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Rubrique Culture

ALGÉRIE, 2000 ANS D’HISTOIRE DE KHALFA MAMERI Réfléchir sur le temps long pour comprendre les enjeux du présent

Saisir le temps long pour mieux comprendre «les trois causes essentielles qui ont rendu possibles les colonisations de l’Algérie». En privilégiant une approche didactique, Khalfa Mameri permet aux lecteurs de réviser agréablement, tout en s’instruisant, une histoire vieille de 2000 ans.
L’auteur donne la primeur au déroulement chronologique, avec des repères simples et précis (évènements, dates, grandes figures...) qui apportent aux lecteurs des connaissances et enrichissent leur culture. «Qui veut gravir une montagne commence par le bas», disait Confucius. L’avantage de cette forme d’écriture de l’histoire, c’est de construire un rapport au temps et à l’altérité dans le passé comme dans le présent, ce qui conduit à une réflexion sur le temps long, sur ses continuités, ses ruptures. Khalfa Mameri donne une grille de lecture de l’Algérie à travers des repères historiques (c’est-à-dire des périodes et des évènements) jugés très importants, car ayant entraîné de grands changements dans la vie des hommes et laissé des traces profondes dans la mémoire et dans le patrimoine. Des repères auxquels il donne aussi du sens en tentant de comprendre pourquoi ils ont tant d’importance dans cette histoire de 2000 ans. Une chronologie structurée en une dizaine de chapitres pour faciliter la lecture, et qui «n’a d’autre but que de donner une photographie aussi précise que possible du long parcours historique si accidenté de l’Algérie actuelle» (introduction). Dans le texte de présentation, l’auteur explique pourquoi, justement, il ne faut pas «laisser notre passé et notre présent en friche». Le constat est, en effet, terrible : s’agissant de «l’histoire  lointaine de notre pays, les auteurs algériens (...) sont peu nombreux, voire inexistants sur certaines périodes ou, encore plus, sur nos illustres ancêtres».
Les enjeux, eux, sont énormes : «Si dépourvus que nous soyons en matière de documentation ou de matériaux culturels sur des périodes aussi lointaines, nous résigner à ne rien faire c’est accepter l’état de pauvreté auquel on se heurte à chaque entreprise du genre, mais c’est surtout perpétuer une conduite, un comportement qui auront et qui ont déjà d’énormes et graves conséquences sur nos vies et plus encore sur celles des générations à venir.» 
Le plus dramatique, c’est que la méconnaissance du passé tend au syndrome. «Ce qui est vrai de nos illustres ancêtres (...), donc absence totale de livres, critiques ou non, sur eux et leur gestion, se répète et se poursuit sur les dirigeants récents du pays. Dans quelques décennies, voire déjà aujourd’hui, notre passé récent, depuis 1962 va nous échapper ou nous échappe déjà. Il est inconnu à la plupart des Algériens sinon à tous en dehors des approximations toujours hasardeuses».
Il y a, bien sûr, «certaines causes qui expliquent les défaillances lointaines et présentes d’une prise en charge de notre patrimoine culturel», dont l’interdiction faite aux auteurs algériens de faire connaître le passé. «Les pouvoirs officiels de l’Algérie indépendante ne sont pas seuls à faire preuve d’un esprit sectaire ou arbitraire», ils sont relayés par des «historiens» organiques et des «intellectuels» zélés. Citant le grand historien Fernand Braudel («l’histoire est l’ingrédient sans quoi aucune conscience nationale n’est viable. Et sans cette conscience, il ne peut y avoir de culture originale, de vraie civilisation. (...) Une civilisation est toujours un passé, un certain passé vivant»), Khalfa Mameri invite les lecteurs à mieux connaître leur passé, à voir plus clair pour se projeter dans le futur.
Pour acquérir une certaine maîtrise de localisations fondamentales (les repères chronologiques d’histoire) sans lesquelles l’étude de la connaissance de son passé et de soi n’aurait pas de sens, l’ouvrage propose un paradigme en deux axes ou, pour reprendre les termes de l’auteur, «deux questions assez explosives». Il souligne, à ce propos : «Il n’y a rien de mieux que des dates, des chiffres, des faits et des acteurs incontestables ; donc une chronologie dépouillée de tout développement interprétatif pour dire avec assurance et sans esprit polémique deux choses primordiales : 1- Qui est le peuple algérien ? 2- D’où vient-il ?» Les 2000 ans d’histoire (de 264 avant J.-C. à 1962) sont alors restitués dans leurs différentes phases et séquences (huit chapitres en tout). Il en ressort, pour l’essentiel, que, «à la différence de son peuple qui est d’un seul bloc (...), en ce sens qu’il a peu changé ethniquement depuis les origines des temps, malgré des apports extérieurs si faibles qu’ils restent statistiquement insignifiants, la formation du territoire actuel de l’Algérie (...) ne s’est pas faite uniment d’un seul tenant, en une seule fois mais par des variations fréquentes ; allant du morcellement extrême à des tentatives d’expansion et d’unification, vite éclatées en entités disparates».
