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Rubrique Société

Les Clôtures symboliques de l’hymen Le rbat ou cadenas, entre rituel et choc psychologique

Depuis des décennies et dans plusieurs cultures, la virginité de la femme avant son mariage a été sacralisée. Au point où, récemment encore, pour qu’une femme épouse un prince, elle devait avoir le certificat de virginité délivré par le gynécologue de la famille royale, comme cela a été si bien médiatisé pour Diana. Ces us et coutumes, qui ont plus ou moins disparu, persistent dans l’imaginaire collectif, si bien que des jeunes filles se rappellent encore le rbat ou le fameux cadenas…

«La première fois où j’ai entendu l’histoire du rbat  des petites filles, j’étais lycéenne au niveau de l’établissement de jeunes filles Omar-Racim. Une camarade de classe nous racontait qu’en cas d’agression, elle ne risquait rien parce qu’elle était  protégée grâce à un cadenas que sa grand-mère, originaire de Laghouat, avait scellé. Et il ne sera rouvert que la veille de sa nuit de noces. Dans mon imaginaire, je pensais que c’était juste des histoires. Mais, au final, il y avait plein de copines qui abondaient dans le même sens. Le but était de préserver la virginité», raconte Meriem, la trentaine, que cette histoire a marquée à  jamais. Elle poursuit : « En demandant à ma mère, elle m’avait expliqué qu’elle n’y croyait pas et qu’elle ne voulait pas traumatiser ses filles. Notre éducation était basée sur le respect et la confiance pour construire une relation durable. Ma maman n’avait pas vécu cela, mais ses voisines si.»
Pour sa part, Nouha, la quarantaine, n’a pas oublié ce qu’a vécu sa mère et elle voulait à tout prix éviter cela à ses filles. «Ma grand-mère maternelle nous surveillait sans cesse lorsque nous étions petites. Elle nous épiait ma sœur et moi, surtout lorsque nous avions commencé à pratiquer du sport, à l’âge de 10 ans. Elle n’arrêtait pas de dire que nous allions mal tourner et que rien n’était fait pour nous protéger. Une fois, ma mère en avait assez et elle lui a dit en criant : ‘’Non ! je ne le ferai pas.’’ Elles n’ont pas à avoir peur la veille de leur mariage. Elles ont le droit d’être équilibrées sans se sentir folles. C’était la première fois que je voyais ma mère hurler. Puis, elle nous a expliqué ce qu’elle avait vécu étant petite lors des vacances de printemps, dans leur village, à Bou Saâda. Sa mère l’avait emmenée chez une vieille femme et elle lui a fait subir un rituel avec un cadenas pour qu’elle soit sage toute sa vie et qu’aucun garçon ne puisse l’approcher. Ma mère se souvenait de chaque détail, de la peur et surtout que rien ne pourra être fait sans l’ouverture de ce cadenas. 
À l’université, elle avait rencontré celui qui est devenu mon papa et la veille de leur mariage, sa seule obsession était de trouver ce cadenas pour l’ouvrir. Elle avait peur de devenir frigide tellement cela l’avait traumatisée psychologiquement. Comme disait ma mère, ‘‘les autres fiancées s’amusaient et moi je pleurais parce que j’avais peur que ce foutu cadenas ne soit pas retrouvé et que je perde mon fiancé’’. À quelques heures du départ du cortège, au summum du stress, sa mère l’avait brandi en lui ordonnant de le dépasser pour pouvoir l’ouvrir. Je me suis toujours demandé comment ma mère, avec son bagage intellectuel, pouvait croire à de telles sornettes, mais maintenant, avec le temps, je comprends ce que c’est l’impact psychologique.» 

Les clôtures symboliques de l’hymen
Liée à l’honneur de la famille, la virginité est une question qui a toujours hanté l’esprit des familles algériennes. Toutes sortes de pratiques sont envisagées par la société pour la préserver. La plus connue est celle du rbat (action de nouer), dit teskar (action de fermer) ou encore tesfah (action de blinder). Au moyen de techniques ritualisées, elle consiste en la «fermeture» symbolique de l’hymen avant la puberté et son « ouverture » symbolique la veille du mariage. La «chemise tachée du sang de la vierge» doit en être la preuve indéniable : elle authentifie que l’honneur de la famille, du groupe, est intact. Lorsque, pour diverses raisons, l’hymen fait défaut, la société déploie toutes sortes de stratégies palliatives. Aujourd’hui, le certificat de virginité et la reconstitution de l’hymen par la chirurgie plastique, l’hyménorrapie ou l’hyménoplastie, viennent renforcer la pratique symbolique du rbat.
Barkahoum Ferhati, maître de recherche au Centre national de recherche préhistorique, anthropologique et historique, dans son article «Les clôtures symboliques des Algériennes : la virginité ou l’honneur social en question», note que «les raisons sociologiques, anthropologiques et théologiques de sauvegarder cette virginité sont connues. Depuis longtemps, tout un arsenal de pratiques a été déployé en vue de sa conservation, sa préservation et, le cas échéant,  sa réparation, coûte que coûte. Une de ces pratiques est celle liée au rbat, action de nouer, pratique secrète et intime qui procède à la ‘’fermeture’’ symbolique de l’hymen de la fillette et à son ‘’ouverture’’ symbolique au mariage, et qui vise à protéger la virginité sacrée des filles. Je dirai d’emblée que ce même vocable est aussi usité pour désigner un rituel aux effets maléfiques auquel les femmes recourent pour rendre ‘’impuissant’’ l’homme en lui jetant des sorts pour se venger d’un amour trahi, d’une alliance non souhaitée ou encore par jalousie. Il se rapproche du rituel occidental appelé le ‘’nouement de l’aiguillette’’. Ici, il ne sera pas question de cette pratique. C’est le rbat, pratique symbolique liée aux femmes pour préserver leur virginité, qui est au cœur de la présente étude».

