consulteront ni même n’informeront la direction de la révolution incarnée par le CCE des préparatifs et de la teneur du sommet de Tunis. Il n’existe, à ce jour, aucune trace d’archive venue en étayer le contenu.  
L’avion DC3 de la compagnie marocaine Air Atlas transportant les contestataires vers la Tunisie pour un anti-Congrès de la Soummam est arraisonné par la chasse française le 22 octobre 1956 et détourné sur Alger. Le journaliste Hassanin Heykal, confident du Président Nasser, portera ses accusations sur le prince héritier Mouley Hassan à la télévision qatarie El Jazeera dans une série historique. Hocine Aït Ahmed, l’un des cinq contestataires, réfutera les propos du journaliste sur la télévision marocaine Médi1-Sat le 26 mai 2008 : «J’ai l’habitude de ne plus m’étonner de voir resurgir des mensonges ridicules et excentriques dont la seule fonction est de totalement travestir les réalités.» Ali Kafi et les pourfendeurs de la PFS y verront la main d’Abane et les services du SDECE.
En marge du colloque organisé les 4 et 5 décembre 2016 à Tlemcen, à l’occasion du centenaire de Ben Bella, le professeur Amine Damerdji rapporte l’anecdote suivante : «Pendant que Ben Bella s’apprêtait à monter la passerelle de l’avion, un Algérien établi à Salé et qui exerçait le métier d’interprète au Maroc, Abdelkader Rahal, l’interpella avec ces mots : ‘’Daâwa makhdou3a.’’ (Il y a de la trahison dans l’air)». À qui profiterait l’empêchement du sommet de Tunis organisé par Fethi Dib et Nasser ? L’état-major de la Wilaya V historique installé au Maroc, commandé par le redoutable Abdelhafid Boussouf, alias Si Mabrouk, ne pouvait pas ne pas être au courant des machinations qui se tramaient chez le voisin marocain.
Pour le Conseil de la révolution égyptienne, Ben Bella est pour la révolution du 1er Novembre ce que fut le colonel Nasser pour la révolution du 22 juillet. Fethi Dib échafaudera plusieurs plans pour le faire évader. Gilbert Meynier rapporte : «Fin 1957, il contacte un commando de huit Allemands, ex-nazis refugiés en Égypte, qui tentèrent l’évasion en juin 1958. L’entreprise échoua finalement à cause de l’arrestation de l’un des huit hommes par la police française.» Soit dit en passant, l’officier commando SS, Otto Skorzeny (1908-1975), qui a fait évader Mussolini à l’automne 1943, fut recruté par le Président égyptien en 1953 en tant que conseiller militaire. (Gilbert Meynier : Al Dib Fathi, Abd El Nasser et la Révolution algérienne : Revue d’histoire 1986).

Abane le proscrit : la main du Caire et la bénédiction de Ben Bella 
De la prison de la Santé à Paris, Ben Bella maintiendra le contact avec Fethi Dib par l’intermédiaire des avocats constitués par les services secrets égyptiens. Il adressait des lettres très fortes en français qui témoignent de la profonde amitié qui lie les deux hommes et les mêmes identités de vue qu’ils partagent : «Grâce aux sincères et sages conseils de notre sœur aînée l’Égypte […] à votre foi inébranlable dans les principes islamiques.» Il lui exprime la gratitude du peuple algérien «dont le sort est scellé à jamais à celui du peuple frère égyptien» et lui transmet en son nom et celui de ses amis en captivité «nos fraternels et chaleureux sentiments patriotiques, arabes et islamiques». 
Toutes les questions sensibles concernant l’Algérie, arrivées sur le bureau du «Raïs», doivent contenir l’avis de Ben Bella. «Êtes-vous sûr que Ben Bella est d’accord ?», écrit Fethi Dib. L’investissement de l’homme du 22 juillet sur celui du 1er Novembre est tel qu’il put paraître impossible pour Fethi Dib d’en jeter le dévolu sur un dirigeant algérien autre que Ben Bella. Le choix de l’homme idoine se portera provisoirement sur Krim Belkacem, recommandé par Ben Bella de sa cellule. Gilbert Meynier écrit : «Krim Belkacem, sur lequel Fethi Dib avait naguère produit des rapports incendiaires au ‘’Raïs’’, devient l’homme du moment […] Même les Kabyles les plus profonds peuvent être sauvés : le front Krim devient plus que présentable dès lors que son leader est choisi par Ben Bella.» 
