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Poids de l’Algérie en Afrique : défis géopolitiques et réflexion stratégique

Une maxime arabe dit que l’on trouverait dans un fleuve ce que l’on ne saurait se procurer en mer. A bien y penser, c’est souvent le cas du «petit» think tank de l’École supérieure de commerce (ESC) de Koléa, créé et dynamisé par le professeur des universités Sid-Ali Boukrami, vieux loup des mers de l’expertise économique et financière, et qui sait quitter les voies conventionnelles de la macro et de la microéconomie pour mieux se placer à la croisée des sentiers lumineux de la géoéconomie et de la géopolitique. Nouvelle illustration, et avec brio, le 16 décembre 2023, à l’amphithéâtre de l’ESC Koléa, à la faveur d’une réflexion plurielle sur la présence stratégique de l’Algérie en Afrique, animée par des éminences grises algériennes.
Le professeur Boukrami, ex-membre de la Commission de réforme monétaire et financière internationale coiffée en son temps par le prix Nobel de l’économie Joseph Stiglitz, avait invité un panel d’experts rodés à l’international via de grandes chancelleries, des banques de renom mondial ou des institutions de Bretton Woods. Épaulés par le directeur de l’organisme public de garantie des exportations (CAGEX), qui a fourni en la circonstance un aperçu chiffré et éloquent sur la présence en Afrique du produit algérien, les conférenciers ont donné, en filigrane, une nette idée de ce qui reste à réaliser pour un réel redéploiement stratégique en Afrique de la diplomatie et de l’économie algériennes.
On a noté à travers les exposés que soixante-et-un an après l’indépendance, la présence de l’Algérie en Afrique et son poids stratégique consubstantiel ne sont pas à la hauteur de son prestigieux héritage historique et de ses nouvelles ambitions géostratégiques. On a bien compris aussi que le futur rang de notre pays en Afrique et ailleurs dans le monde sera en partie le résultat de la manière dont il fera face aux défis géostratégiques, en termes d’exercice d’influence décliné en hard et en soft power. Et on a relevé subsidiairement qu’il manque nettement d’outils de réflexion, d’analyse et de veille informationnelle stratégique. Précisément de think tanks de qualité en matière de diplomatie, de sécurité et d’économie qui auraient offert aux pouvoirs publics des tableaux de bord et des clés de lecture utiles de la complexité du monde et de la spécificité africaine. La smart boîte à idées du professeur Boukrami est cependant une belle exception qui confirme la règle !
On relève donc que la présence économique et l’influence diplomatique de notre pays ne sont pas conformes (euphémisme) au potentiel géostratégique, à l’héritage historique et aux ambitions d’une puissance africaine comme l’Algérie. L’Algérie a certes joué un rôle de premier ordre dans la création de l’OUA, de l’UA et des différents espaces de coopération, de concertation, d’action et de développement comme le NEPAD, l’AZLECAF ou le CEMOC, sans oublier les autres outils de réflexion et d’action sécuritaires. Mais la réalité implacable est là, comme l’a souligné un acteur de la diplomatie du patriotisme intelligent (Ammar Abba) : l’Algérie fait beaucoup dans le multilatéral, notamment dans la sphère institutionnelle, et peu dans le bilatéral. Précisément du point de vue des faibles volumes des échanges économiques et des exportations, du réseau des dessertes aériennes et de l’absence quasi-totale d’une implantation bancaire, autrement que par l’ouverture récente de modestes succursales de banques publiques. L’existence de la route transsaharienne et du projet du gazoduc Nigeria-Algérie n’est pas d’autre part un indicateur d’une présence algérienne de poids significatif. Le projet du gazoduc, qui tarde à voir le jour, a même aujourd’hui les allures de l’arlésienne d’Alphonse Daudet !
Nous n’oserons pas, ici même, établir des comparaisons avec des puissances de premier plan en termes de présence, de poids et d’influence. Comparaison, ou même un simple parallèle avec des pays comme la Chine, l’Inde, la Turquie, ou encore la France même en étant sur la voie du déclin de son modèle néocolonial «Françafrique», ne serait pas raisonnable. La comparaison devrait être plutôt effectuée avec un pays comparable au nôtre du point de vue de la parité stratégique et de la projection continentale de ses ambitions politiques, diplomatiques, économiques, sécuritaires et culturelles. Et il s’agit en l’occurrence du Maroc dont l’influence africaine pèse ce que pèsent ses exportations, son réseau bancaire, ses investissements, son maillage aérien et médiatique du continent, son activisme diplomatique, son entrisme dans les organisations multilatérales, son hard et son soft power. Et il n’y a qu’à considérer les trois indicateurs éloquents que sont les réseaux bancaire, aérien et médiatique pour se faire une certaine idée sur le gap important qui sépare l’Algérie et le Maroc dans le domaine de l’influence.
