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Rubrique Le Soirmagazine

C’est ma vie Ammar, celui qui apaise les âmes

En rendant visite à son ami Saïd, Kamel voulait connaître son avis sur la conduite à tenir vis-à-vis de son  psychanalyste. Après l’avoir accueilli chaleureusement, bien installé dans un confortable fauteuil au salon et lui avoir servi un café bien chaud, son hôte attendit que son pote entame la conversation, et cela ne tarda pas trop longtemps.  
Mon psychologue est non seulement incompétent, mais aussi un rapace de la pire espèce. Je me demande si je ne dois pas porter plainte contre lui. Le coût des séances de thérapie est exorbitant, cela fait six ans qu’il me suit, sans aucun résultat probant sur l’état de mon moral et de mes insomnies. Quand je suis allongé sur son divan et que je lui raconte mes angoisses, j’ai l’impression qu’il ne m’écoute même pas et qu’il pense uniquement à la liste des courses que sa femme lui a remise dans la matinée.  Ces derniers temps, je le soupçonne de vouloir se débarrasser de moi. Il se montre de plus en plus froid et distant. Il n’aime pas les patients qui présentent des troubles trop complexes ; en revanche, il affectionne ceux qui viennent juste pour le renouvellement de leur ordonnance, qui payent et qui s’en vont sans qu’il ait à perdre son temps en faisant semblant de  s’intéresser à ce qu’ils racontent. 
- Tu vas te ruiner en frais de justice, sans aucun espoir de récupérer l’argent que tu as dépensé chez lui. Quel est le juge qui aurait le culot de mettre en doute les compétences d’un psy ?
- Et si je m’adresse à l’ordre des médecins afin qu’il soit radié ?                                                                                    
- Là aussi tu feras chou blanc ; ce qui se passe entre un psy et son patient est impossible à quantifier en termes de guérison.
- D’après toi, que dois-je faire ?
- Consulter un autre, c’est tout ce que je peux te conseiller ; un de mes collègues connaît un vieux monsieur que tout le monde appelle le psy des Oliviers, peut-être que tu devrais aller le voir.
- Il a des diplômes ?
- Juste celui d’infirmier, mais il a travaillé plus de trente ans dans un asile psychiatrique.
- Ça doit être un charlatan qui, après avoir trop fréquenté des malades mentaux, a lui-même perdu la boule et se prend pour quelqu'un d'autre ! Les personnes qui ont recours à lui et qui gobent ce qu’il leur raconte ne doivent pas être  instruites, donc très faciles à berner.
- Détrompe-toi, d’après les dires des gens, il est vraiment doué, tu ne perds rien en allant bavarder avec lui gratuitement ; la seule différence entre lui et ton psy, c’est la disparition du divan sur lequel tu as l’habitude de t’allonger.
- Je vais suivre ton conseil quoique je sois un peu sceptique quant aux talents de ce monsieur dont tu me vantes les capacités d’analyse psychiques de ses semblables.
Une semaine plus tard, le rendez-vous est pris avec le psy par l’intermédiaire du collègue de Saïd. La rencontre se déroula aux Oliviers, une petite colline boisée face à la mer, très prisée par les habitants de Bougie pour la quiétude qui y règne. Des bancs et des tables, parsemés entre des arbres centenaires, invitent les promeneurs à s’y asseoir. 
C’est le lieu où Amar reçoit les patients qui souffrent de problèmes psychologiques.  
Après les présentations, Kamel attaqua sans préambule.
- Pour être franc avec vous, je ne suis pas convaincu que vous puissiez faire mieux qu’un vrai psychologue qui a passé de très longues années à étudier à l’université et qui s’est montré impuissant devant mes tourments, et ce, après toutes ces années à essayer de comprendre ce qu’il se passe dans mon subconscient.
- Ne soyez pas défaitiste ; vous avez raison, je suis loin d’avoir les qualifications et diplômes du spécialiste qui vous a suivi, je ne suis qu’un modeste infirmier, c’est uniquement quelques-uns de mes amis qui m’ont attribué le surnom de psy des Oliviers qui s’est propagé et fait le tour de la ville, mais je peux vous garantir que je ne suis pas un ignare dans le domaine de la psychologie. Mon savoir, je l’ai acquis à la bonne école, en côtoyant pendant plus de trois décennies au sein d’un hôpital psychiatrique des femmes et des hommes qui, à un certain moment de leur vie, ont décidé de s’isoler de nous pour aller vivre dans un monde parallèle où ils se sentent plus en sécurité. Il m’est arrivé de constater que ces personnes, que tout le monde considérait comme des aliénées, soient mille fois plus intelligentes que celles qui se moquent d’eux et les harcèlent pour amuser des badauds qui se considèrent comme normaux.