Fethi Dib ne fera jamais confiance à Krim. «Kabyle, esprit borné […], ses sympathies envers l’Égypte ne sont pas évidentes, fait preuve de fanatisme.» Il tentera sa «Paix des braves» en novembre 1958, lors du putsch avorté du colonel (ulémiste et badissien) Lamouri (1929-1959), contre Krim et le GPRA : «L’armée de libération était mécontente du gouvernement et des ministres militaires qui avaient dévié de la ligne et des principes de la révolution.» L’échec de la tentative d’organiser un anti-Congrès de la Soummam à Tunis et l’éloignement de Ben Bella de la scène politique  signifient pour le colonel Nasser la perte du rêve de «l’Algérie arabe musulmane». Il restera la possibilité d’isoler, éloigner ou neutraliser (pourquoi pas ?) l’architecte de la PFS. Ce sera fait au congrès du CNRA au Caire dans un premier temps, et au Maroc ensuite où Abane laissera sa vie.
La réunion du CNRA tenue le 26 août 1957 au Caire (pourquoi a-t-on évité Tunis ?) au luxueux hôtel Sémiramis surplombant le Nil, sous l’œil vigilant de Fethi Dib, et où Krim  sera la vedette (dernier du groupe des «Six»), réunira les membres d’un CCE objectivement affaibli, du premier CNRA et les chefs de l’intérieur. Le CNRA du Caire apparaîtra en toile de fond comme un combat de titans entre Abane et Krim. 
Ce dernier représente en réalité le tandem Fethi-Ben Bella. Yves Courrière écrit : «Krim voulait opposer son passé de maquisard à la puissance intellectuelle de Abane.»  Les colonels finiront par constituer un bloc autour de Krim le militaire. Les résolutions du deuxième CNRA porteront désormais les consignes de la feuille de route de Ben Bella, dictée à Fethi Dib et exécutée par Krim : abrogation des articles relatifs aux principes de la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. Tous les membres du CNRA seront titulaires. Abane Ramdane et le colonel Dehilès se sont abstenus durant le vote.
La publication des résolutions du Congrès du Caire ne sera faite qu’après l’avis de Ben Bella.
«Un envoyé spécial, passant par Tripoli, a remis les documents à Ben Bella» (témoignage du 14 juillet 2010 du bâtonnier Mabrouk Belhocine (1921-2016), dans le Quotidien d’Oran). L’isolement d’Abane se confirmera par son affectation de la direction de la révolution à la rédaction d’un journal. Il sera noyé dans un CCE de 9 membres à prédominance militaire (5 colonels). «La garantie pour le maintien d’une ligne stricte dans les négociations», écrit Fethi Dib. Le CNRA du Caire avait clairement signifié la mort politique d’Abane.

Qui a ordonné la mort d’Abane ?
La plupart des témoignages sur la guerre de Libération sont entachés de subjectivité et de parti-pris. Khalfa Mammeri, auteur de plusieurs ouvrages sur la vie d’Abane Ramdane, écrit : «La majorité des témoignages est orientée ou manipulée.»  
Nous ne questionnerons que les témoignages des acteurs de la tragédie. Nous éviterons autant que faire se peut les «on-dit» et les «non-dits».
 La mort atroce d’Abane Ramdane n’a pas livré tous ses secrets. Si on en sait plus sur le chemin de croix et la passion de l’homme sans sépulture qu’est Abane, grâce à l’ouvrage dense, touffu et recherché de mon ami le professeur Belaïd Abane, on reste encore dubitatif et interrogatif sur les mobiles du meurtre. 
Les témoignages qui ont chargé Krim Belkacem sont trop naïfs pour être innocents. Pour Ferhat Abbas, «l’élimination de l’obstacle Abane, si elle est voulue par les cinq colonels, profite, à l’évidence, à celui qui se considère comme le plus proche de la consécration, en sa qualité de membre du club de Novembre, c’est-à-dire Krim». Quel profit tirerait Krim de l’élimination physique de Abane et quelle consécration chercherait-il dans sa mort quand on sait que le Président Nasser a définitivement jeté son dévolu sur Ben Bella ? D’ailleurs, c’est sur les conseils de ce dernier que Krim Belkacem fut désigné à la tête des négociateurs des accords d’Évian. 