La formation du territoire (sur 2000 ans) est d’ailleurs bien illustrée par les cartes de géographie intégrées en annexes. 
Dans le chapitre suivant, l’auteur détaille un peu plus «l’absence des données historiques et la question des sources», notamment en ce qui concerne l’Algérie de l’Antiquité (l’ancienne Numidie). «Il est clair par conséquent que, faute de recherches hautement spécialisées en archéologie, en numismatique et en bien d’autres disciplines en cours d’élaboration ou à venir, il est peu probable que nous puissions lever le voile sur une période de trois siècles environ avant l’ère chrétienne qui est si importante à connaître pour l’Algérie», écrit Khalfa Mameri. Quelles sont alors les principales sources qui l’ont aidé à confectionner sa chronologie ? «Je n’ai pas trouvé de meilleurs livres que ceux de Charles André Julien et du collectif d’auteurs : Yves Lacoste, André Nouschi et André Prenant», précise l’auteur tout en expliquant son choix (auquel il ajoute la Muqadima d’Ibn Khaldoun).
Première séquence de la chronologie : «La Numidie : était-ce l’âge d’or de l’Algérie ?» (titre du troisième chapitre). Bref rappel sur «les trois fils les plus célèbres de la terre qui a vu naître au fil des siècles et des épreuves l’Algérie actuelle. Il s’agit, dans l’ordre des naissances, des rois (Aguellids) Massinissa et Jugurtha, et du génial penseur saint Augustin».
Le premier repère chronologique est précédé d’une date importante. En 814-813 av. J.-C., les Phéniciens de Tyr fondèrent Carthage : «Seule date pour faire rentrer la Berbérie dans l’Histoire. Carthage a en effet «joué dans l’Histoire de l’Afrique du Nord un rôle immense», selon Charles André Julien». Autre repère avant le début de la chronologie, «la fondation de deux royaumes berbères dans le territoire de l’Algérie actuelle (IIIe siècle avant J.-C.) : A l’Ouest, celui des Massaesyles qui allait de la Moulaya (rivière du Maroc actuel) jusqu’au Rummel dit Ampsaga à l’époque, qui symbolise les précipices rocheux de Constantine connue alors sous le nom de Cirta. Syphax était son roi (Aguellid) le plus connu. A l’Est celui des Massyles limité par les occupations mouvantes des Carthaginois. Son roi le plus prestigieux était Massinissa». Les évènements majeurs et les grandes figures de l’histoire de la Numidie sont restitués en quelques pages, y compris ceux qui concernent  la période suivante de «la colonisation romaine». De 108 av. J.-C. à 429 ap. J.-C., «la Numidie, appelée Berbérie désormais, devient colonie romaine. Pour autant la colonisation n’a jamais été acceptée par les populations qui se révoltent à plusieurs reprises». Quelques grands repères temporels sont ensuite consacrés à «l’intermède vandale et byzantin» (titre de chapitre) qui durera de 435 à 565.
Dans le chapitre suivant («La colonisation arabe de l’Algérie : 700-750), l’auteur souligne n’avoir «d’autres ressources que d’offrir (...) quelques dates, quelques faits solidement établis, pour que le lecteur algérien puisse, en son âme et conscience, se faire une opinion». Pour sa part, il commence par donner sa propre opinion en choisissant le langage de «la vérité». Arguments à l’appui, il explique pourquoi et comment la conquête arabe s’apparente plutôt à une colonisation. «Il faut bien admettre comme l’ont fait tous les historiens de renom, y compris arabes, que l’Algérie (...) fut de loin, le pays le plus difficile à conquérir et à soumettre. Qu’il ait fallu selon tous les auteurs quelque 6 000 cavaliers venus d’Égypte ; ce qui est énorme pour une population estimée entre 4 et 5 millions d’habitants et près de 40 années pour venir à bout de la résistance des Berbères (Algériens), prouvent bien l’âpreté et la férocité des batailles», note-t-il en substance. Dernier repère chronologique de cette séquence historique : «Juin 758. Abderrahmane Ibn Rostem, perse d’origine et Kharejite devient gouverneur de Kairaouan.» 
Les royaumes berbères du Maghreb central (761-1516) représentent, eux, une «période charnière de notre histoire qui commence à partir du reflux arabe vers 750 et qui se termine avec l’appel aux ‘’protecteurs turcs’’ en 1516, soit quelque 8 siècles.» La chronologie pour cette période est précédée de quelques remarques : la première est que, «dirigés par des étrangers ou vassaux des états étrangers, les royaumes berbères du Maghreb central ne semblent pas avoir eu la latitude de devenir des états totalement indépendants ; la deuxième remarque tient à ‘’l’extrême morcellement du Maghreb central’’ et à ‘’la faible superficie des royaumes qui y ont été édifiés’’. Cela a notamment pour conséquences «des empiétements ou incursions répétées et prolongées des deux royaumes du Maroc et de la Tunisie actuels sur l’Algérie de l’époque». Les attaques espagnoles, elles, vont se multiplier à partir de 1505.
