Placeholder

Rubrique Culture

En librairie / AHMED BOUMENDJEL : AVOCAT, JOURNALISTE ET DIPLOMATE DE AMAR BELKHODJA L’homme d’action, l’intellectuel flamboyant

Aujourd’hui, grâce à l’effort méritoire et au talent d’historien de Amar Belkhodja, un autre grand homme retrouve la place qu’il mérite dans l’Histoire. Ahmed Boumendjel, enfin sauvé de l’oubli, brille de mille facettes dans ce premier livre qui lui est consacré.
Toute l’attention des lecteurs qui ont soif d’Histoire est ainsi retenue par les informations nouvelles sur un personnage qu’ils découvrent au fil des pages, des idées et des évènements. Ces éléments particuliers, cette mine d’informations parfois inédites ont été rendus possibles par la démarche objective, rationnelle d’un historien confirmé. Ahmed Boumendjel était un intellectuel et un homme d’action, un nationaliste et un patriote. Le livre de Amar Belkhodja vient justement rappeler aux mémoires frappées d’amnésie que le brillant avocat était l’une des grandes figures des élites nationalistes. Il savait allier la conscience patriotique, la passion, la fougue et l’intelligence. Des qualités qu’il avait mises au service d’une action multiforme, continue, tournée vers l’émancipation de son peuple et l’indépendance de son pays. Sa polyvalence des savoirs était remarquable dans les domaines du barreau, du journalisme, de la politique, des relations publiques et de la diplomatie. Dès son jeune âge, Ahmed Boumendjel avait épousé et servi une grande cause, digne de tous les sacrifices. Mais, qui s’en souvient ? Les jeunes générations savent-elles quelque chose sur un personnage si flamboyant ? Avec cet ouvrage de Amar Belkhodja, l’Histoire reprend naturellement ses droits, elle qui, en réalité, n’est jamais définitivement écrite. Et c’est tout à l’honneur de l’auteur, homme généreux et historien hardi, de réhabiliter (dans le sens de sortir de l’ombre) un homme d’une telle stature intellectuelle et morale. L’ouvrage a été surtout réalisé avec le sérieux, la rationalité et le sens pédagogique qu’exige le travail d’historien, travail basé avant tout sur les faits, les preuves et les arguments. Amar Belkhodja invite à découvrir un parcours exceptionnel, susceptible d’emporter l’imaginaire du lecteur. La une de couverture du livre attire tout de suite l’œil : une conception éditoriale à la fois sobre et belle, illuminée par la photo expressive, vivante, d’Ahmed Boumendjel. Au dos, en quatrième page de couverture, ce résumé lui aussi plein de promesses : «Avocat, journaliste et homme politique, Ahmed Boumendjel a été sur tous les fronts. Membre fondateur des Amis du manifeste et de la liberté (AML), compagnon de route de Ferhat Abbas, il publiait des articles afin d’expliquer la démarche du mouvement nationaliste pour s’affranchir du colonialisme. Pour lever un voile sur le parcours militant du frère de Ali Boumendjel, l’auteur a apporté des témoignages et rassemblé les écrits journalistiques de l’avocat parus dans Egalité et La République algérienne.» Juste avant le chapitre de présentation, Amar Belkhodja commence par mettre le lecteur dans l’ambiance du journalisme militant. Manière intelligente de cimenter l’histoire qui va suivre, et surtout de mettre en lumière le rôle et l’action des élites du mouvement nationaliste. «Depuis les premières publications du début du XXe siècle jusqu’à la veille du 1er Novembre 1954, le journalisme du combat politique et anticolonialiste était, en vérité, un journalisme militant », écrit l’auteur dans une première synthèse datée d’octobre 2011. Cette presse «tantôt légale, tantôt clandestine » va révéler «des plumes redoutables » qui constitueront une élite. Suit un deuxième article sur l’APS (Algérie presse service), synthèse intitulée «APS, une institution d’information dans une république en guerre» (7 août 2013). Après ce préambule original, l’auteur revient sur la genèse, les contraintes, les difficultés, la méthodologie, les arguments et