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Rubrique Contribution

Dans le collimateur de l'Union européenne : Une tragédie grecque

Par Amirouche Moussaoui
«J'appartiens à un petit pays ; c'est un promontoire rocheux dans la Méditerranée qui n'a pour lui que l'effort de son peuple, la mer et la lumière du soleil.»
(Georges Séféris, prix Nobel de littérature 1963)


L'arrivée au pouvoir de la gauche radicale grecque — Syriza —, en janvier 2015, a constitué un fait politique de grande ampleur à l'échelle de l'Europe. Une première véritable alternance politique en Grèce depuis la fin de la dictature en 1974, mettant ainsi fin à la bipolarité politique Pasok (parti socialiste) et Nouvelle démocratie (droite), deux partis qui ont dominé et rythmé la vie politique du pays pendant près de quatre décennies. Syriza accède au pouvoir à l'issue d'élections législatives sur un programme contre l'austérité. L'Union européenne a imposé à la Grèce des politiques de rigueur budgétaire en contrepartie «d'aides» financières. De ces deux visions politiques antagonistes vont se nouer d'âpres négociations qui ont tenu en haleine les milieux politiques et financiers européens durant toute la première moitié de l'année 2015.

On ne ferme pas la porte à Platon(1)
L'adhésion en 1981 de la Grèce, pays de plus de 9 millions d'habitants(2) majoritairement rural, à la Communauté économique européenne (CEE) — anciennement Communauté économique de l'acier et du charbon et qui allait devenir l'Union européenne — modifie le profil industriel de la CEE. L'arrivée, cinq ans plus tard, du Portugal et de l'Espagne, fait basculer le centre de gravité de la Communauté vers l'Europe du Sud et lui imprime une dimension méditerranéenne. Au plus fort de la crise grecque, certains médias, notamment anglo-saxons, ont jeté l'opprobre sur ces pays — Portugal, Italie, Grèce et Espagne —, durement touchés par la crise, en les désignant par l'acronyme, péjoratif et désobligeant, PIGS (littéralement porcs en anglais).
L'économie grecque est structurée essentiellement autour de secteurs à faible valeur ajoutée. Le tourisme contribue directement à hauteur de 7% du Produit intérieur brut (PIB) et occupe 9% de la main-d'œuvre.
Première flotte commerciale mondiale, la Grèce constitue une plateforme de transit pour les produits importés puis exportés via ses ports. Le transport maritime constitue la deuxième industrie du pays, mais les droits de douanes sont faibles et les armateurs flottent dans l'immunité fiscale qui fait que leur contribution à l'effort national reste insignifiante au regard des revenus qu'ils génèrent.
L'activité agricole pèse, quant à elle, 3 à 4% du PIB (la moyenne européenne est de 1 à 2%) et emploie 13% de la population active. Les exploitations agricoles sont de petite taille ; plus de la moitié sont de moins d'un hectare.
Peu compétitifs, les produits agricoles demeurent primaires et peu transformés. Les olives sont vendues au voisin italien qui les transforme et les exporte sous marque italienne.
Lors de son entrée dans l'UE puis dans la zone euro, la Grèce a dû ouvrir ses frontières et respecter les quotas fixés par l'Union européenne pour ses produits agricoles et industriels. Avec un appareil productif peu innovateur et peu compétitif et des investissements trop faibles, la Grèce a vu ses usines fermer et son agriculture décliner (baisse de 18%), et entamer un inexorable écroulement. À cela s'ajoutent le fardeau grandissant de l'économie informelle et une administration fortement bureaucratisée et entachée de lourds dysfonctionnements, notamment son administration fiscale qui enregistre un taux de recouvrement des plus faibles en Europe (40% selon l'OCDE).
Les recettes de l'Etat ont fortement diminué depuis l'adoption de la Grèce de la monnaie commune, une conséquence de la politique du moins-disant fiscal mise en œuvre pour attirer entreprises et investisseurs étrangers. Les droits de succession ont été réduits et les taux d'imposition, à deux reprises, diminués entre 2004 et 2008, selon un apport de l'OCDE sur la Grèce paru en 2009. C'est dans le sillage de cette même politique qu'ont été décrétées trois lois d'amnistie fiscale.
Le président français Nicolas Sarkozy a déclaré sans détour que l'entrée de la Grèce dans l'euro avait été «une erreur».

