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Rubrique Culture

Après une longue absence Farid Abache revient avec un roman, Condamnés à vivre

Encore étudiant en philosophie à l’université d’Alger, Farid Abache a fait paraître en 1990 à l’âge de vingt-deux ans, aux Editions Laphomic, un récit intitulé La Camisole de gré. D’une structure originale, ce texte a été accueilli avec beaucoup d’éloges. Vingt-cinq ans après, il nous revient avec un roman Condamnés à vivre, édité par Tira Editions.
Loin de la grande ville où il réside, le narrateur, un écrivain reconnu, s’en va chercher dans son village natal la sérénité dont il a besoin pour mener à terme une étude qui lui tient à cœur, une étude qui ambitionne de mettre en relief les corrélations liant la littérature à l’errance. Pour ce faire, il se lance sur les traces de trois poètes dont l’amour du verbe n’a d’égal que celui de l’errance, à savoir, Kaïs, Rimbaud et Si Mohand Ou M’hand. Dès la première matinée, il entame sa réflexion et esquisse les grands axes de son projet…
Puis, pour s’offrir une pause, il fait un tour au café du village où il rencontre ses amis de jeunesse, enseignants au lycée. Ces derniers lui apprennent avec tristesse le suicide de leur ami commun, Ali, personnage atypique, mystérieux, taciturne mais loquace et fulgurant lors de ses rares moments d’ivresse. Il tente désespérément de leur arracher quelque explication au sujet de ce suicide. En vain ! Les quatre amis affichent une totale incompréhension. Le narrateur, quant à lui, refuse d’admettre cette incompréhension parce qu’il considère que toute personne est à la fois libre et susceptible de décider un jour ou l’autre pour une raison ou une autre de mettre un terme à sa vie.
Et il se lance alors comme défi d’amener ses quatre amis à surmonter leur stupeur et à creuser dans la vie d’Ali en vue de déterrer des détails qui auraient pu le pousser au suicide… Terrassé par des questionnements existentiels sur la mort, la vie, le suicide, il se sent obsédé par cette problématique alors qu’il doit s’atteler à confectionner son étude sur la littérature et l’errance…Lors d’une seconde rencontre, usant d’un ingénieux subterfuge, il parvient à entraîner ses quatre amis à écrire des textes où ils expliquent les raisons ayant pu pousser Ali au suicide. Chaque texte est donné comme étant celui qu’Ali aurait légué…
Ainsi le lecteur est-il invité à prendre connaissance de ces quatre écrits en même temps que le narrateur qui devient du coup lui-même lecteur… On découvre qu’après avoir surmonté le stade de stupeur, ces enseignants livrent infiniment de raisons susceptibles d’avoir poussé Ali au suicide… En s’identifiant à ce dernier, nous découvrons l’angoisse existentielle qui fait que nous nous sentons comme des « condamnés à vivre » en ce sens que nous sommes parachutés sur terre sans que nous ne soyons consultés et depuis nous sommes condamnés à vivre par une sorte d’envie instinctive…
Quatre textes complètement différents se suivent. L’un d’eux nous emmène dans un récit qui tente de nous expliquer les raisons qui ont fait que notre pays, jadis une contrée de faste et de bonheur, est devenu un pays sépulcral où seuls les croassements macabres se font entendre… Il nous parle d’un personnage, très particulier, surnommé le compagnon de la chamelle, qui est venu avec ses mots charmeurs et manipulateurs tuer l’élan de tout un peuple … A la fin du récit, le narrateur qui est censé être Ali, se donne la mort pour ne pas avoir à perdre son âme et à sombrer dans un marasme mortifère…
Après une pause que le lecteur observe en compagnie du narrateur principal -lui-même lecteur-, il se fait embarquer dans le texte suivant où il est question d’un homme qui vient de perdre sa femme qui s’est suicidée parce que tout son idéal s’est effondré. Ayant vécu dans l’enthousiasme de la révolution et ayant construit tout un rêve d’une patrie libérée, elle assiste, éplorée, à l’avortement de son rêve fauché par de nouveaux bourreaux qui ont imposé leur diktat sur tout le pays. Son mari, le narrateur, évoque ses souvenirs par le biais de flashbacks récurrents… Au fil des pages et à mesure que la guerre intestine prend de l’ampleur, il perd lui-même espoir et se décide à mettre un terme à sa vie… Ayant lu tous les textes, le narrateur principal s’en va retrouver ses amis… Et c’est à lui de déterminer lequel de ces écrits est réellement celui qu’Ali a légué… Je n’en dis pas plus pour garder tout le e
Une chose à présent reste en suspens : que devient l’étude sur la littérature et l’errance ? Le narrateur principal ne peut que se consoler en ces termes : « Mon objectif initial était de savoir pourquoi Kaïs, Rimbaud et Si Mohand avaient ce bas-monde en dégoût et s’étaient livrés à l’errance, toute leur vie durant, je réalise à présent qu’en somme, ils ont entrepris un suicide original, en se jetant dans une désolation totale, pour que leur esprit s’émancipe et épanche sa soif de pureté...
Pour ce qui est de l’écriture, je me sens comblé d’avoir amené mes amis à épouser le pouls du verbe... Y a-t-il pour la littérature une finalité plus sublime que celle d’entraîner ceux qui s’en estiment incapables, à vaincre leurs réticences, à surmonter leur blocage et à s’y lancer corps et âme…»
A. Kersani

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