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Rubrique Lettre de province

Le panthéon d’Aït Ahmed et la panne du FFS

Après la crise du printemps dernier et les clivages qui ébranlèrent sérieusement son socle, c’est un FFS convalescent qui s’apprête à commémorer le souvenir dû au père fondateur et cela, malgré toutes les déchirures politiques encore vives. De toute évidence, si de tels désaccords furent qualifiés parfois de luttes pour le leadership, cela est dû au fait que, de son vivant, Aït Ahmed s’était abstenu de tout exercice testamentaire. C’était justement l’exemplaire humilité du démocrate qu’il était que les nombreux disciples revendiquant pourtant son héritage doctrinal ne surent pas fructifier. 
En s’affrontant comme des marchands de tapis autour des procédures relatives à la promotion de certains et à la marginalisation d’autres, ils oublièrent, sans le savoir, l’essentiel de la vraie besogne qui les attendait. Celle qui consistait à revisiter les fondamentaux du parti afin de les recadrer et, pourquoi pas, amender leurs principes pour que l’appareil puisse fonctionner différemment.
Il est vrai que le legs de Da l’Hocine est énorme au point de décourager les meilleures volontés au moment où les ambitions sont mises sur la table et deviennent la pomme de discorde. Autant dire qu’en dépit du temps qui passe, la contribution historique du leader leur apparut rebutante dès lors qu’elle exige un travail d’analyse pointu et une recension de toute la trajectoire du personnage lui-même. En quelque sorte, le parti ne peut rebondir qu’après avoir examiné et commenté dans le moindre détail le cheminement politique qui l’avait sous-tendu de 1963 à 2013, date de sa retraite. Sans rien renier de son passé, un autre FFS est possible pour peu qu’il soit à la fois fidèle à son histoire et différent dans sa manière d’appréhender la politique au présent. Cela dit, où trouver parmi ses militants actuels cette espèce de bénédictins susceptibles de mener une tâche aussi absorbante et exigeant de la patience ? Peut-être faut-il commencer par scruter les mots d’ordre sous lesquels sera placée la commémoration de ce 23 décembre afin de deviner vaguement quel chemin s’apprête à emprunter le parti, dans le but de changer sa boîte à outils politiques tout en demeurant attentif à son passé. Celui dont Aït Ahmed fut l’acteur primordial et l’auteur principal de la première page de l’histoire nationale postindépendance consacrée aux libertés publiques, lorsqu’il s’opposa à l’accouchement d’une république inspirée du fameux centralisme démocratique. Lui dont le militantisme au sein du mouvement national était incontestable allait pourtant retrouver sur son chemin l’infamie des procès politiques instruits par les frères de combat qui le condamnèrent à l’embastillement. Après sa remise en liberté en mai 1966, il sera poussé vers l’exil avant de devenir, au fil des manœuvres du pouvoir, la cible permanente des campagnes haineuses. 
Pionnier de l’opposition, il parvint, en dépit de tous les obstacles, à faire du FFS une efficace machine de propagande antisystème et un interlocuteur crédible au sein de l’Internationale socialiste. Tout à fait vacciné contre le recours au règlement de comptes, comme on a pu souvent l’écrire, il était, par contre, obsédé par ses seules convictions qu’il s’efforçait de mettre en adéquation avec le contexte du moment. En somme, le réalisme tactique qu’il manifestait dans ses démarches se bornait à des concessions formelles lui permettant de garder intacte sa fermeté idéologique. D’ailleurs, c’est à lui que l’on doit le plus magistral cours de sciences politiques donné devant un hémicycle de guérilleros algériens promus au rang de députés. «Parions sur la démocratie comme valeur et méthode à la fois, enseignait-il. Il ne faut pas entendre qu’il s’agit là d’une simple question d’orgueil national ou d’un messianisme d’exhibition. Ce serait plutôt l’option de la raison.» 
L’allocution date de décembre 1962 au moment où Ben Bella ferraillait avec violence dans le but de se doter d’une Constitution taillée pour le «zaïmisme». Et c’est en réponse à la barbouzerie de celui-ci qu’il s’érigea à nouveau en pédagogue des libertés publiques. Prônant toujours le pluralisme, il mit également l’accent sur les arguments fallacieux justifiant la dissolution du parti communiste. «Un parti fort, dira-t-il, qui prétend jouir de la confiance du peuple a-t-il besoin de dissoudre un autre parti comme le PCA ? Il me semble, au contraire, qu’il serait bon que ce parti puisse se maintenir car il jouerait le rôle de stimulant. C’est pourquoi, je pense que la prééminence du FLN ne doit pas entraîner nécessairement l’unicité». C’est ainsi qu’il suffisait, plus tard, de mettre en perspective ses fameux discours à l’Assemblée constituante pour retrouver déjà les contours et même le credo fondateur du parti qu’il allait créer dans la clandestinité. Or, la question qui, à présent, demeure en suspens chez les militants de ce «front» serait comment transférer vers le panthéon de la politique, la longue marche du fondateur pour, ensuite, repenser un parti affranchi du dogmatisme et de la nostalgie des vieux cadres tentés d’en faire encore un fonds de commerce de ces anciennes références ? Car, à force de l’avoir porté à bout de bras durant un demi-siècle et de l’avoir assumé en toutes circonstances, Aït Ahmed n’avait-il pas commis l’erreur cruciale de laisser à la disposition de tous les dirigeants les clés de la maison avant son départ ? Or, c’est maintenant ou jamais que le FFS doit impérativement faire son aggiornamento en mettant à plat la totalité des questions relatives à sa refondation, sinon il prendra vite les rides et les mauvaises habitudes de l’autre «front».
B. H.

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