À l'ombre de Goldman Sachs : des chiffres qui trompent
Il fallut attendre 2001, une année après le lancement de l'euro, pour que la Grèce ait le feu vert pour adopter la nouvelle monnaie commune. Pour satisfaire aux critères du traité européen de Maastricht, notamment la règle du 3% du déficit budgétaire maximum par rapport au produit intérieur brut, le pays avait consenti des efforts considérables. En effet, son déficit public est passé de 10% en 1995 à 1,6% en 1999... et maintenu à moins de 2% de 2000 à 2004.
En revanche, à la fin de l'été 2004, les résultats de l'audit sur les comptes publics grecs lancé par la droite au pouvoir ont démenti ce qui a été accrédité jusque-là d'exploit : la Grèce n'avait jamais respecté les critères européens. Ses déficits budgétaires n'ont pas été inférieurs à 3% de son PIB mais ils ont atteint 4,1% en 2000 et plus de 5% en 2004. On découvre par la même occasion que de tels maquillages concernent aussi la période-test 1997 (6,4%) -1999 (3,4%) à l'issue de laquelle la décision fut prise d’accepter la Grèce dans la zone euro. Cette «comptabilité créative» des pouvoirs publics grecs a été «conseillée» par la prestigieuse banque d'affaires américaine Goldman Sachs. Par un subterfuge comptable appelé Swap sur devises, Goldman Sachs réussit à travestir en toute discrétion les comptes publics grecs de telle sorte qu'ils entrent dans les clous fixés par l'Union européenne. Le coût de l'opération, révélée a posteriori par Bloomberg, est faramineux : 600 millions d'euros.
Ironie de l'histoire, en 2009, le Premier ministre socialiste découvre que le chiffre du déficit budgétaire a été dissimulé par son prédécesseur : il n'est pas de 6% du PIB, mais de 13%.
En octobre 2009, le président de l'Eurogroupe, J.-C. Juncker, exaspéré, fera une courte déclaration, peu diplomatique : «On arrête de jouer, on a besoin de vrais chiffres.» Elle marque le début officiel de la crise grecque.