l’intérêt de cette étude biographique (chapitre de présentation). Il y évoque les circonstances particulières qui ont fait germer l’idée puis la réalisation de l’ouvrage. «J’ai eu le bonheur de faire la connaissance, il y a quelque années, de Madame Fadhila Boumendjel, professeur en médecine (endocrinologie) et de son époux, Slimane Chitour, lui aussi professeur en médecine (traumatologie)», explique l’auteur. Un jour, «la fille du regretté Maître Ahmed Boumendjel dont le nom occupe une très large et très appréciable place dans le mouvement nationaliste» lui fit remarquer : «Monsieur Belkhodja, personne n’a écrit quoi que ce soit sur mon père. Décideriez- vous un jour à écrire un livre sur son parcours militant ?» En l’espèce, la noble tâche de l’historien se heurtait à un dilemme : répondre favorablement, quitte à livrer une simple ébauche de biographie, ou alors se faire une montagne et décliner poliment la proposition ? Une biographie est un travail de longue haleine, elle exige beaucoup de temps. L’auteur cite en exemple l’ouvrage consacré au frère cadet de ‘Ahmed Boumendjel : «Il a fallu une bonne dizaine d’années à Malika Rahal pour livrer un travail — aujourd’hui méritoire — sur Ali Boumendjel, une affaire française, une histoire algérienne (Ed. Barzakh, Alger, 2001).» La démarche a été alors «d’user d’un raccourci qui prendrait moins de temps qu’aurait exigé l’élaboration d’une véritable biographie, exhaustive, précise et instructive. Le projet fut ainsi conçu. Rassembler les écrits journalistiques de Maître Ahmed Boumendjel que l’on retrouve dans la collection d’Egalité et de La République algérienne. L’auteur a ainsi rassemblé une grande partie de ces articles dans l’un des chapitres du livre. Et comme le «raccourci» n’en est pas un, en réalité, il a réussi à reconstituer nombre d’aspects passionnants de la vie du personnage, de son parcours et du passé lui-même. Le tout s’inscrit dans une dynamique historique, sociale et politique particulière, dans le brainstorming des élites et dans des actions collectives dans lesquelles Ahmed Boumendjel se distingue par son travail personnel et ses qualités intrinsèques. Parmi la matière disponible (archives, documents, témoignages, livres d’histoire), l’auteur a pu tout de même saisir de quoi écrire une étude biographique agréable à lire, empreinte de vie et riche d’informations, de détails et d’anecdotes historiques. «Ahmed Boumendjel, né le 22 avril 1908 à Alger, est issu d’une famille originaire de Béni Yenni (Kabylie). Il est l’aîné de sept enfants dont le père est un instituteur qui a enseigné à Relizane de 1912 jusqu’à 1924. Ahmed Francis fut l’un de ses élèves. Ahmed Boumendjel fréquenta l’école ‘‘indigène’’ de Relizane où il obtient son CEPE en 1920. (...) Suivant les traces de son père, Ahmed Boumendjel est normalien à Alger et devient à son tour instituteur ; profession qu’il exerce pendant quatre années. En 1932, il va à la conquête de la ville de Louise Michel et s’inscrit à la faculté de droit. Une licence de droit en poche, Boumendjel est désormais prêt à exercer son nouveau métier d’avocat», écrit l’auteur. Pendant son séjour à Paris, il est très actif, que ce soit dans le domaine politique (la question nationale) ou dans le mouvement estudiantin. Ahmed Boumendjel adhère à l’ENA (Etoile nord-africaine), rencontre Messali Hadj qu’il défend en 1938 puis en 1941... «Ce qui lui permettra souvent de servir de pont entre celui-ci (Messali) et Ferhat Abbas. Il épouse Gilberte Charbonnier, professeur d’enseignement technique à l’école normale d’institutrices du boulevard des Batignolles à Paris, dont il a deux filles. En 1940, il devient conseiller municipal d’Alger et, seul, (...) se prononce contre l’abrogation du décret Crémieux. Très fin, réputé pour son sens de l’humour, du dialogue et de la répartie, pétri de culture parisienne, celui dont le nom signifie en arabe, l’homme à la faucille, le moissonneur, a toujours fait montre