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Rubrique Culture

SILA 2018 Essor d’une police des livres

La 23e édition du Salon international du livre d’Alger a pris fin samedi. Cette année, comme l’an dernier, la présence remarquée d’une «police des livres» pose la question sur le retour en force de la censure. 
Chaque année, le comité d’organisation du Salon international du livre d’Alger annonce, lors de son point de presse à la veille de la tenue de l’événement, le nombre de livres interdits pour «atteinte à la souveraineté nationale, à l’enfance ou à l’islam et apologie de la violence, du terrorisme et du racisme». 
Pour cette 23e édition, 53 ouvrages ont fait l’objet de «réserves», terme que la Commission interministérielle de lecture et de suivi préfère au mot «interdiction». Au sujet de cette commission, il s’agit d’un consortium composé de fonctionnaires des ministères de la Culture, des Affaires religieuses, de l’Education et de l’Intérieur, qui statue sur les listes présentées par les maisons d’édition participantes et décide de l’interdiction de certains ouvrages selon ces critères suffisamment larges et ambigus pour permettre une censure étendue. 
Or, le travail de cette commission ne s’arrête pas une fois la «blacklist» établie, il se poursuit durant les dix jours du Sila, en collaboration avec une brigade des Douanes algériennes qui sillonne les artères des pavillons du Palais des expositions Safex à la recherche de livres indésirables. Ahl El Bayt, une maison d’édition iranienne, en a fait les frais le 31 octobre dernier : son stand a été fermé pour «prosélytisme chiite» ! La veille, le directeur des éditions Koukou, Arezki Aït Larbi, dénonçait une tentative de censure suite à la visite de cinq membres de la Commission de lecture et de suivi qui lui demandaient le retrait de deux titres : «Les derniers jours de Mohammed, enquête sur la mort mystérieuse du Prophète», de l’universitaire tunisienne Hela Ouardi, et «Démoctature» de l’avocat et militant des droits de l’homme Mokrane Aït Larbi. Après leur avoir rappelé que l’interdiction d’un livre ne peut se faire qu’après décision de la justice, l’éditeur refuse de leur remettre les deux ouvrages en question. Or, les autres maisons d’édition inspectées par cette commission semblent se résigner à obtempérer, comme ce fut le cas pour Dar Essaki, un éditeur libanais qui, lui, a reçu la visite des Douanes, lesquelles ont procédé à la saisie de sept ouvrages de l’islamologue syrien Mohamed Chahrour, soit 361 exemplaires, a-t-il annoncé sur sa page Facebook. Que reproche-t-on à cet intellectuel connu pour ses positions critique quant à l’exégèse traditionnelle du Coran et dont les publications sont interdites dans plusieurs pays arabo-musulmans ? Justement, à en croire les déclarations du concerné et la presse moyen-orientale, l’islamologue serait accusé d’athéisme, de prosélytisme chiite et de tentative de déstabiliser la foi des Algériens !  Son ouvrage La religion et le pouvoir (qui en est à sa quatrième édition) serait particulièrement visé : son propos s’inscrit dans la démarche globale de l’auteur qui consiste à proposer une refonte radicale de la lecture des textes islamiques à travers un prisme moderniste et humaniste. 
Apostasié par les rigoristes et banni par certains régimes du Moyen-Orient, Mohamed Chahrour subit pour la première fois la censure au Salon d’Alger. Dans le même sillage, le chercheur marocain Rachid Aïlal a vu son ouvrage Sahih El Boukhari : la fin d’un mythe également saisi pour atteinte à l’islam ! Pour rappel, l’ouvrage a été édité en Tunisie après son interdiction par les autorités marocaines. 
Il apparaît donc clairement que nous avons affaire à une véritable police du livre instituée pour purger le Sila des œuvres dérangeantes, controversées ou jugées irrévérencieuses. Se prévalant du règlement intérieur du Salon, les autorités pèsent de tout leur poids sur le contrôle, voire la restriction de l’accès de l’Algérien à des livres qu’il n’a pas l’occasion d’acquérir en dehors de cet événement international. Le seul motif «d’atteinte à l’islam» pleinement assumé par la commission de censure sur la base de la loi sur le livre de 2015, et qui semble à l’origine de ces interdictions, pose un sérieux problème quant aux libertés académiques et la liberté de recherche scientifique garanties par l’article 44 de la Constitution qui stipule surtout que «la mise sous séquestre de toute publication ne peut se faire qu’en vertu d’un mandat judiciaire». 
De plus, le recours à cet argument risque de devenir une arme liberticide atteignant la création littéraire et universitaire en Algérie dans son ensemble : comme dans beaucoup de cas, l’arsenal juridique se met ainsi en porte-à-faux avec les droits garantis par la Constitution, jusqu’à parfois les annuler au profit de pratiques autoritaires dont le livre était plus ou moins épargné jusqu’à récemment. 
Sarah Haidar 

 

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