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Rubrique Société

Fugues des adolescents Un phénomène qui prend de l’ampleur en Algérie

Par Sarah Raymouche
Plusieurs annonces de disparitions, de fugues et de recherches d’adolescents sont relayées par les réseaux sociaux. Il s’agit, souvent, de jeunes gens âgés de 12 à 16 ans. L’âge ingrat. Et contrairement à ce qu’on pense, il ne s’agit pas uniquement de jeunes hommes mais les jeunes filles sont également concernées par ce phénomène. Un phénomène qui laisse des questions en suspens…

«Ma fille a fugué»
Cadre supérieure dans une entreprise publique, Amel a connu les heures d’attente et de désarroi après la fugue de sa fille aînée. «C’est un sentiment que je ne souhaite à personne de connaître. Pendant des heures, vous imaginez le pire. Vous vous dites que l’essentiel est de la retrouver. En plus, ce sont les voisins qui m’ont prévenue alors que j’étais sur mon lieu de travail à 30 kilomètres. Ma fille ne s’est pas rendue au collège alors que ses copines l’avaient vue sortir de la maison pour s’y rendre. C’était cela l’élément déclencheur. Sur le coup, je ne les avais pas crues mais quand même, j’ai quitté mon poste avant l’heure et je me suis rendue chez moi tout en avertissant mon mari. Chez moi, je me suis rendu compte qu’elle avait pris quelques affaires et ses économies. 
A ce moment-là, j’ai paniqué. Nous avons tout de suite averti les services de police qui ont commencé les recherches. Ils ont été très efficaces, vers minuit, ils nous l’ont ramenée. Elle était à la gare de Kharouba et ne savait plus quoi faire. Jusqu’à maintenant, je ne sais pas pourquoi elle a fait cela.» Interrogée sur des signes avant-coureurs, Amel nous répond : «Après sa fugue, j’ai fouillé ses affaires et j’ai trouvé son journal. Je pensais qu’elle voulait suivre un amoureux, mais ce n’était pas le cas. Mais j’ai trouvé beaucoup de rancœur envers nous, en particulier moi. C’est très dur à l’admettre, mais à ce moment-là, elle pensait que nous ne l’aimions pas, que nous la rejetions, que nous ne prenions pas soin d’elle. Donc, pour elle, si elle partait, il n’y aurait pas de différence. Il y a une phrase qui me hante jusqu’à aujourd’hui. Elle a écrit : je veux avoir vite mes 18 ans pour partir loin et ne plus voir mes parents. Maintenant, j’essaye d’être plus présente, mais c’est quelque chose qui marque à vie, parents, enfants, et grande famille. Elle est suivie par un psychologue tout en espérant qu’il y ait une certaine sérénité qui régnera dans notre foyer.»

Des chiffres et des causes
Plusieurs organisations chargées de la protection des enfants avancent des chiffres sans réels paramètres. Certains parlent de 10 000 et d’autres, bien plus. Ce sont les services de sécurité, et plus précisément les brigades de protection des catégories sensibles, qui sont à même de donner un aperçu global sur ce phénomène. A ce titre, la brigade de protection des catégories sensibles de la Sûreté de wilaya de Blida a enregistré 36 fugues d’enfants de leurs domiciles familiaux, durant les six derniers mois de cette année. «36 cas de disparition d’enfants, âgés de 6 à 17 ans, enregistrés depuis juin dernier à ce jour, se sont avérés des fugues volontaires», a indiqué, à l’APS, la commissaire principale Siham Benamara, en marge d’une journée de sensibilisation aux «risques menaçant la santé mentale et physique de l’enfant mineur».
La responsable a signalé l’accueil par le même service de 1 214 appels téléphoniques, sur le numéro vert 104 réservé au signalement de disparition ou de kidnapping d’enfants. Au niveau national, en 2015, les fugues ont touché 2159 adolescents, dont 997 filles. En 2016, les services de sécurité ont enregistré pas moins de 958 adolescents fugueurs, dont 499 filles. Et les causes sont aussi diverses que le vécu des fugueurs. Poussés par différentes raisons, les adolescents décident de prendre la fuite, de s’émanciper, de se libérer. Souvent, ces jeunes vivent dans un milieu familial difficile ou passent par une adolescence compliquée. La commissaire principale Siham Benamara a expliqué que les causes principales à l’origine de ces fugues d’enfants, qui ont « tous été retrouvés et remis à leurs familles sains et saufs», sont dues « à leur peur d’être punis à cause de leur échec scolaire ou leur privation du téléphone portable et de jeux électroniques ».
Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons contacté le Dr Mahiddine Samira, pédopsychiatre à l’unité adolescence de l’EHS Mahfoud-Boucebci, à Chéraga. «La fugue, selon elle, est le fait pour l’enfant de partir sans autorisation et sans prévenir du lieu où il est censé être, pour déambuler, le plus souvent, sans but, et ce, pendant plusieurs heures, parfois pendant des journées entières. Il faut attendre 6 à 7 ans pour parler de fugue».
Le plus souvent, le fugueur est seul. Mais parfois s’organisent des fugues en bandes, sous l’impulsion d’un leader. En général, le fugueur n’a pas de but précis, il ne sait où aller et traîne sans raison. Bientôt, il cherche un refuge et ne tarde pas à se faire remarquer par son comportement indécis. Il est très soulagé d’être découvert et ne tarde pas à avouer sa fugue. D’autres fois, l’enfant a un but qui est presque toujours le retour à un endroit qu’il a investi comme sécurisant, voire idyllique.» «Autre forme de fugue : l’école buissonnière, elle, peut être la cause de tendances psychopathiques pour certains enfants, peu motivés par l’école. Très souvent, c’est un mécanisme phobique qui sous-tend la fugue ou une angoisse de séparation. Ce genre de fugue mérite une attention assez particulière de la part des parents. Chez l’adolescent, la situation est plus grave puisqu’elle est due, dans la majorité des cas, à un conflit familial. 