Le match de la concurrence aérienne civile entre Air Algérie (AH) et Royal Air Maroc (RAM) est largement gagnant pour le rival stratégique marocain. Les chiffres des implantations respectives dessinent nettement le large fossé qui sépare les deux rivaux : 32 dessertes africaines pour la RAM sur 103 destinations planétaires, 13 pour AH sur 48 à l’échelle mondiale ! Quant à l’implantation médiatique, déclinée à travers la présence des agences de presse étatiques des deux pays, la MAP et l’APS, là aussi, il n’y a pas photo, comme on dit dans le langage hippique. Treize bureaux permanents sur 32 dans le monde pour l’agence marocaine, contre zéro pour l’agence algérienne, qui ne compte aujourd’hui aucun bureau à travers les cinq continents ! Une régression inouïe, incompréhensible en tout cas par rapport aux années 1980 où l’APS avait fini par compter six bureaux africains : trois en Afrique du Nord et trois en Afrique subsaharienne, à savoir Rabat, Tunis, Le Caire, Addis-Abeba, Dakar et Harare, six représentations sur dix-sept à travers le monde !
Sur le plan bancaire, la comparaison, là aussi, est au grand désavantage de l’Algérie qui n’a commencé à songer à un début d’implantation de filiales de banques publiques en Mauritanie, au Sénégal et prochainement en Côte d’Ivoire que sous la présidence de M. Abdelmadjid Tebboune (Algerian Bank of Sénégal et Algerian Union Bank, dotées respectivement de 100 et 50 millions de dollars). Avec pour actuelle mission l’accompagnement des exportateurs algériens ambitionnant de conquérir des parts de marché en Afrique.
Une ambition bien modeste comparée à la forte poussée des banques marocaines Attijariwafa Bank, Banque centrale populaire et BMCE-Bank of African, au travers de leurs 45 filiales et quatre succursales contrôlant 22% du marché bancaire ouest-africain à fin 2021 (données de l’expert bancaire Rachid Sekkak, ex-directeur de la Banque d’Algérie, de l’UBAF à Paris et de HSBC à Londres). Présence marocaine fortement concentrée sur les pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale (27 pays) et guidée par la recherche de relais de croissance.
Cet activisme bancaire est une traduction financière d’une forte volonté du roi. Il s’agissait d’accompagner les politiques de coopération extérieure du pays notamment dans des zones monétaires «sécurisées» telles l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC).
Le think tank organisé à Koléa est venu nous rappeler également que les retards accumulés en matière de déploiement de l’influence algérienne en Afrique sont considérables. Mais il nous a appris aussi que rien n’est insurmontable, rien n’est irrémédiable, et qu’il n’y a pas donc de malédiction africaine ou de fatalité algérienne. Malgré les grands retards enregistrés, il n’est finalement pas trop tard pour réfléchir, s’organiser et agir. Combiner désormais, avec énergie et intelligence, le multilatéral et le bilatéral. Cela a commencé avec la création par le président Tebboune d’une Agence de coopération internationale et la définition d’une nouvelle vision de la présence de nos banques et du pavillon national aérien. Nouvelle politique devant être complétée par une reconfiguration de la carte diplomatique et l’implantation de nos médias audiovisuels et écrits, à commencer par le vaisseau amiral que doit être l’APS.
Nouvelle vision adossée à du volontarisme et du pragmatique et déclinée en 2020 par le président Tebboune dans une interview au quotidien économique français L’Opinion. Il avait évoqué alors un aggiornamento de la politique intérieure et de la diplomatie, assis sur un socle de principes directeurs nouveaux. L’Algérie, puissance gazière courtisée en raison de ses réserves d’hydrocarbures, de son potentiel de terres rares et de sa position géographique privilégiée, doit désormais s’appuyer sur une diplomatie proactive et savamment redéployée à travers le monde, notamment en Afrique où les actions doivent être réfléchies et mûries pour mieux dépasser le stade de la présence diplomatique et économique symbolique.
Dans la même interview, le chef de l’État avait souligné que cette diplomatie dynamique est appelée à se recentrer sur ses déterminants originels, mais aussi à se redéployer sur ses axes naturels : le voisinage, la profondeur stratégique subsaharienne, l’africanité, l’enracinement méditerranéen, l’espace stratégique arabe. De même que l’ouverture sur le monde à travers des liens d’équilibre avec l’Occident et le Grand Sud, le nouveau pôle mondial émergent où la Chine et la Russie, partenaires historiques et stratégiques de l’Algérie, en constituent la colonne vertébrale.
N. K.

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