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Rubrique Lettre de province

Presse vs pouvoir : une suspicion réciproque

«La justice consiste à mesurer la peine et la faute, et l'extrême justice est une injure.»
(Montesquieu : L’esprit des lois)

Qu’importe les précautions d’usage même lorsqu’elles ont un rapport à la justice. Car il est inconcevable de faire l’impasse sur l’insupportable cas du journaliste Drareni qui vient d’être condamné lourdement à trois années de bagne après avoir été accusé « d’atteinte à l’unité nationale ». Un curieux délit que même l’acte d’accusation admet que celui-ci se limitait à des injures verbales, en quelque sorte. Mais alors de quelle argutie a-t-on fait usage pour aggraver son dossier puisqu’il n’y eut aucun préjudice matériel ? C’est pourquoi, faute de justifications fondées, ce verdict-là a vite été perçu par l’opinion publique comme attentatoire à l’équité de la délibération. En clair, une arbitraire condamnation.
S’agissant d’ailleurs de la presse et de l’éternelle suspicion que le pouvoir cultive à son encontre, l’incompréhension avait été le maître-mot au sein des rédactions où les débats ont, pour la plupart, abouti à la même conclusion. Celle qui constate que rien, décidément, n’avait changé en dépit du « changement » de régime. Celui qui s’était présenté avec la nouvelle profession de foi dont il a fait sienne la démarche en instaurant des relations cordiales avec le secteur de la communication grâce au briefing ponctuel qu’il accordait à des commentateurs. Or, dans la réalité, cette ouverture se révéla comme une timide approche du palais, destinée à rassurer la corporation sans pour autant lui conférer la fameuse « immunité » qui aurait épargné aux journalistes les intimidations, voire le chantage économique exposant les journaux à d’injustes faillites. C’est dire que le vague credo de la « nouvelle Algérie » tarde à trouver une réelle concrétisation. À peine si la politique des petits pas, pratiquée par le palais, parvient à balayer les nuages comme ceux qui viennent d’obscurcir l’horizon après une aussi dure exécution pénale d’un confrère.
Justement, malgré l’énorme contribution au changement du mouvement du 22 février, rien, par contre, n’est venu rassurer une corporation alors que la traque sécuritaire continue à en faire une pépinière pour ses cibles. D’où l’altération de sa liberté de ton et l’extinction des quêtes et enquêtes susceptibles de mettre à nu la vérité. C’est que les journalistes, quelles que soient les rédactions auxquelles ils appartiennent, ne s’abusent guère de la pérennité des libertés qu’ils retrouvent pour aborder les questions qui fâchent. Ils savent bien que, quelque part, l’on exigera d’eux d’être plus «nuancés», c’est-à-dire maquiller la vérité, sinon les pénalités de toutes sortes risqueraient d’affecter leur outil de travail.
Il est vrai que la corporation des journalistes a toujours été perçue comme une catégorie professionnelle porteuse du soufre des scandales et, à ce propos, elle ne pouvait qu’être malveillante. Or, ce préjugé bien ancré dans l’esprit de la classe politique n’avait pu polluer les attitudes de l’élite dirigeante qu’à partir de l’époque où la presse changea de statut et s’émancipa de la condition de scribe du système pour participer à la diffusion des dessous des pratiques scandaleuses. En somme, la diffusion de certaines révélations qui n’étaient rien d’autre que des contre-discours à opposer aux politiques mensongères. Ce challenge-là a certainement connu de grands succès auprès du lectorat, sauf que cela n’a pu être possible qu’au cours des premières années de la décennie 90. Celle qui vit à l’œuvre les quelques deux mille journalistes qui exercèrent auparavant sous la houlette des institutions étatiques de la communication. Sauf que cette génération de journalistes aguerris était marquée, dans son ensemble, par le désir ou la volonté de développer une production journalistique anti-pouvoir. Ce reliquat du système qui a été capable de survivre à l’ombre de l’armée tout en mobilisant les strates de la vieille clientèle de la nomenklatura.