Le départ du jeune solitaire de manière impulsive sans but précis 
«Ce genre de fugue est limité dans le temps, mais l’idée peut surgir à n’importe quel moment à cause d’un échec ou de difficultés scolaires, dans un climat de conflits familiaux, voire de violence ou dans des antécédents de sévices corporels, voire d’abus sexuels. Chez le jeune lui-même, on constate régulièrement des signes de dépression, des plaintes somatiques, des tentatives de suicide, des conduites délinquantes et /ou violentes et la consommation de drogues.» «La fugue est souvent l’aboutissement et le point culminant d’une confrontation entre l’adolescent et son entourage. Elle s’observe volontiers chez les adolescents qui ne disposent pas d’autres moyens d’agir que le passage à l’acte pour fuir une situation de tension . Ceci est particulièrement vrai pour les fugueurs à répétition, chez lesquels on retrouve volontiers d’autres modes de passage à l’acte délictueux, tentative de suicide, prise de drogue».

Les enfants en situation de rue
Dans le plan national d’action pour les enfants 2008-2015, intitulé «Une Algérie digne des enfants», élaboré par le département chargé de la solidarité, de la famille et de la condition de la femme, il est noté que le phénomène des enfants en situation de rue est visible dans les grandes agglomérations, ce qui interpelle la famille, la société et les pouvoirs publics quant à son traitement. Les services de la solidarité nationale ont enregistré, de décembre 2003 à septembre 2005, 18 387 personnes vivant dans la rue, dont 2 237 enfants de moins de 19 ans et 1 384 enfants de moins de 9 ans. Ces enfants constituent deux catégories. La première, et la plus importante, est celle des mineurs ayant fugué de leur domicile après avoir été exclus du système éducatif, ou après avoir volontairement abandonné les bancs de l’école pour cause de pauvreté. La seconde catégorie est celle des enfants vivant dans la rue avec leurs parents, versés dans la mendicité pour des raisons diverses. Ces chiffres rejoignent en partie les données de l’enquête réalisée en 2000 par le Centre national d’études et d’analyses pour la population et le développement (Ceneap), sur le phénomène des enfants en situation de rue. Cette enquête a révélé que près du tiers de ces enfants, soit 27,51%, ont moins de 14 ans. Selon cette même enquête, les 15 ans et moins représentent 41%, les 16-17 ans 37% et les 18-19 ans 22%. Par sexe, 29% des enfants enquêtés sont des filles, toutes tranches d’âge confondues. Les causes principales identifiées par l’enquête et à l’origine de ce phénomène sont la pauvreté extrême des parents, la maladie ou le handicap de l’un ou des deux parents, l’exiguïté du logement, l’échec scolaire, la violence familiale, l’éclatement de la famille, le renvoi par la famille, la fugue du domicile familial, la fugue du Centre d’accueil et le terrorisme.
S. R.

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