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Rubrique A fonds perdus

«Elles ont commencé, elles finiront»

Encore quelques mots sur le tout récent ouvrage de David Rieff, «Eloge de l’oubli : la mémoire collective et ses pièges».(*)
Prenant le contre-pied des thèses freudiennes, auprès de qui il s’en s’excuse («l’illusion selon laquelle rien de ce qui nous importe réellement, à nous qui vivons maintenant, ne sombrera dans l’oubli au fil des millénaires, n’a effectivement pas d’avenir»), il préfère se ranger au bouddhisme qui est «presque certainement le seul système philosophique à enseigner que s’accrocher au passé comme au moi est tristement illusoire».
L’Islam rejoint également cette vision du monde. «Daym Allah fi Melkou», dit le vieil adage algérien. Ou encore «mata wa taraka», pour signifier que tout en ce bas-monde est précaire et éphémère.
Aussi, David Rieff assène-t-il dès les premières pages : «Toutes les nations et toutes les civilisations finiront par sombrer dans l’oubli, aussi sûrement qu’elles sont apparues»(20). Une issue à laquelle on ne peut échapper parce que «mort physique et mort sociale sont les deux faces de la même médaille».
Paraphrasant Beckett : «Sa naissance fut sa perte.» Et tant mieux, pourrait-on ajouter, car, relève encore David Rieff, «la finitude des sociétés et des civilisations ne doit pas être seulement envisagée comme une calamité» car l’éternité est «tout aussi inimaginable que le fantasme de l’immortalité personnelle».
Cette précarité ne souffre pas l’ombre d’un doute car, quelle que soit «l’importance historique que revêt un événement pour son temps et les décennies qui lui succèdent», cela «ne lui garantit en rien que le siècle suivant en conservera le souvenir, sans parler des siècles suivants».
Aussi, «qu’on le déplore ou non, oublier et être oublié sont deux choses qui, à un moment ou un autre, doivent se produire».
La mémoire est chez Rieff plus qu’un enjeu, un générateur et régénérateur de conflits : s’appuyant sur les conclusions de Caroline E. Janney, auteure d’un ouvrage de référence au titre parlant («Se souvenir de la guerre civile : la commémoration et les limites de la réconciliation»), il estime que «ce que les individus et les communautés choisissaient de dire de la guerre recélait un potentiel considérable en termes de revendications d’autorité et de pouvoir».
En effet, reprenant par ailleurs l’historien français Jacques Le Goff, il soutient que «la mémoire ne cherche à sauver le passé que pour servir au présent et à l’avenir (…) en se rapprochant bien plus du mythe, d’un côté et de la propagande politique, de l’autre, que de l’Histoire, du moins comprise comme discipline académique».
Plus fondamentalement, les guerres de mémoires sont la résultante de guerres inachevées, au sens où tous les protagonistes crient victoire : «L’Histoire nous montre que seules les situations sans vainqueur évident permettent aux camps qui se sont affrontés militairement de poursuivre leur guerre sur le terrain mémoriel en s’opposant des souvenirs incompatibles.»
Ces propositions paraissent superflues au regard de la règle qui fait consensus et qui nous colle à la peau depuis notre arrivée en ce bas-monde : «Une conscience collective appliquée à la mémoire (qui) aboutit à une mémoire collective» – des mémoires qui à leur tour «façonnent les groupes sociaux, les générations et les nations, et constituent une identité.»
Il est d’usage de faire consensus autour d’une formule attribuée à l’historien oxfordien Timothy Garton Ash : «Une communauté nationale ou politique sans mémoire a toutes les chances d’être infantile.»
Toutefois, réfute Rieff, cette mémoire collective fait autorité tant «que l’on ne s’intéresse pas de trop près aux faits, que l’on ne se préoccupe pas outre mesure de leur caractère contingent, mais que l’on accepte de se laisser emporter par une forte émotion aux allures de véracité historique».
La sentence de Nietzsche fait ici autorité : «Il n’y a pas de faits, seulement des interprétations.»
Aussi, «la mémoire historique collective et les formes de remémoration qui en sont l’expression la plus commune ne sont ni factuelles, ni proportionnelles, ni stables».
Quels que soient ses caractéristiques, ses attributs et ses objectifs, «la mémoire historique collective, telle qu’elle est comprise et déployée par les communautés, par les peuples et les nations (…) a bien trop souvent conduit à la guerre plutôt qu’à la paix, à la rancœur et au ressentiment (…) qu’à la réconciliation, et à la volonté déterminée de se venger plutôt que de s’engager dans le difficile travail du pardon».
C’est pourquoi, une telle piste, même empruntée par tous, ne paraît pas convaincante pour Rieff qui préfère rejoindre Ernest Renan, l’historien français (nationalise) du XIXe siècle pour qui «l’oubli, et même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation» : «Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront.» Une issue d’autant plus certaine qu’il est «illusoire d’imaginer que des mythes historiques collectifs demeurent figés de nombreuses générations durant ; dès lors qu’on les envisage sur un long terme, on constate qu’ils finissent à un moment ou à un autre par muter – souvent, sans même que leur origine puisse être véritablement identifiée.»
A. B.

(*) David Rieff, Eloge de l’oubli : la mémoire collective et ses pièges, éditions Premier Parallèle, Paris 2018, 223 pages.

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