Comment sauver les banques
La dette publique, elle, est à hauteur de 146% du PIB fin 2010. À la suite de la crise financière de 2008, la panique a gagné les marchés financiers et depuis les créanciers hésitent à prêter à la Grèce si ce n'est à des taux d'intérêt exorbitants ou carrément d'usuriers.
Les taux pratiqués par les prêteurs à l'égard de la Grèce étaient en moyenne de 7,5% entre 1990 et 2000 pour une croissance du PIB de 2,5% alors que les taux étaient historiquement bas et proches des taux de croissance. La Grèce s'est donc endettée, principalement, pour payer ces intérêts abusifs. S'ils (les intérêts) étaient proches de son taux de croissance, la dette serait de 64% en 2007 au lieu de 103% du PIB.
En outre, la pénurie de crédit — autre conséquence de la crise financière de 2008 — a mené les banques européennes à ne pas accorder de prêts à la Grèce dont la situation économique se détériorait et le défaut de paiement semblait imminent.
Le premier plan de sauvetage remonte à mai 2010. Il est sous la forme d'un emprunt sans précédent de 110 milliards d'euros, dont 80 milliards contractés auprès de l'Union européenne et 30 milliards auprès du FMI. Il s'est tout de suite avéré insuffisant. Un deuxième plan d'aide d'octobre 2011 de 130 milliards d'euros est assorti, comme le premier, de mesures d'austérité des plus drastiques.
Au tout début de la crise, selon la Banque des règlements internationaux (BRI), les banques françaises et allemandes étaient les plus exposées au risque grec. Les premières engagées à hauteur de 57 milliards d'euros et les secondes autour de 45 milliards.
Par ailleurs, les deux plans ont changé la structure de la dette grecque. Cette dernière est passé des mains des banques à celles des États et des créanciers publics. En d'autres termes, la Grèce s'est endettée auprès des Etats européens et autres entités publiques pour rembourser les banques privées.
Désormais, ce sont les Etats et les créanciers publics qui détiennent 70% de la dette grecque. Le Fonds européen de stabilité financière (FESF), mécanisme permanent de soutien à la zone euro créé au début du mois de mai 2010, en est devenu le plus important. Il détient à lui seul près de 130,9 milliards d'euros de la dette grecque. Celle-ci était de 298 milliards d'euros (127% du PIB) au début de 2010, après les deux plans, elle atteint 365 milliards, soit 165% du PIB. Ce tour de passe-passe fera dire à Alexis Tsipras, leader de Syriza puis Premier ministre de la Grèce, que «les fonds attribués ne sont jamais arrivés jusqu'aux Grecs. Ils ont surtout servi au sauvetage des banques».
Le rapport de la commission pour la vérité sur la dette publique grecque placée sous l'égide du Parlement issu des élections de janvier 2015 conclut que la dette grecque est en grande partie illégale, illégitime et odieuse. Une étude d’Attac Autriche conforte ces deux constats et démontre du même coup que seuls 46 milliards ont servi à renflouer les caisses de l'Etat grec. En décortiquant les financements accordés à la Grèce pour la période de 2010 à 2013, la même étude montre que 77% ont pris la destination des banques privées.

Les recettes de l'échec et l'austérité qui tue... !
En deux ans (2010 et 2011) la Grèce s'est vue imposer par l'Union européenne huit plans d'austérité consistant en programmes de compression de dépenses publiques et de privatisations (ports, aéroports, poste, banques, etc.). Leur but était d'assainir les comptes publics : réduire les déficits budgétaires et l'endettement extérieur. Cela s'est traduit par des suppressions de postes dans la Fonction publique, de nouvelles taxes et des baisses des salaires et des pensions. En revanche, les puissants armateurs grecs ont été épargnés et ne sont pas mis à contribution.
Si le premier plan de janvier 2010 prévoyait le gel de l'embauche dans la Fonction publique, le deuxième envisageait le gel des salaires alors que le quatrième prévoyait de ne remplacer qu'un fonctionnaire pour cinq départs à la retraite. Celui d'octobre 2010 organise le licenciement de 30 000 agents publics.
Après les chômeurs qui ont vu un durcissement des critères pour les allocations sociales et de chômage, les retraités ont été victimes de la même brutalité par les mesures d'austérité imposées par l'UE. L'âge de départ à la retraite a été relevé à 65 ans et les pensions de retraite gelées puis diminuées. La durée de cotisation est passée de 37 à 40 ans.
Certaines mesures ont touché directement le quotidien déjà difficile de l'ensemble de la population comme l'augmentation des taxes sur les carburants, de la TVA qui passe de 19 à 23%. Le monde du travail a connu de son côté le gel des conventions collectives et la promulgation de lois restrictives des libertés syndicales.
Deux années de programmes d'austérité ont eu raison de l'Etat social qui était sciemment voué à une disparition certaine. L'activité économique s'est contractée de 25%. Conséquemment, l'endettement et le chômage s'envolent. Le chômage qui était de 12,6% en 2010 a continué de progresser pour atteindre 17,6% à la fin du huitième plan. Chez les jeunes de moins de 25 ans, il culmine à 40%. Les salaires ont diminué de 38% et le taux de pauvreté atteint 32% en 2012, le double de ce qu'il était en 2010. Du coup, l’émigration a explosé. La Grèce subit un mouvement de départ (estimé à 500 000 émigrants) vers l’étranger touchant une population qualifiée. Phénomène connu seulement dans les années 1960 après la guerre civile où le pays a vu d’importants départs de main-d’œuvre vers les pays voisins.
Une étude de chercheurs grecs et américains s'étalant sur une période allant de 1983 à 2013, publiée dans la revue médicale britannique BMJ Open, conclut que leur analyse «montre une hausse significative des suicides à la suite des événements liés à l'austérité en Grèce».(3) De son côté, l'OMS a constaté que la mortalité infantile a subi une augmentation de 43,4% sur les deux premières années de la crise économique.
En somme, l'état de la Grèce ressemble à un pays ravagé par une catastrophe destructrice ou au sortir d’un grand krach économique. Les plans d'austérité imposé par l'UE ont enfoncé la Grèce dans la récession, provoqué une crise humanitaire et mis sous tutelle le pays.

