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Rubrique Le Soirmagazine

C’est ma vie Saïd le caméléon

En voyant son fils Nabil, le drapeau sur le dos, un bandeau sur le front et les joues peintes aux couleurs de l’emblème national, Saïd poussa une beuglante. 

- C’est quoi ce déguisement ?
- Je vais rejoindre les copains dehors pour la marche de ce vendredi, je suis le seul à n’y avoir pas encore participé de toutes les personnes que je connaisse.
- Tu vas vite te laver la figure et venir avec moi au salon, j’ai besoin d’avoir une longue conversation avec toi. 
L’adolescent, tout penaud, suit son père. Une fois installés dans de confortables fauteuils, Saïd commence par questionner Nabil.
- Nous avons combien de voitures ?
- Quatre.
- Selon ton estimation, quelle somme pourrait-on me proposer si je mets en vente notre luxueuse résidence ?
- Je ne sais pas.
- Sache qu’on m’a déjà offert cinq milliards, et ce, avant que je refasse la devanture en pierre taillée, donc elle vaut beaucoup plus aujourd’hui.
- y a-t-il un jour où j’ai refusé de t’acheter des vêtements et des baskets de grandes marques que tu me réclames ?
- Non.
- Matin, midi et soir, ne manges-tu pas des petits-déjeuners copieux et des plats succulents ?
- Oui
- Où passe-t-on nos vacances chaque année ?
- A l’étranger.
- Maintenant, ouvre tes oreilles et écoute-moi. Je n’ai jamais joué au loto, mon père ne m’a laissé aucun héritage, j’ai arrêté ma scolarité très tôt, je n’ai aucune qualification. En sachant tout cela,  t’es-tu un jour posé la question de savoir d’où me vient tout cet argent ?
- Non.
- Je vais te livrer le secret de ma fulgurante réussite, fiston. C’est en jouant au caméléon, ce lézard qui revêt les couleurs de son environnement en un clin d’œil. En affaire comme en politique, je ne contrarie jamais ceux que je courtise quoi qu’ils disent ou fassent. En soldat discipliné, j’obéis à leurs ordres sans chercher à comprendre leurs motivations.
- Cela ne te gênait pas un peu ? 
- Absolument pas, vu que la plupart de mes amis qui n’ont jamais franchi le portail d’une université et qui roulent sur l’or aujourd’hui agissent exactement comme moi, je n’ai fait que suivre leur exemple et je ne le regrette absolument pas.
- Peux-tu me donner quelques exemples de personnes auxquelles tu as essayé de ressembler ?
- Avec plaisir, j’espère que tu en prendras de la graine. Au tout début, sans aucun registre de commerce, je me suis proclamé agent immobilier en proposant aux vacanciers qui déferlaient sur notre ville côtière, des petites chambres pour de courtes périodes, en prenant soin de louer ces cagibis deux ou trois mois à l’avance chez des particuliers pour des sommes dérisoires, mais que je cédais trois ou quatre fois plus cher. Avec le pactole amassé, j’ai pu ouvrir un flamboyant bureau d’agent immobilier en toute légalité. Cette fois-ci j’ai vu grand, je me suis lancé dans l’achat et la vente de terrains constructibles.
C’est à partir de cette période que ton père est devenu un véritable caméléon. Le premier haut responsable qui pouvait m’aider à acquérir ces emplacements à des prix défiant toute concurrence est un bon vivant, qui finissait ses soirées en s’envoyant quelques verres d’alcool derrière la cravate. Je me suis renseigné dans le but de connaître les bars qu’il fréquentait, puis toutes les nuits, je m’y rendais. Par l’intermédiaire de quelques relations, j’ai réussi à m’assoir à sa table. Nous avons très vite sympathisé, un verre à la main. Profitant de cette occasion, je l’ai invité à me rendre une petite visite sur mon lieu de travail. Avant la date prévue, j’ai complètement chamboulé la décoration de mon bureau. Dans un coin, j’ai installé un mini-bar où on pouvait voir toutes sortes de liqueurs. Juste à côté, un frigo américain rempli de canettes de bière de toutes marques. Sur les murs, j’ai accroché des tableaux d’îles paradisiaques. Le jour de sa venue, il a été tellement séduit qu’il m’a promis de revenir. Il a tenu parole et il nous arrivait même de nous retrouver seuls pour de mémorables cuites.
Quand il fut affecté dans une autre ville, son remplaçant, à mon grand désappointement, avait horreur de tout ce qui touchait à l’alcool, même une bière sans alcool était une abomination à ses yeux. Pour être dans les bonnes grâces de cet «ayatollah», il a fallu que je me débarrasse au plus vite de tout ce qui pouvait le choquer. 
Transformation radicale de mon lieu de réception, tapis de prière bien en vue, des  tableaux portant des citations coraniques, une bibliothèque qui regorge de livres religieux et un réfrigérateur garni d’eau minérale et de jus de fruits. Je ne ratais plus aucune des cinq prières de la journée en étant toujours collé à lui comme une sangsue. Des personnes qui voulaient me nuire lui ont rapporté mes virées nocturnes. À leur grand étonnement, cela a produit l’effet contraire de celui qu’ils escomptaient. Il leur a répondu que s’il a réussi à convertir un soulard  en  bon musulman, c’est l’œuvre la plus importante qu’il a accomplie de toute  sa vie, et à partir de cette date, il m’a pris sous son aile. Je pouvais lui demander tout ce que je voulais, il suffisait que je fasse semblant d’écouter ses prêches.
J’ai connu un autre énergumène, son passe-temps était de taper dans un ballon rond dès qu’il trouvait un moment de libre dans son planning journalier. Moi qui avais horreur de courir et de me dénuder en public, me voilà servi. En plus, il fallait à nouveau revoir toute la décoration de mon bureau. J’ai donc rangé tout ce qui avait trait à la religion. J’ai placardé sur les murs des portraits de toutes les stars de foot du moment. L’unique satisfaction que j’ai tirée durant la fréquentation de ce footballeur en herbe, c’est que je n’étais pas le seul à le courtiser. D’autres patrons de grosses entreprises, aux ventres bedonnants et muscles flasques, se sont crus obligés de m’imiter pour s’attirer la sympathie de cet homme puissant et respecté dans les hautes sphères de l’administration. Il lui suffisait de nous siffler pour que nous accourions tous et que nous  nous mettions au garde-à-vous devant lui. 
Il formait deux équipes de six à huit personnes chacune, c’est lui qui attribuait les postes, il se réservait toujours celui du buteur, personne n’osait discuter son choix. 
Heureusement qu’il n’y avait pas la foule qui suivait  nos burlesques confrontations. On se moquait complètement du score à la fin du match. Notre seul but était qu’il soit satisfait de ses prouesses. Personne n’essayait de lui subtiliser le ballon quand il arrivait devant ses pieds, on le laissait filer droit vers les buts en faisant semblant de lui courir après.
 Le gardien devenait une vraie passoire quand il se retrouvait seul face à lui. Après avoir marqué un but, il levait les bras et sautait de joie sans se rendre compte que nous l’avons beaucoup aidé par notre passivité. C’est en agissant ainsi qu’on a pu en faire un ami à qui on pouvait tout demander. J’espère qu’en apprenant cela tu sauras te conduire comme moi à l’avenir.
 - J’en doute fort. Ma génération ressemble à celle qui a combattu durant la guerre de libération. Ils veulent sortir du joug de ceux qui veulent les asservir et faire d’eux des valets dociles et obéissants. Justement,  ils m’attendent dehors,  je vais les rejoindre et unir ma voix à la leur et advienne que pourra ! 

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