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Rubrique Ici mieux que là-bas

LA DENT DE PATRICE LUMUMBA

SIFFLETS. - Franchement, c’est pas top, ces petits hurluberlus qui ont sifflé aux JM d’Oran l’équipe de France. Quoi que l’on dise et quelles que soient nos relations avec Paris, la guerre est finie depuis longtemps, le pays est indépendant, malgré tout, et ce n’est pas très conforme à notre sens de l’hospitalité légendaire de siffler nos invités. J’entends d’ici certains qui vont objecter que c’est l’ancien colonisateur, que Fafa ne nous veut pas de bien, qu’ils n’ont qu’à nous octroyer davantage de visas, etc. Ce à quoi il convient de répondre que, si le combat contre le colonialisme et contre le néocolonialisme est noble, il ne se mène pas en sifflant des sportifs en compétition. En l’occurrence, il se mène dans l’indépendance par rapport à la sphère d’influence française, dans la dignité, surtout de nos dirigeants à ne pas courir après les visas pour leur progéniture et pour eux-mêmes, à ne pas se faire soigner chez Fafa au détriment de notre propre système de santé. Et la liste est encore longue de ces mini-fronts qui construisent la grande cause de la résistance anti-néocoloniale.
GONZALES. - A la décharge de nos jeunes siffleurs, la pilule de l’indépendance de l’Algérie n’est toujours pas passée en France, dans les milieux du révisionnisme. Ainsi de José Gonzales, député du Rassemblement National, le parti lepéniste. Coup de griffe dans le pacte républicain, il a été élu faute de renvoi d’ascenseur de l’alliance macroniste à la Nupes qui avait appelé à faire barrage à Marine Le Pen. En sa qualité de doyen de l’Assemblée – il est né en 1943 à Oran – , il lui appartenait d’ouvrir la session. Surprise ! Il tient un discours à relents révisionnistes sur l’Algérie de Papa. Plus grande surprise encore ! Il est applaudi par une partie des députés. Si l’extrême droite est sensible aux trémolos nostalgisants du député qui eut des responsabilités au Front National lorsque ce parti était sous la coupe du parachutiste Jean-Marie Le Pen, la gauche et une partie de la droite républicaine considèrent, elles, comme une déchéance la tenue d’un tel discours et les applaudissements de l’Assemblée censée représenter le peuple français. Qu’un tel discours résonne dans les murs de l’institution est le fruit d’un processus de dégradation des digues républicaines dénoncée de longue date par des historiens comme Alain Ruscio (1) qui mettent en garde contre la montée concomitante de l’extrême droite et du révisionnisme.
EXCUSES. -Sans être un adepte forcené des excuses et autres repentances, il est tout de même étonnant de constater que de tels propos qui font du bourreau colonisateur une victime, puissent se tenir sans complexe et même sans retenue dans un tel lieu. Faut-il rappeler au sieur Gonzalès qui s’est autorisé à avoir une attitude de neutralité vis-à-vis de l’OAS dont il se dit ignorer si elle était criminelle ou pas, qu’elle avait entrepris une tentative d’assassinat sur la personne du général de Gaulle. Autre étonnement : le silence du gouvernement.
LUMUMBA.- Les Belges auraient-ils davantage de courage politique et d’aptitude autocritique à l’égard de leur passé colonial ? Le 17 janvier 1961, le leader et Premier ministre du Congo-Léopoldville, ancienne colonie belge et actuelle RDC, était assassiné par un complot associant des grandes puissances du moment hostiles aux indépendances africaines, avec la complicité de leaders locaux qui leur étaient stipendiés dont les célèbres Mobutu et Tshombé. La Belgique, puissance coloniale, ne peut pas ne pas avoir trempé dans l’élimination d’un leader qui avait humilié le roi des Belges. Démembré, le corps de Lumumba avait été dissous dans l’acide. Seule reste une dent longtemps conservée en guise de trophée par un policier belge ayant participé à la destruction du corps. En 2000-2001, une commission d’enquête parlementaire belge avait conclu à la responsabilité morale du pays dans l’assassinat du leader congolais.
Et voilà que le 21 juin 2022, 61 ans après l’assassinat, la Belgique rend à la RDC la dépouille de Patrice Lumumba qui se réduit à une dent. A cette occasion, le Premier ministre belge, Alexander de Croo, a tenu des propos que probablement jamais l’on n’entendra dans la bouche d’un homme d’Etat français : « (…) le régime colonial comme tel était basé sur l’exploitation et la domination. Ce régime était celui d’une relation inégale, en soi injustifiable, marquée par le paternalisme, les discriminations et le racisme. Il a donné lieu à des exactions et des humiliations (…) Comme l’esclavage, le système colonial est un système pernicieux en soi, un système et un modèle qui ternit honteusement l’histoire de notre pays. Il faudra l’admettre sans détour si on veut vivre une relation sincère et vraie avec les pays que nous avons occupés (…) Le gouvernement belge dénonce la colonisation en tant que système de gouvernance et idéologie. »
5 JUILLET. – La diaspora célèbre aujourd’hui dimanche l’Indépendance par une marche à Paris. Une marche populaire. L’émigration qui a joué un rôle capital dans la libération du pays a bien entendu le droit de commémorer le 5 juillet. Que des voix s’élèvent contre le fait que des Algériens fêtent en France leur indépendance du colonialisme français, ça s’entend. Mais en Algérie ?
A. M.
(1) Notamment dans des ouvrages comme « Nostalgérie, l’interminable histoire de l’OAS » La Découverte 2015.

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