Temps des crises et nébuleuses coalitions
Au temps des plans d'austérité de la Troïka (Commission européenne, FMI et BCE), le bipartisme à l'œuvre depuis la fin de la dictature a laissé place à une scène politique précaire et instable où se font et se défont des coalitions des plus improbables.
En octobre 2011, le Premier ministre socialiste annonce la tenue d'un référendum sur les mesures d'austérité imposées par les créanciers de la Grèce. Ces derniers l'ont sommé d'y renoncer. Poussé à la démission, ses camarades socialistes s'accordent avec les conservateurs de Nouvelle Démocratie pour former une coalition gouvernementale. Finalement, quittant définitivement son parti — le Pasok —, il crée un nouveau parti politique de centre gauche pour se présenter aux élections de janvier 2015 ; il n'atteint pas la barre de 3% et échoue à avoir des représentants au Parlement.
L'Histoire retiendra que cette première coalition gouvernementale 2011-2012, formée après d'intenses discussions, a permis à un parti politique d'extrême droite de faire son entrée au gouvernement. La coalition n'a duré qu'une année. Un gouvernement intérimaire a été formé mais n'a tenu qu'un mois pour être remplacé par un autre gouvernement d'une autre coalition Pasok-Nouvelle Démocratie mais délesté des éléments de l'extrême droite. Cette fois-ci on a fait appel à un parti de gauche démocratique, Dimar (une formation qui se positionne entre le Pasok et la gauche radicale) pour former un gouvernement d'union nationale. Le 13 juin 2013, ordre est donné par le gouvernement de fermer la chaîne publique de télévision et le licenciement de ses 2 650 employés. L'évènement a suscité une grande colère parmi la population. Pour signifier sa désapprobation, le parti Dimar quitte le gouvernement laissant la coalition entre les deux partis, jadis rivaux, désormais sous les injonctions de la Troïka, appliquent indifféremment la même politique, celle de l'austérité.
Dépourvu de majorité parlementaire pour élire le Président, au rôle somme toute protocolaire, le gouvernement convoque des élections législatives anticipées pour janvier 2015.
Ce sont celles qui mettent un coup d'arrêt aux coalitions brinquebalantes et ouvriront la voie pour la première fois dans l'histoire de la Grèce à la gauche radicale.
«Organisons-nous dans les lieux de travail, dans les écoles et les universités.
Brisons les chaînes de la hiérarchie et de la bureaucratie dans le travail. Bloquons l’économie» ; «Nous ne paierons rien. Récupérerons ce qu’ils ont volé» ; «Pour mieux servir notre combat, il est nécessaire d’instaurer partout des Assemblées populaires, sur les places, sur les lieux de travail, sur les lieux d’étude».
Des appels de ce genre se multiplient au fil des semaines puis au fil des jours pour organiser la riposte des syndicats, des étudiants, des retraités et autres collectifs contre les mesures prises par les gouvernements successifs sous le diktat de la Troïka.
La mobilisation a concerné de nombreux secteurs comme les transports, les salariés des municipalités et des hôpitaux, des universités et des lycées.
Les mouvements de contestation se sont amplifiés et les actions de blocage et d’occupation de ministères et de bâtiments publics deviennent quotidiens dès l'apparition des effets du premier plan d'austérité.
Les portes du tribunal d’Athènes ont été maintes fois bloquées par les manifestants pour empêcher la vente des biens immobiliers saisis à des particuliers et des modestes entrepreneurs endettés se trouvant dans l'incapacité de rembourser leurs dettes.
La protestation articule des grèves générales qui ont paralysé le pays et des assemblées sur les places publiques dans différentes villes grecques d'où sortaient des actions continues et quotidiennes pour s'opposer aux programmes austéritaires des gouvernements. Les mouvements sociaux ont essayé de se réapproprier l'espace public comme espace politique. Ils se sont développés pour enraciner la lutte dans les quartiers, les entreprises, les universités, etc. L’occupation de l'emblématique place Syntagma devant laquelle se dresse la façade du Parlement constitue un moment-phare de la contestation. C’est sur cette même place, chargée de mythes de l'Histoire ancienne et récente de la Grèce, qu’en avril 2012 un malheureux pharmacien de 77 ans a choisi de se suicider. L'évènement a suscité un grand émoi au sein de la population déjà accablée par la baisse des revenus, le chômage massif, la précarité et la paupérisation. Par ailleurs, les mobilisations spectaculaires lors des grèves générales qui ont paralysé le pays ont été souvent émaillés par de violents accrochages avec la police dont certains ont viré au drame, causant des morts et des dizaines de blessés. Les signatures des mémorandums ont constitué également des pics de la mobilisation populaire. Des chaînes humaines se sont formées autour du Parlement pour dissuader les élus de voter les plans imposés par les institutions de l'Union européenne. Les médias pro-gouvernementaux minimisent la contestation sociale et la réaction violente de la police pour évacuer la place Syntagma ont été des signaux clairs de l'intransigeance des gouvernements et la soumission des classe dirigeantes aux créanciers de la Grèce.
Le mouvement s'est déplacé vers les quartiers voisins de la place où un autre type d'organisation a été conçu. On a vu fleurir des actions de soutien, d'entraide et de solidarité populaire : soutien sanitaire et mise en place de services médicaux, conseils juridiques, repas pour les plus démunis, etc.