de sentiments nationalistes et indépendantistes profonds. A partir du Manifeste, il lie son sort à Ferhat Abbas. Ahmed Boumendjel dirige avec lui les AML, en 1944-45. Son affabilité, sa rondeur, son intelligence, qu’il dissimule sous une forte corpulence, lui permettent de jouer auprès de Ferhat Abbas, dont il est proche jusqu’à l’indépendance, au moins, un rôle très important» (Benjamin Stora et Zakya Daoud, Ferhat Abbas, une autre Algérie, Casbah Editions, Alger, 1995 ; cités par l’auteur). «Ahmed Boumendjel empoche sa licence en droit, achève sa mission dans le mouvement estudiantin et le courant étoiliste, rentre à Alger en 1938 et y ouvre son cabinet. (...) Au plan politique, il se détache du courant messaliste au sein duquel il a milité quand il se trouvait à Paris, pour se rapprocher, cette fois-ci, d’un personnage qui a le vent en poupe à l’époque : Ferhat Abbas. (...) Maître Ahmed Boumendjel est évoqué comme l’un des initiateurs et cofondateurs des AML, les Amis du manifeste et de la liberté. (...) Une fois à Alger, Boumendjel rejoint à grandes enjambées quelques aînés qui l’avaient précédé de quelques années seulement dans le combat politique», écrit l’auteur. Au lendemain du débarquement américain en novembre 1942 en Algérie, «Ahmed Boumendjel déploie une activité particulière et s’inscrit dans l’action unitaire. J’estime qu’il était devenue le ‘’Abane Ramdane’’, par préfiguration, durant cette étape importante et si sensible dans l’histoire du pays», souligne Amar Belkhodja. Car le personnage «se distinguera comme un élément catalyseur, un médiateur qui agit pour faire la jonction entre les idées et les opinions des uns et des autres, depuis la Fédération des élus, jusqu’aux Oulémas, en passant par le PPA». Dans les chapitres suivants, l’auteur revient sur deux importants évènements politiques dans lesquels Maître Ahmed Boumendjel a joué un rôle capital. Le premier est la plate-forme politique baptisée «Le Manifeste» et rédigée en février 1943, dont le contenu est défendu par les AML (Amis du manifeste et de la liberté), rassemblement fondé en mars 1944 et qui constitue le deuxième évènement. Mais l’Histoire n’est jamais un roman et, tout en évoquant d’autres jalons du parcours de son personnage central, Amar Belkhodja reconstruit sa vision du passé en apportant un éclairage nouveau. Notamment sur la genèse du «Manifeste », l’absence des communistes, les idées forces du document, la rupture avec l’assimilation, le noyautage des AML par les éléments du PPA, les massacres de mai-juin 1945, la fondation de l’UDMA (Union démocratique du manifeste algérien) par Ferhat Abbas en octobre 1946 et dont Ahmed Boumendjel est le secrétaire général, la base militante de l’UDMA, sa vie politique, l’échec de l’électoralisme, la fraude électorale, etc. L’étude biographique continue de révéler un parcours en perspective éclatée, en osmose avec le dynamisme de la réalité historique. Ahmed Boumendjel est de tous les meetings de l’UDMA ; il est l’initiateur de propositions de résolution et de propositions de loi (il avait été élu au Conseil de la République, comme sénateur ; seulement, «devenir un ‘‘indigène de service’’ de haut rang, avec les honneurs et les privilèges», il n’en était pas question pour lui) ; il «comptait parmi les premiers cadres du mouvement nationaliste (...) qui rallièrent le FLN. («C’est lui aussi, dit-on, qui a convaincu Ferhat Abbas et Ahmed Francis sur l’inéluctabilité du ralliement au FLN»). Au FLN, il «assumera différentes fonctions et différentes missions dont les plus importantes furent certainement l’information et la diplomatie». Rencontre avec le leader tunisien Habib Bourguiba en août 1956. En juin 1957, il est sollicité pour «des contacts avec des personnalités françaises pour d’éventuelles négociations avec le FLN». Quand Ahmed Boumendjel «rejoint Tunis en 1957, après avoir été membre du comité fédéral du FLN de France, il est affecté au département de presse et