Comment le conflit opposant l’Egypte
aux Frères musulmans, l’Égypte et l’Arabie Saoudite au Qatar, lui-même
allié à la Turquie contre les deux autres, s’est invité dans la crise
des «Gilets jaunes». D’abord, et comme le veut la tradition désormais
ancrée aux caméras de la chaîne qatarie, c’est Al-Jazeera qui a allumé
la première flammèche avec ce titre «Printemps parisien». Ce qui n’était
pas très juste, au vu de la saison et des objectifs assignés au premier
«Printemps arabe», qui devait générer d’autres, contre tous les régimes
arabes, à l’exception de celui du Qatar. Al-Jazeera, l’arme médiatique
et fatale, a d’abord fait ses preuves et acquis ses galons en soutenant
et en entretenant le «Printemps» de Tunisie qui a conduit à la chute de
Ben Ali. Lors de ces évènements de Tunisie, ses journalistes en studios
et ses envoyés spéciaux n’ont rien caché des préférences de la chaîne et
de ses choix pour l’avenir de la Tunisie. Dans la foulée, et toujours
aussi peu soucieuse du respect des saisons, Al-Jazeera a déplacé son
armada printanière dans l’hiver égyptien, d’où a émergé la glaciation
islamiste. Les résultats n’ont pas été à la mesure de l’investissement,
et le pouvoir des Frères musulmans est tombé, à son tour, victime d’un
raz-de-marée populaire qui l’a emporté en plein été. C’est ainsi
qu’après deux échecs en Libye et quelques pétards mouillés ici et là,
sanctionné par un séjour au placard, le «Printemps» a fait sa
réapparition sur Al-Jazeera, en version française. Du coup, et sachant
que la présence de l’organisation des Frères musulmans est de plus en
plus pesante en France, des commentateurs ont cru voir la main islamiste
derrière les «Gilets jaunes». Puisque la chaîne du Qatar Al-Jazera voit
du printemps sur les Champs-Elysées, pourquoi ne pas dénoncer aussi
l’implication des Frères musulmans dans les manifestations ? C’est ainsi
que des journaux égyptiens se sont engouffrés dans cette brèche ouverte
et se sont empressés d’accuser les Frères musulmans d’être derrière les
actes de violence. Les deux grands quotidiens du moment, Al- Ahram et
Al-Masri Alyoum, ont étayé leur affirmation avec le témoignage d’anciens
militants de l’organisation intégriste, Mohamed Habib et Nabil Naïm. Ils
ont rappelé les méthodes utilisées par les Frères musulmans lors des
manifestations insurrectionnelles du Caire qui ont suivi l’éviction du
Président intégriste Mohamed Morsi. Les «frères» défroqués ont évoqué la
tactique de harcèlement et les actes de violence commis en France, qui
sont d’inspiration islamiste, selon eux, tout comme le slogan «Macron
dégage !». Les uns et les autres ont-ils perdu une bonne occasion de se
taire et d’oser des comparaisons hasardeuses, même sachant qu’il n’y a
pas de fumée sans feu et que la France est pourvue en combustibles ?
Toujours est-il qu’un autre repenti, Français celui-là et d’origine
marocaine, a repris sur son blog les informations de la presse
égyptienne, sous le titre interrogateur mais éloquent «Intifada sur les
Champs-Élysées ?». Mohamed Louizi a connu une certaine notoriété en
publiant en 2016 «Comment j’ai quitté les Frères musulmans», un
livre-témoignage sur son passé islamiste. Sans le dire ouvertement, le
Franco-Marocain laisse entendre que les responsables des violences du 23
novembre dernier seraient des membres de l’organisation paramilitaire
des Frères musulmans. Mohamed Louizi insiste encore en appelant les
autorités françaises à répondre aux revendications des «Gilets jaunes»
et à agir contre les casseurs. «Autrement, dit-il, le sort de la France
ne sera guère différent des pays qui, sous couvert du «printemps »,
n’ont vu s’installer durablement chez eux qu’un terrible automne
islamiste agité, ses tempêtes et ses feuilles mortes». Pour mieux
apprécier les propos de cet ex-frère musulman, il faut noter qu’il n’a
pas très bonne presse dans les médias français, en raison de ses
positions anti-intégristes. Ceci expliquant cela, on comprend mieux
l’empressement de la presse égyptienne à impliquer le mouvement des
Frères musulmans dans toutes les actions de déstabilisation dans le
monde. Ainsi, l’un des chroniqueurs du journal Al- Masri Alyoum n’hésite
pas à montrer du doigt la Turquie, principal soutien et base arrière de
l’organisation islamiste, qui s’active afin de nuire à l’Égypte. Il cite
ainsi le cas récent de la conférence sur la Libye, à Palerme, où Erdogan
a envoyé une forte délégation, conduite par son vice-président, Fuat
Oktay, alors que la Turquie n’est pas partie prenante. Juste pour
contrarier l’Égypte, dont le Président a d’ailleurs refusé de s’asseoir
à la même table que la délégation turque qui a été invitée à quitter les
lieux. Le quotidien cite encore, au chapitre des menées
anti-égyptiennes, la visite du même vice-président, le mois dernier, au
Soudan voisin, dont on sait ce qu’il représente pour son voisin du Nord.
On serait tenté de ne pas prendre pour argent comptant ces affirmations,
ces théories qui incitent à penser au complotisme, s’il n’y avait pas
cette entrée en scène fracassante d’Erdogan sur le théâtre des
Champs-Elysées. Inaugurant cette semaine un des projets qui devraient
perpétuer sa gloire, le Président turc s’est pris de compassion pour les
«Gilets jaunes» français et a déploré la violence de la répression
policière. Erdogan, qui n’est plus si désireux de rejoindre la
Communauté européenne depuis qu’il a entrepris d’asseoir son pouvoir et
de perpétuer sa dynastie, a critiqué l’Europe démocratique. Cette Europe
qui ne serait pas si démocratique, selon lui, puisqu’elle a laissé se
créer des inégalités et des mouvements de protestation, comme ceux que
connaît la France. On frémirait presque de joie contenue à l’idée de ce
que pourrait apporter la Turquie d’Erdogan à l’Europe en matière de
démocratie, de libertés et de joie de vivre !
A. H.
A. H.