Syriza : débouché politique des luttes sociales
En se présentant comme la coalition politique de résistance aux mémorandums de la Troïka (FMI, Banque centrale européenne et Commission européenne) et à la thérapie de choc austéritaire, Syriza récupère le sens des luttes sociales, les slogans et les mots d’ordre de la protestation. Cette coalition d'organisations de gauche réussit à convaincre qu'une alternative de relance économique est possible et que le dépassement de la crise peut passer par les élections. Sa percée électorale remarquable lors des législatives de mai 2012, en réussissant pour la première fois à élire des parlementaires. Le seuil de la crédibilité politique est ainsi franchi pour la conquête du pouvoir qu'elle conquiert totalement lors des législatives de janvier 2015. L'évènement marque le moment où l’ancien système politique s’effondre. Les deux partis principaux ont été touchés : le Pasok s'écroule totalement et Nouvelle Démocratie perd 20% de son électorat, soit le plus faible score pour un parti de droite depuis l'existence de la Grèce en tant qu’Etat indépendant.
Syriza s'est investi dans les mouvements sociaux et les actions collectives de mobilisation tout en respectant leur autonomie, notamment dans leurs nouvelles formes d'organisation comme celle d’occupation des places. «Solidarité pour tous» est une structure de solidarité créée par Syriza. Sa vocation est de coordonner des initiatives dispersées et morcelées et de les mettre en réseau à travers tout le pays afin de faire circuler les demandes et les besoins (en médicaments, vêtements, etc.) d'un collectif à un autre. L'objectif est de construire des combats communs sur le terrain, de les homogénéiser dans un esprit de résistance aux politiques destructrices de l'Etat social et viser à produire de l’auto-organisation populaire.
La coalition est composée d'une quinzaine d'organisations politiques de gauche issues de scissions successives du mouvement communiste. La principale composante est la coalition de gauche (Synaspismos) qui existait depuis 1991. D'autres organisations, plus petites en termes de poids numérique, de tradition trotskiste et de l'extrême gauche grecque classique ont intégré à leur tour Syriza. Se sont joints également des groupuscules altermondialistes, anticapitalistes, écologistes et autres militants du Forum social grec.
La coalition de gauche s'est constituée d'abord en tant qu’alliance électorale entre plusieurs formations distinctes en 2004. L'expérience est rééditée à l'occasion d'autres rendez-vous électoraux et surtout avec plus de succès. En pleine ascension, le processus de sa construction a abouti à la transformation de l'alliance d'organisations la composant en un parti unitaire lors du congrès de mai 2012. Cette mouvance de gauche radicale a su et pu renouveler ses références idéologiques et organisationnelles. À la matrice communiste se sont greffés les courants altermondialistes, les mouvements féministes, antiracistes, etc.
Syriza arrive au pouvoir en gagnant les législatives de janvier 2015 avec 36% des voix sur un programme de relance de l'activité économique, de la défense des salaires et des retraites, de l’opposition aux privatisations et contre les expulsions de logements des pauvres endettés, choix politique diamétralement opposé à celui de la Troïka.