Fethi Dib fut nommé ambassadeur à Berne la veille des accords d’Évian (janvier 1962), avec pour mission d’accompagner Krim et ses compagnons pendant tout le déroulement de la conférence algéro-française. Gilbert Meynier écrit : «Si les Algériens purent rester fermes dans leurs résolutions face aux pièges tendus par les  Français, ce fut grâce à la présence, toute proche, du ministre de l’Égypte en Suisse […] Les visites de Krim Belkacem au Caire et ses rencontres avec Nasser persuadèrent, d’après Fethi Dib, de Gaulle de l’importance du rôle joué par le ‘’Raïs’’ dans le déroulement des négociations.»    
Comme nous l’avons cité précédemment, Krim fut donc admis dans les faveurs du «Raïs», grâce à la caution morale du détenu de la prison de la Santé. 
Le premier président du GPRA ne pouvait pas ne pas savoir les circonstances qui ont entouré la mort d’Abane. Ferhat Abbas tentera aussi d’ajouter dans le registre de son témoignage des causes médicales (maladies thyroïdienne et ulcéreuse) aux colères (?)
d’Abane ; lesdites causes auraient causé sa perte. Ferhat Abbas, comme nous l’avons signalé plus haut, dédiera ses mémoires à Abane Ramdane. Il y écrira : «Les excès dont nous nous sommes rendus coupables sont des taches noires dans l’histoire du FLN.» 
Le témoignage du colonel Ouamrane, affidé de Krim, n’est même pas digne d’être pris en considération : «Sans Krim, Ramdane ne serait pas mort […] La raison était tout bêtement une espèce de jalousie aveuglante de Krim qui ne pouvait supporter l’ascendant d’Abane sur la marche de la Révolution.»  On n’entraîne pas le directoire de la révolution, dont 5 colonels, pour assouvir un caprice. C’est diminuer de la valeur des conspirateurs, et de la sienne aussi. Ouamrane faisait partie desdits conspirateurs (Belkacem, Boussouf, Bentobal, Mahmoud Cherif) qui avaient organisé un procès deux mois après l’assassinat, pour tenter de justifier le crime.  
«Abane Ramdane mérite plus que la mort parce qu'il a été un dictateur», scandera l’autre conspirateur qu’est Lakhdar Bentobal (L’Expression du 16 décembre 2002). «Le pape, c’est combien de divisions ?»  disait le dictateur Staline à l’égard du Vatican. Quels sont les troupes ou les moyens sur lesquels Abane se serait appuyé pour exercer un pouvoir dictatorial ? Abane aurait pu s’attribuer le grade de colonel après le Congrès de la Soummam pendant le commandement de la bataille d’Alger. Il ne l’a pas fait. 
Le témoignage de Krim Belkacem, acteur principal de la tragédie, fut  rapporté par Mohamed Lebjaoui (1926-1992) dans son ouvrage Vérités sur la Révolution algérienne (1970). Il faut y lire : «Abane faisait un travail fractionnel et tentait de dresser aussi bien les maquisards que les militants contre les autres membres du CCE. 
Plusieurs démarches furent faites auprès de lui pour le convaincre de modifier son attitude. En vain : on constate qu'Abane, loin de se modérer, persistait dans la même voie en aggravant ses attaques […] Nous décidâmes alors, Bentobal, Boussouf, Mahmoud Chérif, Ouamrane et moi-même, de le mettre en état d'arrestation en vue de le juger par la suite.»  
Krim se gardera d’informer les autres membres du CCE (Ferhat Abbas, Ben Khedda, Saâd Dahleb et Mehri) sur «le travail fractionnel» accompli par Abane qui aurait pu nuire au CCE ; et qui sont ces «maquisards et militants» sur qui Abane aurait pu avoir un ascendant pour les entraîner dans ses manœuvres? Quelles sont les personnes ou les témoins des démarches faites auprès d’Abane pour l’amener à la raison ? Aussi l’arrestation d’Abane aurait pu s’opérer en Tunisie où le FLN dispose de prisons, au camp de Mellègue par exemple, pourquoi avoir choisi le lointain Maroc où le FLN ne dispose d’aucune prison ?
