Lorsque nous étions enfants, nous pensions que nous allions vivre longtemps et que la mort ne frappera à notre porte qu’une fois devenus vieux. Nous aurions vécu dans le bonheur de longues années, et on aurait dit de nous que nous avions eu la chance d’avoir vu nos petits-enfants et nos arrière-petitsenfants. Hélàs, ce n’étaient que des rêves d’enfant. La faucheuse, aujourd’hui, ne fait aucune distinction, et ce sont plutôt les jeunes qui partent les premiers. Il y a tout juste une semaine, elle nous a arraché Youyou, notre ami d’infortune. Il n’était pas âgé et souhaitait vivre jusqu’à la vieillesse tout en priant Dieu de le garder en bonne santé pour voir ses filles devenir de grandes championnes de natation, réussir dans leurs études et faire des mariages heureux. Il avait peur pour leur avenir dans un pays aux lendemains incertains. «Il était fatigué, il me l’a dit le mercredi qui précédait sa mort», nous confie Abla à la rédaction. Il était épuisé par un métier qui le rongeait de l’intérieur, mais dont il était passionné. Il continuait à défendre ceux qui n’avaient que la presse pour faire écho de leur mal-être. Une semaine après sa disparition, nous sommes encore sans voix. La salle de rédaction est, du coup, silencieuse. Bettache n’est plus parmi nous. Plus de pianotement sur le clavier, plus de taquineries avec Kebci dans la langue maternelle, plus de débats politiques enflammés, de paris sur les équipes gagnantes de foot avec Amine, Bouchama et Achour... Nos visages en disent long sur cette perte tragique. «A qui le tour ?» dira tristement Amine. Un sentiment qui nous rappelle étrangement les années noires, où, abattus après avoir enterré un des nôtres, nous ne pouvions ne pas avoir présente à l’esprit cette pensée macabre, somme toute réaliste : qui sera le prochain? Bettache est parti, laissant trois filles, une épouse et des parents inconsolables.