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Rapport Stora Une insulte scatologique au peuple algérien...

Par Mahdi Chérif, ancien moudjahid
Le rapport de M. Stora a été finalement remis au président de la République française, qui en avait fait la demande. L’objectif qui lui avait été fixé était de donner aux autorités françaises une vision de ce qui pourrait être un dialogue entre l’Algérie et la France en vue «d’apaiser les mémoires encore meurtries» aujourd’hui, malgré la fin de la colonisation depuis maintenant près de soixante ans, et peut-être tracer des perspectives pour des relations équilibrées et saines, dans le respect mutuel et la coopération favorable aux deux parties.
Le rapport devait donc jeter un regard objectif et serein sur la colonisation en Algérie pour y rechercher les points d’achoppement qui seraient, en définitive, objet du dialogue escompté et proposer les moyens de les dépasser pour construire, enfin, des relations en conformité avec les règles, us et coutumes internationales régissant les rapports entre Etats souverains. Malheureusement, les conclusions du rapport sont bien en deçà des objectifs fixés et des attentes et espoirs nourris  de voir les relations algéro-françaises entrer dans la phase normale, loin des complexes construits de toutes pièces dans l’esprit des gouvernants et des gouvernés dans les deux pays et surtout en France où, pour de larges franges du peuple français, l’indépendance de l’Algérie n’est pas encore admise ni même tolérée. Bien au contraire, ce rapport est malheureusement dans ce sens puisque l’essentiel de la relation historique Algérie-France n’est pas abordé ni même effleuré. Le regard demandé à M. Stora devait s’attacher à revisiter la colonisation dans sa globalité et de projeter, en définitive, des voies pour un dialogue fructueux. 
En effet, la seule plaie qui fait mal à M. Stora et avec lui cette frange négationniste, c’est cette guerre de Libération nationale menée par l’Algérie pour sa libération du joug colonial et que les tenants de l’Algérie française considèrent comme une catastrophe, car  pour une fois la France était vaincue au sens propre du terme ; et par qui ? Par le peuple algérien qui n’a jamais admis sa situation de sous-homme ou de bien moins que rien ! Le rapport se focalise sur cet épisode qui n’est pourtant pas le seul, mais il le présente comme l’arbre qui cache la forêt, la forêt qui a pour noms, génocides, spoliations, dénaturations d’une personnalité nationale bien assise dans le temps et dans l’espace. Revisiter l’Histoire aurait permis un large balayage pour comprendre les mentalités des uns et des autres et surtout les apports des Algériens à l’histoire de France. Si M. Stora s’était donné la peine de regarder l’Histoire comme un historien, c’est-à-dire sans passion excessive, il aurait entrevu ne serait-ce qu’un instant, non pas seulement la bravoure des Algériens qu’il ne loue d’ailleurs pas, mais surtout leur haut sens de l’honneur, leur sens de l’humanité car ce n’est certainement pas une clause de style mais une affirmation d’un très haut niveau d’honneur et d’humanité que cette phrase insérée dans l’appel du 1er  Novembre 1954, qui dit textuellement… «En dernier lieu, afin d’éviter les fausses interprétations et les faux fuyants pour prouver notre désir de paix, limiter les pertes en vies humaines et les effusions de sang, nous avançons une plateforme honorable de discussions aux autorités françaises si ces dernières sont animées de bonne foi et reconnaissent une fois pour toutes aux peuples qu’elles subjuguent le droit de disposer d’eux-mêmes.» Une telle annonce ne peut venir que de la part d’un peuple ô combien honorable ! Ô combien respectueux de la vie et de la personne humaine ! Dans cette déclaration, le peuple algérien avait tu ses ressentiments, oublié ses douleurs, oublié sa décadence provoquée pour appeler le peuple français au dialogue ! Qui de toutes les luttes nationales a tenu un si beau discours au geôlier, au tortionnaire, à l’assassin, à l’usurpateur, au spoliateur qu’a été le colonialisme en Algérie particulièrement? S’il s’était donné la peine de se rappeler l’appel lancé aux Français d’Algérie et aux Israélites d’Algérie en 1956, il aurait compris que l’histoire du peuple algérien est une, et qu’il convient de la prendre dans sa globalité afin de situer les actes des uns et des autres et comprendre, en définitive, que la victime dans tout cela a été le peuple algérien et rien que le peuple algérien.
S’il s’était donné la peine de relever un pan du rideau de l’Histoire, il aurait vu ce qu’a fait la colonisation en Algérie, il aurait également vu la sauvagerie qui a été développée en Algérie en signe de reconnaissance des positions tellement honorables de l’Algérie vis-à-vis de la France avant 1830. Il omet les relations privilégiées de l’Algérie avec les rois de France et particulièrement l’alliance algéro-française avec Henri IV, l’alliance avec François I, la libération de Nice, l’exemption quasi totale des redevances maritimes consenties à la France, le comptoir d’El Kala que la France a transformé en bastion (qu’elle a appelé Bastion de France) contrairement à l’accord conclu pour ce comptoir. Durant la colonisation, les Algériens sont enrôlés de gré ou de force pour guerroyer avec les troupes françaises sur tous les champs de bataille dans le monde pendant que les généraux français s’adonnaient à leur sport favori  : les massacres, les génocides (des tribus entières ont été décimées), les enfumades, les spoliations des biens immeubles et culturels et pour finir un code de l’indigénat plus dur que le Code noir. Les généraux Clausel, de Bourmont, Cavaignac, Pélissier, le duc de Rovigo, Lamoricière, le général Négrier, Youssouf, le maréchal de Saint-Arnaud ont surpassé en sauvagerie les Bigeard, Massu, Aussaresses, et autres.