Mohamed Lebjaoui rapporte dans ses mémoires le témoignage de première main, un collaborateur direct d’Abdelhafid Boussouf, sur qui pèsent tous les soupçons : «La décision de tuer Abane avait été prise par Krim, Bentobal, Mahmoud Cherif, Ouamrane et lui-même. Et il nous montra un document en ce sens, portant la signature de ces cinq hommes […] À titre personnel, néanmoins, mon interlocuteur pense que jamais Boussouf n'aurait pris seul l'initiative d'un tel acte, s'il n'avait eu l'accord formel, au moins de Krim et Bentobal. Et c'est aussi l'avis d'Ahmed Boumendjel.» 
Pour le professeur Belaïd Abane, la décision de mettre fin à la vie d’Abane Ramdane aurait tenu au fait de la façon récurrente de ce dernier de recourir à la menace du retour au maquis intérieur. Des contacts auraient même été établis avec la Base de l’Est. Quel poids pourrait apporter Abane à l’intérieur du pays où chacun des 3 B tenait d’une main de fer le commandement de sa wilaya à travers des subordonnés choisis ? Après le congrès du Caire, Abane fut mis en minorité par le ralliement des chefs de wilaya regroupés autour de Krim. 
Belaïd Abane ajoutera à travers ses multiples interventions, «Abane a été assassiné pour des appétits de pouvoir» sans dire plus, ou que «j’ai eu aussi souvent à tempérer les certitudes de ceux qui pensent aussi mordicus que l’assassinat d’Abane est le résultat d’un complot fomenté par des dirigeants arabes pour arrêter l’ascension d’un leader kabyle à la tête de la Révolution». 
Krim le «Kabyle» qui a «fomenté le complot» fut pourtant le chef des négociateurs des accords d’Évian qui avaient débouché sur la libération du peuple algérien de 132 années de présence coloniale.  Fethi Dib fera sienne l’opinion de son protégé sur Abane «violent, autoritaire, individualiste, ambitieux et aigri d’être supplanté par Ben Bella». Gilbert Meynier décrit la réaction de l’homme de Nasser à la mort d’Abane : «La nouvelle de son exécution par Krim Belkacem, au Maroc, est accueillie sans émotion, avec pour tout commentaire le dicton intemporel : ‘’Toute révolution mange ses enfants’’ […] La formule est répétée en guise d’épitaphe après l’assassinat d’Abane : il adhérait peu à l’appartenance islamique et arabe de l’Algérie.»  L’ignorance de «son appartenance arabe et islamique» suffit pour éloigner ce fauteur de troubles de la scène politique la veille de l’indépendance de l’Algérie, voulue arabe musulmane par le «Raïs». Les cinq colonels, Krim en tête, n’en seront en fait que les petites mains dans ce crime d’État.  

Krim et Abane : le sabre et le goupillon ?
La célèbre citation de Frantz Fanon selon laquelle «chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir» s’applique en tout point aux géants de la guerre de Libération que furent Abane et Krim. La surexploitation de ces héros va à l’encontre de leurs vœux. Abane disait  : «La guerre d’Algérie est une guerre nationale et patriotique et tous les Algériens doivent y contribuer.» Khalfa Mameri écrit : «L’apport de Abane et Krim est plus important que leur rivalité.» Le Congrès de la Soummam a donné à la révolution algérienne le corpus textuel qui manquait aux hommes en armes pour l’amener à bon port.
Gloire à nos martyrs !
H. B.
(*) Professeur de médecine, spécialiste en neurologie et neuropsychologie. Diplômé des études supérieures de médecine de guerre. Licencié en sciences économiques (économie de la santé).

Je voudrais exprimer ici mes remerciements à l’historien Daho Djerbal, professeur d’histoire, directeur de la revue de critique sociale Naqd, pour ses conseils judicieux et son indulgence pour l’intrus des sciences de l’Histoire et le domaine sensible qu’est l’histoire du mouvement national. Les commentaires n’engagent, bien sûr, que ma personne.
Au professeur Mehenni Akbal, professeur des sciences de communication à Alger 2, pour s’être donné la peine de corriger le texte et les encouragements pour le publier. 

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