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Le grain magique de Nora la diseuse

Dans le titre de la présente chronique, le «grain magique» renvoie d’emblée au fameux recueil de contes, chants et proverbes kabyles de Marie-Louise Taos Amrouche, édité en 1966 en France, chez Maspero. Il suggère aussi le grain de beauté, mais il évoque surtout l’œuvre de toute une vie de la diseuse et fabuliste, Nora Aceval, auteure prolifique et au long cours de contes d’Algérie. Allégories, légendes et fables puisées en plus de trente ans de collectage dans la tradition orale et, en premier lieu, dans les abysses mémoriels de vieilles femmes des Hauts-Plateaux de Tiaret et du djebel Amour, entre autres lieux de perpétuation du merveilleux légendaire de l’Algérie immémoriale.
Le «grain magique» n’établit cependant pas une comparaison entre la Kabyle française Taos Amrouche et l’Algéro-Française Nora Aceval. Juste un simple parallèle entre deux sublimes conteuses qui ont su produire, en des temps décalés, des anthologies de ce que la part mystérieuse, surnaturelle et féerique de l’oralité algérienne a d’enchanteur. Et à travers ce parallèle, la mise en exergue d’un seul point commun entre les deux tisserandes du divin ensorceleur, précisément la passion commune pour l’art de conter, transmise par les mamans respectives, en Algérie et en France.
Avec, il faut le préciser, cette différence que Taos Amrouche s’est contentée de récolter, transcrire et transmettre, alors que Nora Aceval a engrangé le sublime mythique comme son aînée, mais en a fait cependant un métier après l’écriture, se produisant sans cesse sur les scènes hexagonales deux décennies durant. Et qui continue de le faire, comme en ce mars printanier à l’Institut du monde arabe à Paris où, accompagnée au rythme du violon, du oûd et du bendir par le musicien Nasro Beghdad, elle a mis en lumière, en version arabo-berbère magnifiée, la Geste hilalienne — Sirèt Bnou Hilal. Avec sa voix qui berce, caresse et apaise, la fille des Hauts-Plateaux tiarétiens, la belle Nora de Tousnina, a alors répandu des fragments de la Taghriba, la marche vers l’Ouest des Arabes hilaliens.
Une épopée déjà en librairies françaises, tissée autour du couple héroïque de Jazya qui symbolise la beauté et la puissance féminines, et Dhiab qui incarne l’âme chevaleresque arabe : Récit poétique qui raconte la tragédie d’un couple mythique et d’une tribu affrontant leur destin tumultueux. Jazya et Dhiab, il a fallu 22 ans de passion et de patience pour glaner, carder, filer et enfin tisser cette version typiquement algérienne de la Geste hilalienne. Plus de deux décennies pour marcher sur les traces subtiles des nomades, enregistrer les paroles fragmentaires et raviver cette flamme oubliée mais finalement immortalisée !
Chez Nora Aceval et Taos Amrouche, les œuvres peuvent être lues comme une lumineuse introduction à la culture populaire de Kabylie ou du reste de l’Algérie, même si elles sont loin de présenter tous les aspects du répertoire oral. Et dans les récits des deux écrivaines, le réalisme le plus cru et l'humour le plus caustique côtoient le prodigieux. Et c’est Taos Amrouche qui a défini la «science» du conte chez les deux femmes en disant que «si un poème, un proverbe, grâce à leur forme arrêtée, peuvent être transmis par n'importe qui, en revanche [...], le choix du conteur est primordial dès qu'il s'agit d'une histoire : c'est la beauté, la composition et l'authenticité mêmes du récit qui sont en jeu, une légende pouvant être appauvrie ou enrichie selon la personne qui perpétue la tradition, une légende étant l'œuvre d'une chaîne ininterrompue de conteurs à travers le temps».
À titre particulier, dans l’œuvre de Nora Aceval, une vingtaine d’opus au total, les contes, qui ne sont pas toujours le fait de fées ou d’anges séraphins, ne sont pas simplement des histoires inventées pour endormir les enfants. Ils recèlent un savoir initiatique puissant. Destinés à éveiller l'Homme, à le mener à une meilleure conscience de lui-même, ils nous parlent du nous collectif, de la voie spirituelle que nous devons suivre pour parvenir au plein accomplissement de soi. Mais Blanche-Neige à dos de chameau, le Petit-Poucet égaré dans le Sahara, les ogres, les djinns, ou encore les animaux à l’image des Fables de La Fontaine (1668/1694), dans Kalila wa Dimna d’Ibn al-Muqaffâa (750) ou dans Les Histoires comme ça de Rudyard Kipling (1902), sont autant d'images symboliques que nous ne savons pas toujours décoder.
