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Rubrique Culture

ELIAS D’AHMED BENZELIKHA La quête de la connaissance et de la vérité

Voici un roman qui donne l’occasion au  lecteur de décoller du réel et de s’offrir des moments d’évasion tout en s’instruisant. Ainsi pourra-t-il déployer les ailes de son imagination et voyager loin pour retrouver la liberté d’être soi-même et de penser par soi-même.

La quatrième de couverture du livre est déjà une belle invitation au voyage : «Et la mer l’emporta pour une Odyssée recommencée... C’est ainsi qu’Elias, le voyageur méditerranéen, sur les traces d’Ulysse et des textes sacrés, d’aventure en aventure, d’île en île et de femme en femme, à la recherche d’un mystérieux masque et du sens de la vie, va enfin se retrouver face à lui-même et à l’ultime révélation.» S’inspirant des aventures d’Ulysse, qui forment le sujet de l’Odyssée d’Homère, Ahmed Benzelikha propose ici un excellent exercice littéraire et imaginatif. L’auteur a trouvé un moyen intelligent d’extraire un sujet (un voyage) de sa gangue d’associations habituelles pour le montrer sous un autre angle, pour le présenter sous un autre code et pour délivrer des messages à la hauteur des enjeux et de l’actualité de notre temps. Pour cela, il lui fallait déjà renverser la façon de penser habituelle, créer dans le désordre, bousculer les formes tout en produisant un texte agréable à lire mais si plein d’enseignements. Premier clin d’œil complice au lecteur : le titre «Elias» qui trône sur une belle photo de couverture. Cela crée une connivence avec les lecteurs ayant lu ou ayant entendu parler des multiples aventures d’Ulysse, le héros du poème épique grec en vingt-quatre chants.
Le titre est donc construit par détournement phonétique à partir de quelque chose de très connu, sans compter que ce «drôle de nom quand même, ni occidental, ni oriental», peut très bien être algérien. S’il intrigue par son sens métaphorique implicite, on sent bien que Elias ouvre d’intéressantes perspectives : l’odyssée sera à l’évidence contemporaine, avec un héros des temps modernes et une mythologie/pédagogie qui, au moins, permet d’expliquer l’inconnu par le connu.
Naturellement, Ahmed Benzelikha joue avec les formes et les ressources du langage, une manière de rappeler que la littérature prend appui sur le réel. D’emblée, il a opté pour un récit court, de la dimension de la nouvelle longue qu’on appelle du terme italien «novella». Evidemment, l’exercice est difficile, car cela demande en réalité plus de temps qu’écrire long et avec des fioritures. Sans compter toute l’attention, la rigueur et la concision que cela exige. L’auteur s’est également attaché à varier le langage. Le style, ici, est orné de métaphores, de symboles, d’images, de représentations.
La poésie qui illumine le roman laisse parfois penser à un poème symphonique, c’est-à-dire une œuvre musicale à programme, sans forme fixe. Et puis, il s’agit bien d’un texte qui fonctionne sur deux registres : à la fois le réalisme et l’imaginaire. Dans le fantastique, surtout, l’auteur insuffle une vie métaphorique aux objets mêmes. D’un bout à l’autre du récit, Ahmed Benzelikha apporte un regard neuf sur les êtres et les choses les plus ordinaires, réussissant à leur communiquer par le mouvement, par le rêve et par une poésie imagée une seconde vie. C’est aussi pourquoi le roman se lit d’une traite.
Le prélude aux aventures d’Elias mais tout de suite le lecteur dans le ton de l’histoire qui va suivre. Le décor, l’ambiance et les motivations du personnage principal procurent les premières émotions qui préfigurent une odyssée mouvementée et au sens très profond. Tout le contraire d’une «harga» ou d’un voyage ordinaire.
De fait, tout démarre sous l’atmosphère d’un après-midi et d’un obélisque spleenétiques : «Le sommet de l’obélisque déchirait le ciel qui se couvrait. Maussade était l’après-midi, barbouillé de gris comme les mines fausses qu’affichent les âmes mauvaises des gens méchants. Dépassé, submergé, Elias était fatigué, il n’en pouvait plus.» L’obélisque est mis au premier plan pour servir de symbole et il n’est, du reste, qu’une interprétation moderne de ce thème de l’ancienne Egypte. En contrepoint, l’élévation du cœur et de l’esprit vers des horizons nouveaux, insoupçonnés : «Ce matin, Elias avait décidé de partir. Oui, partir, conjuguer ce verbe de tout son élan, tout abandonner et s’en aller, comme on se lève d’une chaise ou, miraculeusement, d’un fauteuil roulant. Sa décision était irrévocable et sans détour. Sans hésitation et sans retour, il devait le faire. Partir.» 
Elias est un homme dans la force de l’âge, «il devait partir, avant qu’il ne soit trop tard, avant que ce sentiment ne se double de la réalité, indiscutable, elle, de la maladie ou de la vieillesse. (...) Il voulait quitter la terre, qualifiée à tort de ferme et rejoindre la mer, la Méditerranée, sa mère, revenir à l’eau, à la matrice, aux vagues et à l’écume, à l’immensité, aux horizons bleutés et infinis, mais surtout à la liberté, aux possibles et à l’absence du possible en l’absence de l’impossible.» Courte histoire de la vie d’Elias et des évènements quotidiens, les êtres chers qui pourraient le retenir... L’auteur recourt aux allégories et aux paraboles, c’est-à-dire aux métaphores, pour illustrer un enseignement, des émotions et des motivations d’une manière imagée. «On n’est pas un homme tant qu’on n’a pas trouvé quelque chose pour quoi on accepterait de mourir», disait Sartre. Pour Elias, «il lui fallait une quête, un dessein, une Odyssée, pour pouvoir larguer les amarres, prendre le large, narguer les petitesses qui font la multitude, aller au plus loin, au plus haut, au plus beau, faire ses adieux en héros authentique, non en rat fuyant le navire». Petit à petit, l’auteur affûte la nature de cette émotion qui pousse Elias à agir comme il le fait.