 - Je ne suis pas encore arrivé au stade de porter un entonnoir sur la tête en guise de chapeau pour me donner en spectacle.
- Je n’en doute pas. Pour que je puisse vous conseiller, il faudrait que vous ayez une totale confiance en moi et que vous me racontiez tous vos conflits internes qui vous rendent la vie insupportable ; avec moi, aucune prescription médicale, tout ce que je peux vous promettre c’est de vous écouter, d’essayer de vous comprendre et, si possible, de vous guider à l’aide de conseils que vous êtes libre de suivre ou d’ignorer.  
- Cela m’inquiète un peu... Qui me dit que vous allez garder pour vous mes confessions intimes? Contrairement à un vrai thérapeute, vous n’êtes pas tenu par le secret médical.
- Renseignez-vous auprès des personnes que j’ai déjà aidées à remonter la pente avant de vous fier à moi.
C’est ce que fit Kamel auprès du collègue de son ami Saïd, ce dernier le rassura en lui confirmant que Amar peut être comparé à une tombe.
- Impossible de lui arracher une seule syllabe ou le moindre petit secret sur les nombreuses personnes qu’il a su accompagner et qui, aujourd’hui, se portent mieux.
C’est donc en étant complètement rassuré que Kamel est retourné voir l’ex-infirmier de l’asile psychiatrique au même endroit que la première fois. La conversation débuta par les confessions, en rafale, du déprimé.
- Je broie du noir à longueur de journée et, le soir, impossible de fermer l’œil si je ne prends pas  de somnifères. Mes nuits sont peuplées de cauchemars. Je suis devenu parano, mon associé est toujours jovial avec moi, mais je le soupçonne d’être un hypocrite qui ne cherche qu’à m’évincer de notre entreprise d’installations électriques industrielles qui nous permet de vivre dans une totale aisance. Je crois que Yamina, mon épouse, s’est rendu compte que je ne lui suis plus fidèle et qu’elle cherche des preuves compromettantes pour demander le divorce en sa faveur. J’ai aussi des doutes sur la sincérité des sentiments qu’éprouve pour moi ma secrétaire, et ce, malgré les mots d’amour dont elle ne cesse de m’abreuver.
Il allait continuer sa longue litanie quand Amar l’interrompit. 
- Quel âge a votre collaboratrice ?
- Vingt-cinq ans ; il y a trois mois, je lui ai offert une petite voiture pour son anniversaire. 
- D’après la couleur poivre et sel de votre chevelure, vous deviez avoir déjà franchi le cap de la cinquantaine. Pourquoi croyez-vous qu’elle n’est pas franche avec vous ?
- À cause du terrifiant reflet que me renvoie le miroir de la salle de bain à chaque fois que je prends une douche, aux rides sillonnant mon visage, à mes joues flasques, aux peu de cheveux qui me restent sur le crâne, ma tête commence à ressembler à une boule de billard, à mon ventre bedonnant, à mes…
- Stop ! le coupa pour la deuxième fois Amar, nous allons procéder par étape.
- En ce qui concerte le réel jugement que porte sur vous votre associé, rien de plus facile, il vous suffira de scruter les visages de ses amis et des membres de sa famille, s’ils sont souriants et bienveillants lorsqu’ils croisent votre regard, c’est que votre partenaire les a convaincus que vous êtes quelqu’un de bien, qu’il vous estime et respecte ;  en revanche,  si vous ne décelez que froideur et mépris, c’est qu’il a l’habitude de vous tailler des costumes dès que vous avez le dos tourné.
- Maintenant que vous me le dites, pour ses amis, je n’ai rien remarqué d’anormal, mais pour son fils de quatorze ans, à chaque fois que mes yeux croisent les siens, j’ai l’impression d’y lire de l’hostilité et du mépris à peine camouflés.