Un coup d'Etat financier... en Europe !
Immédiatement après la prise de pouvoir, le gouvernement Syriza a été confronté à un blocus des institutions européennes. Trois semaines à peine passées que l'Eurogroupe (réunion des 19 ministres des Finances des États membres de la zone euro) envoie un ultimatum à la Grèce pour continuer le programme d'austérité des précédents gouvernements. La Commission européenne, par la voix de son président Jean-Claude Juncker, lâche une phrase terrible, qui résume toutes les limites des choix des peuples dans l'Union européenne : «Dire que tout va changer parce qu'il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c'est prendre ses désirs pour des réalités (…) Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens.»(4)
Mais c'est la Banque centrale européenne (BCE), qui se retrouve une fois de plus en première ligne, qui utilise l'artillerie la plus lourde 1: l'asphyxie financière. Méthode qualifiée par Yannis Varoufakis, ministre grec des Finances chargé des négociations avec les institutions européennes, de technique d'interrogatoire du supplice de la baignoire et de la simulation de la noyade. Avant l’arrivée de Syriza au pouvoir, la BCE accepte les titres de dettes grecs détenus par les banques qui espèrent se refinancer auprès d’elle, et ce, en dépit de la mauvaise note attribuée à ces titres par les agences de notation.
C'était l'époque où les programmes d'austérité étaient appliqués. Une fois le gouvernement Syriza installé, et dès le 4 février 2015, la BCE limite l'accès aux liquidités des banques grecques ; c'est la première frappe. Les étapes suivantes n'ont consisté qu'à serrer un peu plus l'accès au financement au bout duquel s'est dessiné un effondrement du système bancaire et financier grec. La BCE a maintenu les banques grecques sous perfusion en réduisant l'octroi des liquidités à un seul dispositif (ELA : Emergency Liquidity Assistance) qui est une option sollicitée dans les situations d'urgence ou exceptionnelles. Le gel de ce mécanisme d'urgence en juin 2015 a provoqué la fermeture des banques grecques ; c'est le coup de grâce ! Méthodiquement la BCE a mis en œuvre un véritable coup d’Etat financier. Le gouvernement grec continue à subir la pression des créanciers et des institutions européennes pour mettre en application des mesures qui le mèneraient à renier son programme anti-austéritaire pour lequel il était élu. Chaque échéance de remboursement est une occasion d’accentuer cette pression.
Sans un accord sur les mesures à appliquer en échange d'un apport de 7,2 milliards d'euros promis par les institutions européennes, la Grèce ne peut rembourser 1,5 milliard au FMI fin juin 2015 et 6,7 milliards à la BCE en juillet. Sans le respect de ces deux engagements, elle serait en défaut de paiement suivi de sa possible éviction de l'euro. Alors que s'approche l'échéance cruciale du 30 juin (remboursement de 1,5 milliard d'euros au FMI), les négociations sont rompues.
La Grèce refuse les conditions proposées ; ses créanciers lui fixent un ultimatum. Le Premier ministre appelle le peuple à la rescousse par un référendum (5 juillet 2015) pour se prononcer sur la proposition des institutions européennes.
Ces négociations truffées d'ultimatums et de menaces font dire au ministre grec des Finances que «le gouvernement doit faire face à un coup d’Etat d’un nouveau genre. Nos assaillants ne sont plus, comme en 1967, les tanks, mais les banques»(5).
Dans le sillage de ces tumultueux pourparlers, le gouvernement adopte, le 28 juin 2015, la limitation drastique des retraits bancaires et l’instauration d’un contrôle des capitaux. Il s’agit de parer à la fuite des capitaux vers l’étranger (jusque-là 80 milliards d’euros ont passé la frontière) et à l’effondrement du système financier du pays. Les établissements bancaires sont fermés et les retraits aux guichets automatiques sont limités à 60 euros par jour et par personne pour les Grecs. Les retraités ont cependant le droit de retirer leur pension.

