La corruption ne respecte pas les frontières, ne fait pas de distinctions économiques et gangrène toutes les formes de gouvernement. À long terme, aucun pays ne peut se permettre de supporter les coûts sociaux, politiques ou économiques qu'induit la corruption. L’Algérie continue de subir ces coûts de plein fouet. Il n'y a pas si longtemps, corrompre des agents publics dans des pays étrangers pour obtenir des marchés constituait une pratique commerciale, sinon acceptable, du moins tolérée dans de nombreux pays. Aujourd'hui, le dossier de la corruption fait partie des principales préoccupations des pouvoirs publics à l'échelle mondiale car ses répercussions dramatiques sur le développement économique et ses effets corrosifs sur la stabilité politique et les institutions démocratiques sont devenus de plus en plus évidents. Aucun pays n'est entièrement exempt de corruption. Mais lorsque la corruption prend des proportions telles qu'elle risque de freiner la croissance économique et de contrarier les efforts accomplis en vue d'instaurer une bonne gouvernance, elle entraîne la dégénérescence générale du tissu social. Obstacle au développement durable, la corruption peut éventuellement aggraver les disparités économiques et favoriser la criminalité organisée. En fait, si la corruption se développe sans entrave, la démocratie peut difficilement s'épanouir, la liberté se répandre, la justice prévaloir. Depuis quelques années, les efforts accomplis à l'échelle internationale pour combattre la corruption, encourager la transparence et accroître la responsabilité prennent de l'ampleur, parce que l'on comprend mieux le coût politique, économique et social de la corruption.
Fuite des investisseurs étrangers
S’il est difficile de chiffrer les coûts de la corruption de par la nature même des pratiques en cause, il est clair que, compte tenu du niveau des enjeux, les économies ne peuvent se permettre d’en supporter le poids, surtout dans les pays en développement. En Algérie, en termes de coûts directs, la corruption continue d’entraîner des pertes financières énormes pour l’État, la réalisation d’achats ou de projets non prioritaires, voire totalement inutiles, le renchérissement des prix et la baisse de la qualité des services publics. En termes de coûts indirects, la corruption provoque la fuite des investisseurs étrangers, crée des distorsions dans le fonctionnement de l’économie de marché et porte un préjudice socio-économique aux entreprises compétitives. Elle a un impact négatif sur le cadre et la qualité de vie (infrastructures, services publics, santé, etc.), sur les ressources humaines où la «confiance» prévaut sur la compétence et peut générer un climat de risque où les responsables intègres sont parfois menacés de violence.
Les tentacules de la corruption s’étendent dans chacune des sphères de la vie publique et privée
Si les méfaits de la corruption ont longtemps été sous-estimés, voire ignorés, pour diverses raisons plus ou moins avouables —absence de mesures empiriques fiables, logique de la guerre froide faisant de la corruption un moyen des deux grands blocs pour s’allier les pays en développement, etc. —, ils sont depuis les années 1990 largement reconnus : pauvreté, retards de développement, dérèglement politique et atteinte à la démocratie, généralisation de la criminalité organisée et des trafics en tous genres… Les tentacules de la corruption s’étendent dans chacune des sphères de la vie publique et privée, rendant la production des biens publics de base (santé, nourriture, démocratie…) impossible dans la plupart des pays en développement. L’Algérie n’échappe pas à ce constat, malgré les importantes recettes issues de ses ressources naturelles qu’elle engrange chaque année. L’Algérie, pays riche et peuple pauvre ? Le coût de la corruption pour les Algériens est très élevé : Etat déliquescent, terrorisme sempiternellement «résiduel», pouvoir rentier, économie en faillite, pauvreté et marginalisation de masse, taux de chômage trop élevé, administration publique gangrenée et obsolète, etc.
Djilali Hadjadj
Nécessité d’une politique nationale de lutte contre la corruption
Le combat contre la corruption n’est pas l’apanage des pays
industrialisés. Les pays en développement, dont l’Algérie, sont de plus
en plus nombreux à exprimer leur volonté de lutter contre ce problème,
faisant écho aux initiatives internationales comme la Convention des
Nations unies de 2003 contre la corruption. Les efforts déployés peuvent
paraître réels mais les avancées concrètes restent encore faibles.
L’analyse institutionnelle de la corruption fournit des indications sur
les remèdes à apporter. Une plus grande transparence, l’obligation de
rendre des comptes, l’amélioration de la gestion des ressources humaines
dans l’administration publique basée sur un système méritocratique sont
autant de principes d’action qui, mis en œuvre, permettent son contrôle.
La simplification et la rationalisation de l’intervention de l’État dans
l’activité économique vont aussi de toute évidence réduire les
opportunités de corruption. La réduction de la corruption permet le
développement économique mais doit aussi s’appuyer sur ce développement
même. Il appartient donc à l’Algérie de définir, en fonction de sa
trajectoire historique, sa stratégie propre qui permettra d’amorcer un
cercle vertueux favorisant développement et amélioration de la
gouvernance. L’Algérie a-t-elle une stratégie de lutte contre la
corruption ? Non ! Ratifier les Conventions internationales (Nations
unies et Union africaine) est une étape nécessaire mais non suffisante
pour essayer de définir cette stratégie.
L’Algérie a-t-elle réussi la transposition de ces Conventions en droit
interne ?
L’effectivité des lois
Non, la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la
lutte contre la corruption est très «pauvre», contient de nombreuses
insuffisances et des «omissions» par rapport à la Convention des Nations
unies : déclaration de patrimoine des «agents publics» vidée de sa
substance ; pas de protection des dénonciateurs de la corruption ; pas
de droit d'accès à l'information gouvernementale pour tous ; exclusion
de la société civile ; pas d'indépendance pour l'agence gouvernementale
de lutte contre la corruption, etc. D’où la nécessité d’une politique
nationale de lutte contre la corruption qui reste à définir. Le
dispositif légal contre la corruption doit être compris comme l’ensemble
des textes ayant pour vocation spécifique de prévenir et de réprimer la
corruption, mais aussi la réglementation destinée à assurer la
transparence, voire les textes qui consacrent la démocratie et
garantissent les droits fondamentaux des citoyens. Mais s’il suffisait
de bonnes lois répressives pour venir à bout de la corruption, celle-ci
n’existerait plus. Il est impératif d’assurer l’effectivité des lois et
leur application par des institutions judiciaires fiables. La volonté
politique du pouvoir exécutif et la culture d’intégrité de la
magistrature sont indispensables à cet effet. Sans une véritable volonté
politique, les meilleures lois anti-corruption restent lettre morte.
D. H.