Comme tous les contes humains, ceux de Nora Aceval sont des récits merveilleux, symboliques et universels. Ils appartiennent à la littérature orale et ils exercent leur pouvoir de symbolisation à travers un voyage des sens où la rhétorique, l’esthétique et l’éthique sont combinées pour plaire, instruire et émouvoir. C’est un moyen thérapeutique et un outil pédagogique par excellence adossés à la sagesse, le symbole et la simplicité. «Ces histoires instruisent, forment l’esprit et le fortifient» comme le souligne Antoine Galland dans Les Mille et une nuits. À n’en pas douter, chez Nora Aceval, comme dans Kalila wa dimna ou Le Magicien d’Oz par exemple, le conte éveille, séduit, sensibilise et enseigne. Les livres de Nora suscitent l’envie d’apprendre, facilitent la transmission du savoir-être et du savoir-faire, rendent attractif ce qui ne le semble plus, fournissent du rêve et des émotions, et apportent de la nouveauté et de la fantaisie à nos jours de grisaille. Tout simplement, réveillent l’enfant qui sommeille toujours en chacun d’entre nous.
Son œuvre est à la fois éclectique et œcuménique, avec comme fil rouge la variété des sujets et la cohérence du sens et des symboles. Elle va du particulier, celui de sa région de naissance et de culture maternelle, en l’occurrence Tiaret sa «capitale et Tousnina son berceau ; ensuite au général, c’est-à-dire l’Algérie tout entière. Et cela nous donne L’Algérie des contes et légendes (Hauts-Plateaux de Tiaret) en 2000, Contes et traditions d’Algérie en 2003 et 2005, puis Contes du djebel Amour en 2006 et Aflou djebel Amour en 2010.
Et, d’autre part, à l’image du côté grivois des Mille et une nuits ou des chefs-d’œuvre érotologiques arabes tels Le Jardin parfumé de Cheikh Nefzaoui (1520), Le Bréviaire arabe de l’amour d’Ahmed Ibn Souleimân (milieu du quinzième siècle), Les Délices des cœurs d’Ahmed Al-Tifâchi (12e siècle) ou bien Les Fleurs éclatantes dans les baisers et l’accolement de Ali Al-Baghdadi (première moitié du 14e siècle), Nora Aceval a capté elle aussi la légende licencieuse des femmes d’Algérie et du reste du Maghreb. Et ça nous donne donc Les Contes libertins du Maghreb (2008) et La chamelle et autres contes libertins du Maghreb (2011).
Et si elle s’est intéressée aussi aux Contes soufis de la tradition populaire en 2020, elle a par ailleurs jeté son dévolu littéraire sur ce que les femmes de son pays peuvent avoir de meilleur ou de redoutable en elles : la science de l’amour, la ruse et la sagesse. Bref, le triptyque constitutif de leur pouvoir caché ou apparent, directement exercé ou par influence subtile interposée. On a alors droit de sa part à La Science des femmes et de l’amour (2009), La femme de Djha, plus rusée que le diable ! (2013), et La Sagesse des femmes du Maghreb en 2023.
Dans le verger de contes de Nora Aceval, on a également des légendes caractéristiques, comme en 2007 Les babouches d’Abou Kassem, Hadidouène et l’âne de l’ogresse, L’élève du magicien et Le prince tisserand. De même pourrait-on lire des fables dignes de La Fontaine ou d’Ibn al-Muqaffâa dans Le Loup et la colombe (2008), Conte : L’âne et le renard. Livre scolaire CM1 (2016), Le Moulin magique et autres contes pour enfants, Ma mère m’a tué, mon père m’a mangé, ma sœur m’a sauvé, édités en 2018, et, enfin, La Vache des orphelins (2022) et L'homme qui épousa une ogresse (2023).
L’œuvre imposante de Nora Aceval est en lien direct avec sa propre histoire algéro-française, elle qui est née de père français de racines espagnoles et de mère algérienne de la tribu des Sidi Khaled, nomades transhumants qui ont fait souche dans la contrée. Et, pour reprendre l’auteure elle-même, «à l’époque, le conte était encore un acte social». Durant son enfance rurale à Tousnina, à quelques kilomètres seulement de Frenda, terre d’inspiration encyclopédique d’Ibn Khaldoun, Nora, telle un disque dur de grande capacité, mémorisais légendes, fables et contes, à jamais pour la postérité !
Une fois adulte, elle transmettra à ses enfants le patrimoine ainsi sauvegardé, tout en réalisant que tous ces trésors de l’oralité ancestrale se perdaient au fil du temps qui s’étiole et de la mémoire qui s’effiloche. Et comme elle fera plus tard, outre son bagage initial d’infirmière, un mémoire universitaire dédié spécifiquement au conte, elle arpentera alors le «terrain» du souvenir pour débriefer les porteuses de mémoire.
Une épatante aventure qui dure depuis 1988, date de son premier conte collecté pour notre plus grand bonheur de gourmands et de gourmets littéraires !
N. K.

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