Le peuple algérien n’oublie pas, car la mémoire, contrairement à l’Histoire, emmagasine et transmet de génération en génération.  Un Algérien d’aujourd’hui ressent ce qu’a ressenti son coreligionnaire du temps de Barberousse ou de Bugeaud, comme il ressent encore les traces de ce qui a été pendant la guerre de Libération nationale. L’Histoire est une science basée sur des méthodes et utilisant des sources fiables comme les documents d’archives. Même cela nous a été ravi ! Mais qu’on se détrompe : même si nos archives sont en France, la mémoire nous est restée. Chaque pouce de cette terre si chère nous raconte ce qu’il a vu et enduré !   Nul ne peut  oublier que l’Algérie s’est portée au secours de la France bien des fois, au moment où elle était encerclée et menacée d’être engloutie par une Europe liguée contre elle. Nul ne peut oublier que le peuple français mourait de faim et l’Algérie lui fit don de sommes d’argent conséquentes et vendu du blé (qui n’a jamais été payé d’ailleurs) et en récompense, il fallait détruire l’Algérie. Faisant fi de tout cela, ce rapport n’est autre chose qu’une insulte à l’Algérie en ce sens, qu’au lieu de prôner le dialogue tel que voulu par les deux chefs d’Etat cherchant un apaisement, il fait table rase du passé et oublie l’Histoire. 
Bien au contraire, il préconise, au lieu du dialogue, des mesures bien en deçà de ce que peut attendre le peuple algérien : une plaque commémorative par-ci, une autre par-là, la reconnaissance d’un crime (un seul), l’ouverture de négociations sur la récupération d’un canon ! Et les autres faits marquants, sont-ils jetés aux oubliettes ? La mémoire ne peut être apaisée par des actions aussi minimes, j’allais dire aussi mesquines.  C’est à croire que le peuple algérien est encore au stade de l’enfance et se contenterait d’une friandise pour arrêter de pleurer. Non ! La mémoire ne peut être apaisée, non plus, par des déclarations irresponsables aux moyens d’informations, déclarations qui, certainement, ne reflètent pas officiellement la positon des autorités françaises qui ne se sont exprimées que sur un seul point, «ni excuses ni repentance», ce qui, en soi, veut tout dire. Ces déclarations à des médias français et même algériens sont destinées, à n’en pas douter, à affranchir leur auteur auprès de milieux dont il est issu et qu’il cherche à contenter.
Mais dans l’attente d’explications d’officiels français, il est permis d’entrevoir des possibilités de dialogue. Car le dialogue est nécessaire pour apurer tous les passifs. Par ses déclarations, M. Stora semble vouloir agir dans la lignée de la mentalité coloniale dont il s’est en fait rarement départi. Spécialiste de l’histoire de l’Algérie, il n’en connaît qu’un seul aspect, celui que soutiennent les tenants de la colonisation et de l’Algérie française et qui oublient les souffrances du peuple algérien dont il se dit (M. Stora) partie intégrante puisqu’il clame tout haut qu’il est algérien à part entière. Notre héroïne Gisèle Halimi, qui sera peut-être honorée par les autorités françaises, n’a pas caché ses positions en disant : «Je suis française mais d’origine tunisienne mais aujourd’hui je ne sais pas si je suis plus algérienne que tunisienne.»   Gisèle Halimi a compris parce qu’elle s’est penchée sur la douleur algérienne, elle a senti et défendu ces Algériens au prix de sacrifices qu’elle a consentis. Voilà un héritage commun, héritage partagé par les innombrables Français, hommes d’honneur et de courage qui se sont élevés à travers toute la colonisation et pas seulement durant la guerre de Libération contre toutes les exactions commises et apportant pour cela une aide ô combien précieuse à la lutte du peuple algérien. L’Algérie n’a jamais été ingrate, elle a toujours honoré ceux qui l’ont honorée ; et c’est en souvenir de ces hommes et femmes qui ont participé à notre lutte que l’Algérie tend la joue droite après avoir reçu ce qu’elle a reçu sur sa joue gauche. L’Algérie aborde les problèmes de mémoire de façon très sérieuse, sans aucune haine, sans aucune amertume, mais elle ne renie pas son passé. Elle l’assume, bon ou mauvais. Elle l’assume dans la dignité.
En conclusion, je ne trouve pas de mots percutants, pour dénoncer tous les crimes, massacres collectifs, spoliations, déportations, enfumades, des dizaines de milliers de villages du monde rural ont été rasés et les habitants décimés. A mon avis, et de l’avis de tous les Algériens, c’est la sauvagerie et la barbarie par excellence opérées par une armée républicaine, bien que certains historiens aient fait de notre chère Algérie un fonds de commerce très lucratif. Je dirai, en toute sincérité, que si les Algériens ont peut-être pardonné, ils n’ont pas oublié. 
La France officielle doit impérativement indemniser toutes les victimes, d’autant plus qu’une loi a été votée récemment par le Parlement français dans ce sens.
M. C.
 

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