Le rituel du rbat et son impact psychologique 
Méconnu et répandu dans quelques régions de notre pays, ce rituel a tendance à disparaître. D’autant plus qu’il a un impact psychologique très important par son caractère sacré et dur. Dans son article, Barkahoum Ferhati explique en détail les étapes de ce rituel en entamant son récit dans sa ville d’origine, Bou Saâda :
«Le rbat que nous connaissons dans la région de Bou Saâda se pratique avant la puberté. L'âge idéal est entre huit et dix ans. Aujourd’hui, il est effectué juste avant l’entrée en première année du primaire, à six ans, tout comme la circoncision pour les garçons. On emmène la petite fille chez une femme spécialisée dans cette opération, la qabla, l’accoucheuse traditionnelle, l’équivalent de la sage-femme. Ce rite peut être aussi accompli par la mère, une tante ou une grand-mère. Le rbat est tenu secret, car il fait partie de l’intimité des femmes. Les hommes en sont tenus à l’écart. Ce rituel s’effectue par la lecture de phrases magiques et au moyen d’instruments. La phrase consacrée est répétée par la fillette sept fois de suite, ‘’wald en nas khaït wana haït’’ que je traduis littéralement par : le fils des autres (femmes) est un fil tandis que je suis un mur. Par cette opposition fil/mur, au symbolisme sexuel évident, dont elle ne soupçonne même pas la signification, la fillette est mise en condition : désormais, les hommes quels qu’ils soient représentent un danger pour elle. Et pour désamorcer le pouvoir de cette formule, quelques jours avant le mariage, il suffira de l’inverser. La phrase devient alors ‘’wald en nas haït wana khaït’’, que je traduis littéralement par : le fils des autres est un mur tandis que je suis un fil. Ce retournement de la formule recèle un mécanisme ambivalent où, pour provoquer la fermeture, la femme est symbolisée par un mur-serrure dont aucun passe ne saurait venir à bout, alors que lorsqu’il s’agira de procéder à l’opération inverse de l’ouverture, la femme se voit dotée du pouvoir masculin de la bonne clef, symbolisée par le fil.»
Ainsi, des instruments tels que le métier à tisser, le cadenas, le coffre ou la poupée confectionnée à l’occasion sont utilisés comme supports symboliques dans l’accomplissement du rituel.
L’auteure relève qu’à Tlemcen, ce rituel est autre. La praticienne est munie d’une aiguille et d’un balai. «La fillette, nue, les yeux fermés, fait sept fois le tour du métier à tisser. À chaque fois elle est piquée avec une aiguille et reçoit un coup de balai. Ensuite la barre du métier est descendue et la fillette la franchit sept fois dans un sens puis sept fois dans l’autre. 
À Bou Saâda, le rituel est bien plus simple. La fillette habillée enjambe le métier à tisser sept fois tout en répétant après la femme désignée pour mettre en œuvre le rituel, la formule consacrée de la fermeture», note l’auteure. Et d’ajouter : «Dans le cas du cadenas, on fait acheter cet objet par un garçon qui n'est pas de la famille. Il doit prendre l’argent de l’achat sans compter ni demander le prix au marchand. 
Ce cadenas ne doit pas être ouvert en cours de route. Pendant ce temps, la fillette est préparée : elle doit être nue et cheveux dénoués. On lui enlève boucles, épingles, colliers et bracelets. Elle doit rester debout les yeux fermés. La personne qui pratique la ‘’fermeture’’ ouvre le cadenas, le place face au sexe de la fillette et le ferme avec ces paroles : «Binti haït.» («Ma fille est un mur»). Elle passe ensuite le cadenas par en dessous, vers l'arrière, l'ouvre et dit textuellement : «Wald en nas khaït.» («Le fils des autres est un fil»). Par sept fois l'opération est répétée puis le cadenas est caché ou le plus souvent jeté. La veille du mariage, il faut procéder à ‘’l’ouverture’’ et, pour cela, refaire l’opération dans le sens inverse.»
Il ne s’agit là que de quelques rites, il en existe d’autres, marquant ainsi l’importance de cette «pureté» de la virginité.
Les femmes, de plus en plus instruites, ne veulent plus faire subir à leurs filles ce genre de cérémonial ayant prouvé leur impact des plus négatifs sur le psychique.
Sarah Raymouche

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