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Rubrique A fonds perdus

La souveraineté ou les libertés ?

David Djaïz, haut fonctionnaire français, enseignant à Sciences po et auteur, revient sur le concept de «démocratie illibérale» pour proposer une grille de lecture de ce qui se joue en Italie, en Hongrie, en Autriche, en Pologne et ailleurs. Il propose de «prendre la mesure du caractère fondamentalement instable de la démocratie».(*)
Il y voit un «épisode historique» qui résulte «des lentes transformations de la démocratie à l’œuvre depuis la chute du mur de Berlin» qui ont conduit à «sa dénaturation et désormais à sa défiguration» : «Dénaturation et pour finir défiguration, car c’est bien d’un monstre hybride que la paisible démocratie libérale, que l’on croyait indéracinable en Europe, semble avoir accouché. Et si l’Europe est bien le berceau de la démocratie, c’est peut-être ici que s’y joue sa transformation terminale.»
La démocratie libérale repose sur deux piliers aussi indispensables l’un que l’autre qui traduisent «l’équilibre fécond quoique structurellement instable (…) d’une souveraineté du peuple tendanciellement unanimiste et de l’épanouissement de libertés individuelles disséminantes».
Même si cela paraît plus facile à dire qu’à faire, «la démocratie repose sur la circularité dynamique des droits humains et de la souveraineté du peuple».
Dans cette configuration, au grand dam des populistes, on ne peut dissocier libertés individuelles et souveraineté de la majorité : «Sans individus libres et égaux en droits, pas de souveraineté du peuple. Sans souveraineté du peuple, pas d’individus libres et égaux en droits.» En effet, «la souveraineté du peuple et l’égale liberté des citoyens se coproduisent. La différence entre la démocratie antique et la démocratie moderne tient d’ailleurs à la place qu’occupent les préférences individuelles dans la seconde».
«Tant que l’épanouissement de la vie humaine garanti par l’Etat de droit, et la souveraineté populaire garantie par le suffrage se coproduisent, la démocratie libérale fonctionne. La tension entre souveraineté du peuple et Etat de droit cesse d’être féconde pour devenir stérile quand l’une des deux composantes prend définitivement le dessus sur l’autre au point de la dévorer.» 
Dans l’attelage Etat de droit-souveraineté populaire, c’est cette dernière qui l’emporte, le règne absolu de la majorité conduisant à l’érosion des libertés individuelles.
Aussi, «l’équilibre entre souveraineté populaire et Etat de droit dans la démocratie moderne est structurellement instable» : «Les errances politiques du XXe siècle nous l’ont enseigné : la souveraineté populaire menace toujours de «déborder de son lit», comme le fleuve en crue, et d’emporter sur son passage les fragiles libertés humaines. C’est la préoccupation des libéraux, de Tocqueville à Hayek qui ont cherché à imaginer des constitutions ou des utopies politiques dans lesquelles les libertés humaines sont sanctuarisées. Le problème, c’est que cette sanctuarisation des libertés provoque souvent, en sens inverse, un recul de la souveraineté populaire. En démocratie, la souveraineté populaire et l’Etat de droit jouent un jeu à somme nulle.»
Un secret explique l’émergence de régimes appelés «démocraties illibérales» dans un certain nombre de nations et l’épuisement démocratique qui s’y produit : l’émergence de la règle sans parole : «Une partie des classes populaires et des classes moyennes, notamment en Occident, se révolte contre le sentiment de dépossession et d’évidement démocratiques ressentis à mesure que le pouvoir semble s’éloigner du cadre de l’Etat-nation. La stagnation démoralisante du niveau de vie des classes moyennes des pays industrialisés, dans un contexte d’enrichissement très fort du dernier centile de la distribution des revenus, n’y est pas pour rien.»
Dans le nouveau contexte, «la tyrannie de la majorité reprend ses droits une nouvelle fois, au détriment de la vie humaine».
Deux agendas s’affrontent ici : «Nous avons donc d’un côté la règle sans parole, qui se déploie dans un espace supra et post-national, de l’autre, la parole sans action, qui cherche à réintroduire, de gré ou de force, l’action dans le seul espace de la nation (…) La démocratie est structurellement mutilée, la souveraineté du peuple et l’Etat de droit n’étant plus dans cet équilibre à la fois instable et fécond qui faisait la ‘’magie’’ de la démocratie moderne (…) La société démocratique traditionnelle est en danger, prise en étau entre un agenda disciplinaire et un agenda identitaire.»
«La préférence pour l’une ou l’autre de ces deux versions de la démocratie mutilée est par ailleurs connotée socialement. Si les classes moyennes se prononcent de plus en plus pour la démocratie illibérale, et manifestent un attachement persistant à la souveraineté du peuple, comme en témoigne le résultat des élections en Italie, ou l’élection de Donald Trump, ou le résultat du Brexit, ou les percées des partis nationaux-populistes en Europe centrale et orientale, elles ne s’émeuvent pas en revanche que les dirigeants qu’ils élisent foulent aux pieds les droits individuels et les prérogatives des minorités. La reconquête de la souveraineté nationale, approuvée par un nombre croissant d’électeurs, comporte une forte dimension autoritaire. En 1995, 34% des Américains âgés de 18 à 24 ans considéraient qu’un système politique dirigé par quelqu’un qui n’aurait pas à tenir compte du Congrès était une bonne chose. En 2011, ce chiffre s’élevait à 44%, soit une augmentation de dix points.
«De leur côté, les élites s’intéressent de moins en moins à la souveraineté du peuple, qu’elles associent à l’Etat-providence classique dont elles tolèrent de moins en moins le  «biais redistributif», mais accordent une importance accrue aux dispositifs de garantie des libertés individuelles, notamment économiques, indépendant de toute élection directe. Yascha Mounk et Roberto Stefan Foa ont produit des analyses édifiantes : en Espagne ou en Italie, 49% des personnes interrogées voient comme une bonne chose un gouvernement de technocrates non élus, qui prendraient des décisions en fonction de ce qu’ils jugent le mieux pour le pays. Il en résulte que les figures de «l’homme fort», d’une part, du «technocrate», d’autre part, sont toutes les deux plébiscitées, au détriment de la figure de «l’homme politique». Cependant, la préférence des classes moyennes va plutôt aux hommes forts, et celle des élites plutôt aux technocrates».
A. B.

(*) David Djaïz, La démocratie instable https://aoc.media/

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