L'Union européenne pour les banques, pas pour les peuples
Malgré le refus des exigences de l'Union européenne par le peuple (62%), le rapport de force devenait de plus en plus défavorable pour le gouvernement grec qui a refusé d'envisager le défaut de paiement et toute sortie de l'euro (un engagement électoral de Syriza). Asphyxié financièrement, face à l'intransigeance de ses partenaires et sous la menace de la BCE de ne pas autoriser la réouverture des banques grecques, le Premier ministre grec signe, le 13 juillet 2015, l'accord pour un troisième mémorandum.
L'hebdomadaire allemand Der Spiegel parle d'un catalogue de cruautés infligées au peuple grec et d'une humiliation de son gouvernement. Le Premier ministre grec déclare «assumer la responsabilité d’un texte auquel [il] ne croit pas, mais le signe pour éviter tout désastre au pays».(6)
En effet, il s'agit d'annuler toutes les lois votées par le Parlement grec depuis l'arrivée de Syriza au pouvoir, à l'exception des lois humanitaires destinées à venir en aide aux couches les plus défavorisées. Par cet accord, l'Union européenne organise le dépeçage de la Grèce et la mise sous tutelle de son Etat. Il y a 50 milliards d'actifs publics grecs à privatiser, placés dans un fonds géré par l'UE et indépendant du gouvernement grec. Les trois quarts du montant des privatisations serviront à rembourser la dette. D'autres brutalités sont également consignées dans l'accord : de nouvelles hausses d’impôts, y compris pour les revenus juste au-dessus du seuil de pauvreté, une énième baisse des retraites et des salaires. Pour toute loi sur un sujet majeur, le gouvernement grec doit avoir l'aval de la Troïka avant de la soumettre au Parlement grec. Aucune annulation partielle de la dette n'est accordée, la BCE a déjà prévenu : «La Grèce doit payer, ce sont les règles du jeu européen.»(7)
En somme, les mesures d'austérité sont amplifiées et la souveraineté du peuple aliénée. Pour les institutions européennes, aucun pays de l'UE ne peut échapper à la politique d’austérité.