Une période de trois siècles (celle de l’occupation turque) succède à la longue séquence précédente. L’auteur s’interroge tout d’abord : «Comment caractériser l’occupation turque de l’Algérie pendant plus de trois siècles (1516-1830) ? Est-ce une colonisation militaire ? Non. Est-ce une colonisation de peuplement ? Non. Est-ce un protectorat ? Pas davantage. L’Algérie ou plutôt la cité-état indépendante d’Alger, menacée par l’Espagne, est contrainte d’appeler à l’aide les frères Barberousse (pirates ou corsaires) lesquels se tournent vers la Turquie en 1518». Ici encore, la chronologie est précédée d’une courte analyse d’où il ressort que cette période s’est traduite par «une privatisation ou féodalisation de l’Algérie ; une ‘’dépatriotisation’’ ou une déresponsabilisation de son peuple». Alors que les colonisations romaine et française ont produit des héros et des résistants, sous les Turcs «notre histoire n’a retenu aucun nom, aucun héros, aucun résistant». Résultat, les Algériens «conditionnés par trois siècles de désarmement moral (...) mettront du temps, un temps très précieux, pour se rassembler par moments et par endroits autour de l’émir Abdelkader qui, à 24 ans, s’est improvisé comme chef de la résistance».
Dans la chronologie des événements et des dates, on peut lire, par exemple, que l’Odjaq, l’organisation à base militaire (les janissaires) «imprima au gouvernement de l’Algérie une orientation qui fit de ce pays le bien de la caste dirigeante qu’elle devint peu à peu» (Lacoste, Nouschi et Prenant). On peut lire aussi, entre autres : «1622-1655 et 1672 : les navires de guerre anglais ont usé des bombardements pour imposer leurs intérêts... 1661-1665-1683 : bombardements d’Alger par des escadres de guerre françaises (...) 1815 : Les états-Unis ont usé à leur tour de la diplomatie du canon contre Alger pour prévenir ou écarter toute atteinte à leurs intérêts. 1806-1816 : l’Angleterre exerce un monopole commercial sur l’Algérie (...).1826 : William Shaler, consul américain à Alger préconisait la colonisation de l’Algérie par l’Angleterre dans un ouvrage intitulé Esquisse de l’Etat d’Alger. 1827 : la flotte de guerre algérienne avait été anéantie à Navarin, port de Grèce où elle avait été engagée avec les flottes turque et égyptienne contre les marines d’Angleterre, de France et de Russie unifiées aux côtés de la Grèce pour son indépendance de la Turquie».
Les deux derniers chapitres sont consacrés à «la colonisation française 1830-1962» et à «la guerre d’indépendance». Ces deux chapitres sont les plus riches en repères chronologiques, en courts récits des événements auxquels l’auteur donne du sens tout en invitant à la réflexion. A elle seule, cette chronologie depuis 1830 prend la moitié de l’ouvrage. 
La conclusion («Consolider l’Etat : l’impératif historique») coule alors de source, pour Khalfa Mameri. Il écrit : «(...) J’aimerais tellement que ma modeste chronologie puisse ouvrir les yeux de la conscience sur les graves et irréparables défaillances de la plupart de nos ancêtres à l’exclusion bien entendu de la génération de Novembre 1954 et du congrès de la Soummam (...). Nous, Algériens, avons longtemps refusé de prendre en charge notre passé niant parfois cette longue succession quasi ininterrompue d’invasions, de dominations et de colonisations depuis au moins l’époque romaine. (...) Je dirai simplement que pour moi les trois causes essentielles qui ont rendu possibles les colonisations de l’Algérie chassée de l’histoire en tant que Nation ou Etat fort, se ramènent toujours, tel que le suggère ou le montre la chronologie, d’abord aux divisions au sein des populations du pays, ensuite à une absence ou faible conscience nationale de ses élites du moment, et, enfin, aux trahisons au sein des dirigeants qui sont pour la plupart des étrangers au sol et à la terre qui façonnent les âmes». Pour l’auteur, «ce qui est appelé l’Algérie depuis 1831 (cf repère ‘‘1er et 6 décembre 1831 : le nom Algérie apparaît pour la première fois (...)’’ est assise à la fois sur un territoire délimité, unifié, aux frontières admises et une population de 40 millions d’habitants qui se disent Algériens». Il reste à consolider cet Etat par «trois réalisations permanentes : 1. L’Etat de droit. 2. La justice sociale. 3. La démocratie.»
Hocine Tamou

Khalfa Mameri, Algérie, 2000 ans d’histoire. Chronologie de 264 à 1962, éditions El-Amel, Tizi-Ouzou 2018, 178 pages, 550 DA.

 

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