Un sentiment unique et bien défini, nécessaire à la survie du héros. Ce dont Elias a le plus besoin à ce moment particulier de sa vie, c’est cette quête de la vérité. Cet élan émotionnel principal, nécessaire à sa survie, est l’expression de son désir de vivre. Une question de vie ou de mort. La quête de soi-même et de l’humain, de la simple dignité humaine même. Pour cela, Elias pourra compter sur la mémoire, cette présence du passé qui tire sa force des sentiments qu’elle mobilise.
La mémoire a en effet le pouvoir d’installer le souvenir dans l’affectif, voire le mythe et le sacré. Elle recèle, en plus, d’étonnantes richesses, dont la force de l’expérience et la restitution des représentations dominantes.
Dans cette odyssée des temps présents, la volonté humaine reste le catalyseur de l’action des personnages. Elias a décidé de partir pour croire à demain : «(...) pour croire mieux revenir et abattre tous les prétendants qui lui avaient volé son existence, sa Pénélope, pendant que celle-ci tissait ses illusions et défaisait ses rêves. Ainsi, pensait-il, il reviendrait en partant pour, enfin, se réaliser.» 
Elias et les prétendants (de Pénélope), une allégorie de l’Algérie d’aujourd’hui ? Dernier tour en ville, avant le départ. Il allait quitter la ville fantôme. Sans regret : «Cette ville, Stasis, avait été la sienne, elle n’était plus qu’une étrangère, livrée aux quatre vents, pleine de bruit, de poussière, de dégoût de soi, de tourments et de fantomatiques souvenirs virevoltants au gré des saisons.» Derrière le masque de la fiction, voire de la fable, le lecteur aura deviné des vérités très amères... Elias avait embarqué dans un vieux navire marchand portant un nom prophétique : «Le Moïse». Le commandant et son équipage étaient aussi pittoresques que le rafiot en partance pour la Grèce. C’est alors que, lors de la traversée, un nouveau personnage entre en scène : Mark IV, l’«un des plus dangereux, mais aussi des plus secrets pirates modernes et la hantise des services de sécurité et de renseignement à l’échelle internationale».
Ce pirate des temps modernes, «véritable génie de l’informatique et d’internet», capture Le Moïse. Puis il propose à Elias : «Nous allons jouer un jeu, je te laisse la vie sauve, mais je te jette seul dans une barque. Si les dieux veulent bien te sauver, ils le feront et feront peut-être de toi le héros que tu veux être et que j’avais crû que tu étais. Sinon la mer sera ta sépulture (...)»
Désormais seul dans l’immensité de la mer, Elias sombre dans le délire onirique. Il se rappelle sa quête du «Masque de Dieu», entamée une année auparavant. Le Masque sacré dont il avait retrouvé quelques traces du passage et appris l’histoire. Surtout, «l’étrange pouvoir du masque avait retenu son attention, non sans surprise, car il venait comme en écho à ses préoccupations existentielles». Il se voit ensuite au centre d’un tableau surréaliste, dans l’île de Gada, l’île de l’amour. Après l’attaque marine de Mark IV (le dieu Poséidon de «l’Odyssée» ?), et tout comme Ulysse emprisonné par la nymphe Calypso, Elias est pris dans la nasse de Gada... La délivrance arrive pourtant : il est recueilli par un chalutier grec.
D’autres aventures et d’autres périls attendent Elias. D’autres rencontres aussi, telle celle du vieil ermite. Arrivé au bout de son voyage, il décide de rentrer, cette fois convaincu que «‘‘Le Masque’’ n’était qu’un symbole, ‘‘le Masque’’ n’existait même pas, il n’y avait que le miroir de lui-même qui lui masquait la vérité. Pour être soi-même, il fallait s’oublier». Mark IV et son ami Morfal, eux, sont toujours à la recherche du «Masque sacré».
Le docteur Elliot Morfal «admirait beaucoup l’œuvre de Guénon ainsi que celle de Simone Adolphine Weil. C’est d’ailleurs cette philosophe particulière qui le poussa à s’intéresser à la Grèce et, au-delà, au monde méditerranéen comme berceau des croyances bibliques». Au bout de son périple purement initiatique, Elias sait désormais que «le Masque de Dieu n’existait pas matériellement et n’était qu’une allégorie de la connaissance, de l’universalité et de l’ouverture puisque chacun pouvait le porter, quel qu’il soit ou qu’elle soit et quelles que soient ses convictions».
La Méditerranée, ce «grand poème», n’est-elle pas l’espace idéal pour chanter une telle œuvre humaniste ? La fin du récit est surprenante, mais le lecteur a l’impression que le corps d’Elias est maintenant à sa place après la partie d’échecs qui se termine. Cette parabole offre une leçon inattendue qui donne longuement à penser, elle met aussi la dernière touche à l’harmonie d’une belle composition romanesque.
Hocine Tamou

Ahmed Benzelikha, Elias, Casbah Editions, Alger 2019,  90 pages, 500 DA.

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