Petit pays sous la botte de l'oligarchie
Le Premier ministre, Alexis Tsipras, a dû mené les négociations en même temps que l’installation de son nouveau gouvernement dans un pays en pleine crise économique, financière et humanitaire. En outre, la BCE a coupé les canaux de refinancement des banques grecques pour un pays qui ne représente que 2% de la production annuelle de l'UE. Isolé et sans allié au sein des institutions européennes, après une nuit de négociation, le gouvernement de gauche Syriza a capitulé sous un rapport de force écrasant. Manifestement ce storytelling est identique au récit adopté par A. Tsipras quand il affirme : «Nous avons tenté, dans des conditions défavorables, avec un rapport de force difficile en Europe et dans le monde, de faire valoir la raison d'un peuple et la possibilité d'une voie alternative. Au bout du compte, même si ces rapports de force étaient déséquilibrés, même si les puissants ont imposé leur volonté, ce qui reste c'est l'absolue confirmation, au niveau international, de l'impasse qu'est l'austérité.»(8) Le gouvernement grec a mis en avant une approche axée uniquement sur la négociation sans préparer aucun autre plan. D'ailleurs, le Premier ministre a constamment répété qu’il n’y avait pas de plan de rechange. Il a exclu toute sortie de la Grèce de la zone euro, convaincu que cette option est plus désastreuse que le plus mauvais des accords. Il a renoncé à toute mesure unilatérale par crainte d'une expulsion de fait de l'euro. Finalement c'est sous la menace de l'éviction de la Grèce de la zone euro (Grexit) que fut amené le gouvernement de Syriza à céder. À partir du cas grec et pour proposer une alternative politique et sociale, certaines forces de la gauche européenne, tout en dénonçant la capitulation de Syriza, tentent de tirer des conclusions pertinentes en élaborant des plans alternatifs pour une confrontation à grande échelle qui inclut l'abandon de l’euro. Pour les peuples, la volonté de transformation sociale demeure intacte, elle peut s'incarner dans d’autres opportunités de résistance politique. La réponse référendaire du peuple grec en est une éclatante démonstration.

UE : à changer ou à quitter !
Dans les exigences des créanciers de la Grèce figurent en bonne position les coupes claires dans les salaires et les retraites, le démembrement des services publics et une attaque en règle du droit du travail. Le progrès social n'a pas été le moteur de la construction européenne. Il est incompatible avec les logiques financières et géopolitiques qui ont toujours primé dans le processus de l'édification des institutions de l'UE. Les élites économiques de l'Union ont pris prétexte de la crise de 2008 pour accélérer cette évolution en vue de démanteler l'Etat social. C'est la stratégie du choc qu'a théorisée Milton Friedman : «Attendre une crise de grande envergure, puis, pendant que les citoyens sont encore sous le choc, vendre l’Etat, morceau par morceau, à des intérêts privés avant de s’arranger pour pérenniser les ‘‘réformes’’ à la hâte.»(9)
A. M.

Notes :
1) Formule attribuée à Valéry Giscard d'Estaing, président français, qui avait soutenu l'entrée de la Grèce dans la Communauté européenne.
2) Les chiffres utilisés sont ceux de Eurostat (organisme européen de statistiques) ou d’Elstat (organisme grec) sauf indication contraire.
3)http://bmjopen.bmj.com/content/5/1/e005619?utm_source=TrendMD&utm_medium=cpc&utm_campaign=BMJOp_TrendMD-0.
4) Le Monde diplomatique de juin 2015.
5) Politis du 29 janvier 2015.
6) Le Monde du 14 juillet 2015.
7) Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE dans The New York Times, 31 janvier et 1er février 2015.
8) L'Humanité du 31 juillet 2015.
9) Cité par Naomi Klein, La Stratégie du choc, 2008.


Quelques référence bibliographiques
Alexis Cukier, Pierre Khalfa, Europe, l'expérience grecque, Éditions du croquant, 2015.
Frédéric Lordon, On achève bien les Grecs - Les liens qui libèrent, 2015.
James K. Galbraith, Crise grecque, tragédie européenne, Seuil, 2016.
Frédéric Farah, Europe, la grande liquidation démocratique, Bréal, 2017.
Yanis Varoufakis, Conversations entre adultes - Les liens qui libèrent, 2017.

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