À travers donc deux mutations antinomiques qu’étaient la presse et les débris de la classe politique, il ne pouvait y avoir de convergences sous quelques formes qu’elles fussent. Or, de cette hostilité réciproque, il était évident qu’elle allait accoucher, d’un côté comme de l’autre, de censeurs maladroits ferraillant contre des journaux à la critique abrupte.
C’est dire que, depuis 1990 à ce jour, jamais l’Algérie n’a eu à subir une dictature de fer, de même qu’elles étaient rares les publications qui faisaient l’apologie de la pensée unique. Et c’est Octobre 1988 qui fut à l’origine du tournant-clé des péripéties nationales lesquelles se contentèrent d’une sorte d’hybridation de deux cadres classiques : dictature vs démocratie. Une originalité assassine qui a vu passer notamment Zeroual et Bouteflika et que certains politologues désignèrent sous le fallacieux qualificatif de «transition démocratique».
C’est que l’on ne se doutait pas de ce que peut générer l’inconfort de vivre sous l’ambiguïté de caméléon. Une duplicité qui, à ce jour, est ressentie encore par la presse, laquelle doit, à la fois, se battre pour défendre ce pourquoi elle informe l’opinion. À ce propos, les précédents ne manquent pas, notamment les avanies essuyées par les journalistes toutes les fois où ils s’étaient inscrits en faux par rapport aux inexactes assertions du pouvoir. Certes, le rapport presse-pouvoir a évolué en termes de convivialité avec le palais, sauf que celui-ci s’est souvent abstenu d’aborder la question de harcèlements judiciaires qui se multiplièrent tout au long de la période du Hirak et jusqu’à ce jour. Face à cette omission délibérée, la presse réactiva le vieux syndrome de la censure. Craignant à tout moment le bâillon, elle s’épuisera dans la multiplication des louvoiements afin d’éviter les chausse-trappes tout en s’efforçant de débusquer les mises en scène qui donneront un semblant de légalité aux procès intentés contre des rédacteurs de presse. Ainsi, le reproche courant qui se déclinait habituellement par le délit de « transgression grave » de l’éthique de certains écrits n’était, en définitive, destiné qu’à déstabiliser le responsable de la publication pour, ensuite, lui préconiser sournoisement une plus grande rigueur dans l’autocensure. Une hygiène inquisitoire venait de faire son apparition et qui avait pour objectif de passer au scanner les écrits majeurs avant leur parution. D’ailleurs, ce processus porte le signe distinctif de la normalisation rampante qui sera imposée à l’éditeur. Comme il se doit dans de pareilles farces, les instances politiques jouent aux Ponce Pilate, s’interdisant d’interférer, disent-elles, dans « l’intime conviction des juges » ! Une tartufferie démocratique dont on sait qu’elle n’est que le prologue à d’autres curées en perspective.
Or, le recours à tant de roueries tient au fait que la presque-totalité des dirigeants craint qu’une liberté d’expression professionnellement assurée ne peut que les déstabiliser et les livrer à l’opinion. Il est vrai qu’il y a de la vigueur dans un pamphlet, de la dérision dans un billet, des arguments frappants dans les éditos et des analyses étayées de preuves dans les enquêtes. Tous ces genres journalistiques contribuent, effectivement, à la démystification des princes qui gouvernent le pays.
Même s’il est convenu que la presse et le pouvoir ont la possibilité de faire bon ménage, il faudrait qu’au préalable, l’on soit sous une véritable démocratie. Ce qui, hélas, n’est pas le cas de notre système politique où il est parfois plus facile d’embastiller un journaliste que d’être de son bord lorsqu’il lui arrive de dénoncer patriotiquement la prédation. Toute une différence entre un régime légitimé démocratiquement et un autre issu de l’hybridation en question.
B. H.

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