d’information à la tête duquel on retrouve Ferhat Abbas (...). Boumendjel deviendra par conséquent l’un des porte-parole du FLN et remplit cette fonction à différentes étapes et missions des délégations à l’étranger, avant d’être désigné membre du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA).» Nouveaux éclairages et informations de première main se succèdent : la genèse du réseau Jeanson («c’est Ahmed Boumendjel qui conduit Jeanson dans son premier rendez-vous avec Omar Boudaoud, nouveau responsable de la Fédération FLN de France, désigné à ce poste le 10 juin 1957») et le rôle joué par l’UDMA et par Ahmed Boumendjel en particulier ; la «bataille d’Alger» et ce qu’elle est en réalité ; l’assassinat de Maître Ali Boumendjel ; les précisions qui s’imposent à propos de la grève des étudiants du 19 mai 1956, puis de la «bleuïtes» (et des «désaccords (...) que nous découvrons chez Maître Ahmed Boumendjel») ; la «troisième force» et les supplétifs (harkis) ; les trois «Diên-Biên-Phu» qu’avait connus l’armée française en Algérie... Amar Belkhodja revient évidemment sur «Ahmed Boumendjel, le diplomate» : «Que ce soit avec Pompidou à Lucerne, en février 1960, ou pendant la première manche des négociations officielles d’Evian, en mai 1961, Ahmed Boumendjel, porte-parole le plus en vue du FLN et du GPRA, défend sans ambiguïté le principe de la souveraineté algérienne sur le Sahara». L’auteur souligne que «Ahmed Boumendjel est un nom que nous allons retrouver dans presque tous les contacts secrets ou officiels avec les délégués français». Il évoque certaines de ces rencontres (dont celle de Melun en juin 1960 ; celles de Lucerne du 20 février 1961, et Neuchâtel le 5 mars 1961). En septembre 1960, Ahmed Boumendjel fait partie de la délégation du GPRA à l’ONU, présidée par Krim Belkacem. Il est membre de la délégation aux négociations d’Evian, conduite par Krim Belkacem (Ahmed Boumendjel est directeur des affaires politiques au ministère de l’Information). C’est lui qui «représenta le GPRA au premier congrès des peuples africains tenu à Accra fin 1958». Il fait partie de la délégation reçue officiellement à Moscou puis à Pékin en septembre-octobre 1960... «Au lendemain de l’indépendance, Ahmed Boumendjel est nommé ministre des Travaux publics sous le gouvernement Ben Bella auquel il s’était allié, avec Ferhat Abbas, lors de la crise de l’été 1962. En 1964, il quitte le département des Travaux publics. Ainsi s’achève une longue carrière politique au service de son pays...» Ahmed Boumendjel est décédé le 19 novembre 1982. Il repose au cimetière de Sidi M’hamed à Alger. Amar Belkhodja a enrichi cet ouvrage remarquable par les articles d’Ahmed Boumendjel (un chapitre entier leur est consacré, comme déjà signalé) et par ceux de Gilberte Charbonnier (également un chapitre). Les écrits de celle qui a vécu à Alger, depuis l’indépendance sont absolument à découvrir. Pour mémoire, l’épouse de Maître Ahmed Boumendjel avait pris la nationalité algérienne en 1985 et se prénommait Saâdia. Elle est morte le 12 octobre 2002 et repose aux côtés de son mari. Un album-photos complète cette œuvre biographique qui donne vraiment l’impression d’une étude achevée.
Hocine Tamou
Amar Belkhodja, Ahmed Boumendjel : avocat, journaliste et diplomate,
Anep Editions, Alger 2017, 370 pages.

 

Placeholder

Multimédia

Plus

Les + populaires de la semaine

(*) Période 7 derniers jours

  1. Coupe du monde de gymnastique L'Algérienne Kaylia Nemour s'offre l'or à Doha

  2. Affaire USM Alger - RS Berkane La décision de la CAF tombe !

  3. Demi-finale aller de la Coupe de la CAF Le match USM Alger - RS Berkane compromis, Lekdjaâ principal instigateur

  4. Le stade Hocine-Aït-Ahmed de Tizi-Ouzou pourrait abriter le rendez-vous La finale se jouera le 4 mai

  5. Coupe de la CAF, le match USMA-RS Berkane ne s’est pas joué Les Usmistes n’ont pas cédé au chantage

  6. Temps d’arrêt Lekdjaâ, la provocation de trop !

Placeholder