- C’est donc chez lui qu’il se lâche et vous dénigre ; il ne doit pas trop apprécier votre relation avec la secrétaire, prenez garde, il risque de vous discréditer auprès de vos subalternes dans le but de prendre le contrôle de votre société.  
- Et vous, comment jugez-vous ma liaison avec Lynda? demanda  Kamel, curieux.
- Moi, je ne porte jamais de jugement, on peut tomber amoureux à tout âge ; pour le moment, on n’a pas encore inventé de patch contre cette foudroyante et merveilleuse addiction envers le sexe opposé.
- N’empêche que je culpabilise vis-à-vis de ma femme.
- La mère de vos enfants mérite d’être informée sur vos intentions et projets ; il faudrait que vous ayez une discussion franche avec elle, la fuite en avant ne vous mènera nulle part. Elle est sûrement au courant de vos frasques et en souffre beaucoup sans vous le faire voir.
 Si vous croyez pouvoir être heureux avec votre jeune assistante, il vous faudra accepter d’en payer le prix en offrant à votre épouse tout ce qu’elle peut obtenir par la justice, sans vous déchirer dans un tribunal et tomber entre les griffes d’avocats qui vont vous faire plier les genoux devant elle.  
Les rencontres entre les deux hommes, devenus amis, se multiplièrent; une fois par semaine, ils se retrouvent aux Oliviers. Sous les conseils avisés de l’infirmier qui a voué sa vie à l’assistance de personnes égarées, Kamel commença à espérer un avenir moins sombre et même à dormir un peu la nuit. La rupture avec sa femme s’est faite sans heurt puisqu’elle a eu tout ce qu’elle voulait, elle a gardé la maison conjugale et une confortable pension alimentaire. Il a accepté d’endosser tous les torts lors de la séparation à l’amiable devant le juge. Avec son associé aussi il n’a pas laissé les choses s’envenimer. L’entreprise a été scindée en deux parts égales, chacun d’eux est devenu patron de sa propre affaire. 
Ils n’avaient plus de comptes à se rendre mutuellement. Sa secrétaire est devenue sa femme et, à la surprise générale, leur couple résista aux médisances et colportages de leur entourage.  Lynda était vraiment folle  de celui qu’elle a choisi comme son âme sœur malgré leur différence d’âge. Là aussi, Amar y était pour quelque chose, c’est lui qui a suggéré à Kamel de se mettre au sport afin d’éloigner la décrépitude causée par les années qui passent. 
Pendant deux ans, Kamel continua à rendre visite au psy des Oliviers ; tous les samedis, il lui faisait part de ses soucis. Amar l’écoutait toujours patiemment sans jamais montrer le moindre signe d’exaspération, puis  le rassurait, ensuite, les deux amis parlaient durant une heure ou deux. avant de se quitter, ils prononçaient à l’unisson la même phrase en rigolant : «A samedi prochain, même heure, même lieu !»
Les autres jours de la semaine, Amar les réservait à des personnes anxieuses qui venaient le consulter pour divers problèmes psychiques.
C’est par un bel après-midi ensoleillé de mois d’août que Saïd vint apprendre à Kamel le décès du psy des Oliviers. Ils se rendirent ensemble chez le défunt pour lui rendre un dernier hommage. Il y avait foule et, parmi les présents, les deux amis reconnurent plusieurs malades mentaux qui avaient l’habitude d’errer dans les rues de la ville sans que personne  daigne leur adresser la parole, comme s’ils étaient invisibles. Sauf Amar qui s’arrêtait à chaque fois qu’il croisait un de ses autistes pour essayer de discuter avec lui, prendre de ses nouvelles, lui glisser quelques pièces de monnaie dans la main, un fruit, un gâteau ou une cigarette pour ceux qui fument. Ayant bonne mémoire, il interpellait chacun d’eux par son nom. Parfois, il arrivait à faire sortir de sa léthargie son interlocuteur pour discuter et rire avec lui sous les regards ahuris des passants. 
On ne sait pas quel extraordinaire moyen de communication    ils ont pu apprendre le départ, dans l’au-delà, de cet homme généreux qui a toujours su les défendre, les respecter et les considérer comme des êtres normaux dignes d’estime et de considération, et ce, malgré la singularité de chacun d’eux.

 

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