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Rubrique Le Soirmagazine

C’est ma vie Benaouda ou la passion pour la musique

Beau et romantique, Benaouda, le talentueux professeur de musique, violoniste, compositeur et pédagogue, étonnait par sa capacité à improviser et  déchiffrer les partitions.  
Adolescent, toute sa passion pour la musique allait être étouffée par la volonté de son père qui espérait qu’il lui succède dans le monde de la coiffure afin de gagner sa vie. Eh oui, les années post-indépendance, l’espoir de dénicher un emploi était minime, surtout pour ceux qui n’avaient pas de qualifications professionnelles.  
Vœu paternel exaucé temporairement, il exerça pendant quelque temps en tant que coiffeur. Je me souviens du regretté, paire de ciseaux et peigne à la main, qui répétait à chaque fois que la situation s’y prêtait une phrase culte de son défunt père, si Mahmoud : «Aâtini ras kima ras hmida taâjbak tahfifa.» (Donnez-moi une tête comme celle de Hmida, vous serez satisfait de votre coupe). On raconte qu’un jour un client qui n’était pas satisfait de la coupe qui lui a été faite par si Mahmoud el hafaf lui demanda pourquoi sa coupe était moche et ne ressemblait pas à celle du client qui l’avait devancé. Là, il reçut la réponse couperet : «Tu n’as pas la même tête que lui !» Les cheveux du premier étaient lisses alors que ceux de l’autre qui s’est plaint étaient hirsutes !
Benaouda, assidu, excella pour un bon bout de temps dans l’art de la coiffure,  bien que ce ne fût nullement sa tasse de thé. Son penchant pour la musique ne tarda pas à prendre le dessus. Il abandonna définitivement sa paire de ciseaux pour épouser un plectre qui l’accompagnera durant toute sa carrière professionnelle. Il intégra le corps des enseignants en tant que moniteur et, petit à petit, il gravit les échelons. Vu le manque flagrant des enseignants de musique à cette époque, on lui proposa un poste grâce à son savoir-faire. On l’inscrivit dans la liste des enseignants qui allaient suivre une formation spécialisée.
Il retourna dans sa ville natale, Vialar, après avoir reçu une bonne dose d’enseignements qui allaient lui permettre d’accéder de plain-pied dans le monde de l’art et entamer une nouvelle carrière professionnelle. En effet, il avait bénéficié d’une   formation supérieure en musique à Oran. L’artiste réussit à s’imposer, malgré le peu d'intérêt que l’on portait à l’époque dans notre région à la musique.
Il abordait tous les genres musicaux avec talent :  classique, orientale, traditionnelle, contemporaine, raï, symphonies, œuvres pour chorale, œuvres religieuses… Il composait avec une facilité déroutante et souvent sans corriger ses partitions, son intuition première était souvent la meilleure.
De l’avis de tous ses amis et proches ainsi que ses anciens apprenants au collège Mouloud-Feraoun durant les années 1970, il était non seulement l’artiste de l’établissement mais celui de toute une région. C’était lui le chef d’orchestre par excellence de toutes les fêtes.
Djamila, alias Milano, surnom d’une de ses anciennes élèves, adorable Vialaroise qui vit actuellement en Grande-Kabylie, se rappelle très bien du musicien, de sa manière de l’appeler avec un accent italien car il appréciait beaucoup son surnom : «je vois encore sa silhouette enveloppée dans un joli manteau trois-quarts noir assorti à son cartable en cuir qui contenait ses documents pédagogiques et surtout les différentes partitions de musique concoctées spécialement pour ses chers élèves et se dirigeant droit vers notre classe. On l’attendait avec impatience pour profiter au maximum de ses do, ré, mi, fa, sol, la, si.» 
Le ténor avait formé plusieurs générations de jeunes dont certains, influencés par sa forte personnalité, son charisme et surtout son don musical, ont suivi sa voie. Sa seule devise dont se rappellent certains de ses anciens élèves était cette citation de Pablo Casals (artiste, compositeur, musicien, violoniste 1876-1973) qu’il ne cessait de répéter : «La musique chasse la haine chez ceux qui sont sans amour. Elle donne la paix à ceux qui sont sans repos. Elle console ceux qui pleurent !»  Outre son côté artiste, c’était un sage et un véritable philosophe. Il ne cherchait jamais à être connu mais à être reconnu. Pour lui, la reconnaissance, c’était simplement un carburant qui lui permettait de se surpasser, de surprendre les gens, de se faire violence pour aller plus loin dans l’émotion. De son vivant, il disait : «je veux toujours aller de l’avant pour exceller dans mon domaine, celui de l’art au sens large du terme, donner le meilleur de moi-même. Reconnu, je le suis par mes pairs et par ceux qui me sont chers. S’agissant de mes proches, cette reconnaissance est venue assez vite, dans le sens où j’ai existé très jeune à travers la musique. Aujourd’hui, j’arrive à vivre de la musique et ça change tout. Ça ne fait pas de moi un meilleur ou un moins bon musicien, mais ça contribue à une certaine liberté.» Le regretté était issu d’une famille d’artistes. Son frère aîné, Adda, était le premier à avoir formé le premier groupe musical de la région de Tissemsilt. 
C’était un artiste polyvalent jusqu’au bout des ongles, à l’image de ses deux autres frères, Mohamed et Abdelkader e surtout, de son neveu M’kadem, artiste peintre de renommée nationale. Ce dernier, diplômé, major de promo de l’Ecole des beaux-arts d’Alger en 1985, participe souvent à des expositions individuelles et collectives, que ce soit en Algérie ou à l’étranger.
C’était toujours un plaisir de voir Benaouda Kessar en train d’accorder son violon, de chatouiller, à l’aide d’une plume d’oiseau, sa mandoline ou tout simplement d’ajuster les chevilles de son fameux luth afin qu’il l’aide à vibrer en toute liberté… C’était pour nous un avant-goût de ce qu’il allait nous offrir : Warda, Oum Keltoum, Fayrouz, Abdelhalim… et j’en passe !
Médiator à la main, le front élevé, le teint clair, les yeux superbement noirs, l’émail brillant et la bouche en cœur, il chantait comme un rossignol. Il avait plusieurs cordes à son arc.
   La soixantaine bouclée, il partit à la retraite, laissant derrière lui une longue carrière bien remplie. 
Toutefois, sa santé n’était pas au top et son état ne cessait de se dégrader jusqu’au jour de son hospitalisation. Malade, il conservait toujours son esprit serein. Son corps d’artiste fragile ne résista pas aux complications post-opératoires d’une lourde intervention chirurgicale. 
L’artiste tira sa révérence au matin d’une  journée caniculaire du mois de juin dernier, à l’âge de 74 ans. Le jour de son enterrement, le cimetière de Sidi-El-Houari ne pouvait contenir la foule venue de toutes parts assister au départ de l’artiste. Un de ses anciens collègues, les larmes aux yeux, ne cessait de répéter au cimetière qu’il l’avait croisé quelques jours auparavant et qu’il lui avait demandé : «comment vas-tu si Benaouda ?» Savez-vous ce que le regretté lui avait répondu : «Hamdoullah (Dieu merci), je vais bien ! Sauf qu’avant je jouais de la mandoline, maintenant je joue avec l’insuline !».

 

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